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LES CUISINES COLLECTIVES, LES PAROISSES ET LES AUTRES INSTITUTIONS LOCALES

Comme nous l'avons mentionné précédemment, dans plusieurs régions les paroisses ont été actives dans le développement et l'animation des cuisines collectives. C'est souvent à partir de l'animation de groupes de femmes ou de groupes de citoyens aux prises avec des conditions de vie difficiles que des paroissiens engagés et des militants de la pastorale diocésaine ont adhéré aux cuisines collectives. C'est ainsi que les paroisses ont rapidement été interpellées pour offrir un soutien technique et d'animation des groupes de cuisines. La réponse positive des institutions ecclésiales est venue rapidement. Un grand nombre de cuisines collectives ont pu bénéficier gratuitement de locaux dans des sous-sols d'églises, des salles paroissiales ou des salles de couvents. Les équipements de cuisine y ont été mis à leur disposition. Bien souvent, les Sociétés Saint-Vincent-de-Paul ont fourni le matériel de base composé de casseroles, d'ustensiles de cuisine et de couverts. La recherche de Fournier et ses collègues (1998) indique que dans 43 % des cuisines qu'elles ont étudiées, les paroisses ou des groupes religieux ont contribué à en subventionner le démarrage, ce qui rejoint à peu de chose près les résultats de nos recherches. En ce qui concerne les ressources humaines, nombreuses ont été les personnes qui se sont portées bénévoles pour soutenir des cuisines collectives. On parle de femmes engagées dans des activités paroissiales, dont l'engagement social et chrétien est orienté vers l'animation des cuisines ; on parle d'hommes et de femmes bénévoles donnant un coup de main au besoin et de religieuses à la retraite désireuses de s'engager dans des activités de nature humanitaire.

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Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : Entraide et services de proximité : l’expérience des cuisines collectives, Lucie Fréchette, ISBN 2-7605-1078-6 • D1078N

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Comme dans le cas des CLSC, la façon dont s'organise le soutien aux cuisines paroissiales est tributaire de la représentation qui y est véhiculée de la pauvreté et des moyens les plus appropriés pour la contrer. Notre recherche indique deux grands courants : les cuisines soutenues par des chrétiens de gauche3 et les cuisines relevant plus de l'œuvre de bienfaisance. Dans le premier courant, on retrouve des animateurs dont l'engagement dans la lutte contre la pauvreté rejoint des préoccupations de justice sociale et des convictions inspirées des mouvements de conscientisation ou encore de la théologie de la libération avec son option pour les pauvres. Ces cuisines s'inscrivent dans la dynamique communautaire et sont souvent mises en relation avec d'autres organismes du milieu comme des organismes d'éducation populaire (OVEP) ou des organismes membres des tables de concertation contre la pauvreté. Ces cuisines se taillent une place de plus en plus confortable dans le secteur communautaire et font valoir leur option de lutte à la pauvreté par l'entraide et le développement local plutôt que par l'approche caritative que l'on rencontre dans d'autres organismes d'aide alimentaire. Dans ces réseaux de cuisines paroissiales, les CLSC comptent souvent parmi les partenaires significatifs même si leur contribution est occasionnelle.

Dans le second courant, les cuisines subissent une animation plus influencée par une approche caritative. Il s'y instaure plus facilement un rapport de dépendance entre bénévoles et membres de la cuisine qui adoptent alors un statut de bénéficiaires. La cuisine devient l'une des oeuvres de bienfaisance de la paroisse ou de religieuses bénévoles déléguées par la communauté. Notre recherche a relevé quelques cuisines de ce type. La plupart expérimentaient un taux de décrochage élevé des membres après quelques mois de participation et un taux de survie ne dépassant pas plus de deux ou trois ans. D'autres se sont presque transformées en soupe populaire, ce qui relève d'un autre mode d'intervention.

Finalement, dans la foulée des organismes religieux, il faut souligner la contribution des Sociétés Saint-Vincent-de-Paul, organismes voués à l'aide aux pauvres et aux démunis. Elles ont bien souvent fourni le matériel de base et l'équipement des cuisines collectives. Dans d'autres cas, elles ont

3. On entend généralement par chrétiens de gauche des chrétiens préoccupés par la question sociale avec l'approche de justice sociale et de démocratie. Ils s'inspirent souvent de la théologie de la libération et s'inscrivent dans un courant progressiste dont la réflexion porte à la fois sur les valeurs évangéliques et sur le changement social. Une partie d'entre eux se réunit aux deux ans à l'occasion des Journées sociales du Québec. Le pouvoir de l'argent et le développement solidaire (Beaudin, Bergeron et Paiement, 1997) rend compte des travaux issus des Journées sociales de 1995 où la réflexion a allié le social et l'économique.

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Conditions sociopolitiques de développement... 145

accordé un soutien financier pour permettre l'achat des premières denrées non périssables que requiert le fonctionnement d'une cuisine. La contribution de la Saint-Vincent-de-Paul est non négligeable, surtout dans les milieux où aucune banque alimentaire ne soutient la cuisine. Cette contribution comporte cependant aussi des effets pervers potentiels. En effet, dans certains milieux une trop grande visibilité de l'association entre la cuisine collective et la Saint-Vincent-de Paul crée l'impression que la cuisine n'est que la cuisine des pauvres, ce qui peut en éloigner des personnes en situation de précarité qui font tout pour éviter d'être identifiées à leurs seules difficultés économiques. L'effet aversif n'est pas provoqué intentionnellement, mais il n'en existe pas moins. Dans d'autres cas, des organisations religieuses, dont la mission est « d'aider les pauvres », acceptent de soutenir les cuisines à la condition qu'on n'y retrouve que des pauvres. Quelques sociétés Saint-Vincent-de-Paul et même une organisation régionale de Centraide adoptent ce critère pour soutenir des initiatives de lutte contre la pauvreté. Il s'agit là d'une mesure qui s'inscrit dans une vision à courte vue de soulagement des effets de la pauvreté. Pire encore, la mesure s'avère contre-productive, puisqu'elle freine toute initiative pour développer l'entraide dans la communauté et contrevient à la dynamique de prévention de l'exclusion et d'insertion sociale des personnes et des familles en situation de précarité. La diversité de la composition sociale des cuisines leur donne au contraire plus de dynamisme, les talents étant plus variés et les réseaux plus riches.

Les cuisines collectives sont aussi en rapport avec d'autres institutions locales de façon significative même si la fréquence et la densité des rapports ne sont pas celles que l'on rencontre avec les CLSC et les paroisses. Les municipalités et les caisses populaires ont été souvent mentionnées au cours de nos entrevues auprès des responsables des cuisines collectives. Dans le cas des municipalités, il faut souligner une collaboration de la part des offices municipaux d'habitation (OMH), qui prêtent des locaux à des cuisines collectives actives dans des complexes d'habitation à loyer modique. Certaines municipalités ou municipalités régionales de comté ont parfois aussi donné un petit montant d'argent pour aider au démarrage d'une cuisine ou acceptent de réduire les taxes ou de les éliminer pour les cuisines ou organismes communautaires propriétaires d'une bâtisse. Finalement la contribution des caisses populaires, fort variable d'un milieu à un autre, se manifeste sous forme de dons au démarrage, de dons de matériel de secrétariat ou de soutien à la documentation nécessaire à la cuisine lors d'événements spéciaux. Quelques caisses ont accepté de faire à court terme des prêts sans intérêts pour des cuisines attendant le versement de subventions promises par des institutions publiques.

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4. EN CONCLUSION : LES LÉGITIMITÉS SOCIOPOLITIQUES DES

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