• Aucun résultat trouvé

La question nationale française au prisme de 2015 : la France face au

CHAPITRE I Contexte et problématique de recherche

1.5 Contexte social

1.5.3 La question nationale française au prisme de 2015 : la France face au

Enfin, le troisième point central que nous souhaitons mobiliser dans notre contextualisation sociale réunit trois évènements majeurs ayant eu lieu en 2015. Tout d’abord, les attaques du journal satirique Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher qui ont eu lieu au mois de janvier 2015. La première attaque, le 7 janvier 2015, a entrainé un bilan de onze personnes décédées et onze personnes blessées, dont 8 collaborateurs du journal Charlie Hebdo. Les responsables, les frères Kouachi, seront finalement abattus

23 La France a connu encore récemment une hausse du taux de chômage de 0,2 points entre le deuxième

et le troisième trimestre de 2015, le chiffre montant ainsi à 2,9 millions de chômeurs (INSEE, 2015, p. 1). Entre le troisième et le quatrième trimestre, une baisse de 0,1 point est cependant observable (INSEE, 2016, p. 1). Notons cependant qu’au fil du temps, les indices techniques de mesure du taux de chômage ont été modifiées de telle manière que le taux « réel » est probablement plus élevé.

par le GIGN deux jours plus tard. Le 8 janvier 2015, Amedy Coulibaly, proche des frères Kouachi, tue par balle une policière et blesse deux personnes grièvement. Le lendemain, il prend en otage les clients d’une supérette casher porte de Vincennes. Il sera finalement abattu par un assaut du RAID et de la BRI, laissant derrière lui quatre personnes décédées (Le Monde, 2015).

Ensuite, le second évènement correspond à ce que nous pouvons caractériser de « crise » des migrants à l’été 201524. Cette crise, qui débute au tournant des années 2010, voit l’arrivée en Europe de nombreuses personnes migrantes en provenance notamment d’Afrique sub-saharienne, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud (UNHCR, 2015). La situation s’aggrave davantage en 2015 suite aux conflits armés en Syrie, lorsque près d’un million de réfugiés syriens demandent l’asile au sein de l’Union Européenne en arrivant dans l’espace Schengen (Vaudano, 2015).

Finalement, le troisième évènement est celui des attentats ayant eu lieu le 13 novembre à Paris et à Saint-Denis, évènements les plus violents et les plus meurtriers sur le sol français depuis la guerre d’Algérie. Renvendiquées par Daesh, les attaques du 13 novembre 2015 ont été menées par trois commandos distincts, la première à Saint- Denis, aux abords du Stade de France dans lequel avait alors lieu une recontre amicale de football entre la France et l’Allemagne à laquelle assistait le Président de la République François Hollande. N’ayant pu pénétrer dans le stade, les trois terroristes ont commis un attentat-suicide aux abords du stade. La seconde attaque s’est déroulée dans les rues des 10e et 11e arrondissements de Paris oùu trois personnes ont mitraillé des terrasses de café et de restaurants. La troisième attaque, qui fut également la plus

24 Nous avons conscience que les mouvements migratoires caractérisant cette « crise » n’ont pas débuté

longue et la plus meurtrière, est celle qui a eu lieu dans les murs de la salle de concert Le Bataclan lors d’une prestation du groupe Eagles of Death Metal, représentation pendant laquelle trois djihadistes ont ouvert le feu sur le public rassemblé pour l’occasion. Il aura fallu un assaut des forces de l’ordre pour mettre fin à la tuerie. Le bilan officiel de cette soirée fait état de 130 personnes décédées et de 413 blessées (Libération, 2015).

Si nous avons conscience que ces trois évènements sont de nature différente et complexe, il nous semble nécessaire de les traiter conjointement. Malgré la gravité propre à chacun de ces cas, il nous apparaît que, à leur manière, ils ont influencé le discours nationaliste et la (re)définition sociale et sociétale de la France. Ainsi est de nouveau soulevée la question de l’inscription de la France dans l’Union européenne, notamment par rapport à l’espace Schengen qui, considérant le rétablissement des contrôles aux frontières en France, en Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suède notamment, voit son objectif de libre circulation des personnes remis en question. D’autre part, en ce qui concerne la coopération européenne, aussi bien au niveau des services de police que pour ce qui a trait à la gestion du flux de migrants. Ensuite, ces évènements ont amené la France et les Français à s’interroger également sur l’état de la société française, à travers sa capacité ou non à accueillir des réfugiés, le traitement de la question de la religion dans l’espace public et dans l’espace privé, de la laïcité, de l’intégration religieuse, de la radicalisation notamment. Ces évènements auront également été le lieu de résurgence d’un certain patriotisme, mais également d’une exacerbation du rejet de l’autre, de manipulations de chiffres ou de peurs à des fins politiques. Par exemple, au lendemain des attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015, sous couvert d’une défense des valeurs républicaines – liberté d’expression en tête – le gouvernement, et notamment Najat Vallaud-Belkacem alors ministre de l’Éducation nationale, invitent à la tenue d’une minute de silence en hommage aux victimes. Cette demande a révélé une sorte d’injonction faite aux communautés musulmanes de se

dissocier des auteurs des attentats (Harzoune, 2015). Dès lors, le refus de participer à cette minute de silence dans certains établissements scolaires a choqué l’opinion, autant que les oppositions à « Je suis Charlie », clivant alors un peu plus la société française et questionnant davantage le modèle d’intégration républicain25.

À travers la présentation de ces quelques évènements ayant eu lieu durant les dix dernières années, il apparaît que la tension entre inclusion et exclusion que nous présentions au début de notre réflexion est constante. Durant la crise de 2005, il a été question de l’exclusion des populations précaires de banlieue, d’une certaine stigmatisation de celles-ci. À travers la crise économique et financière qui début en 2008 se vit une polarisation entre – pour reprendre les mots de Jean-Pierre Raffarin – la France « d’en bas » et la France « d’en haut », un effritement de la classe moyenne, des individus moins nantis, une précarité sociale qui a notamment pour effet l’exclusion et la stigmatisation des chômeurs toujours plus nombreux. À travers les tragiques évènements de 2015 se lit également un certain rapport d’exclusion, davantage basée sur les valeurs républicaines françaises, et s’étendant, par la constitutionnalisation de l’état d’urgence et de l’évocation de la déchéance de nationalité pour les binationaux à une question symbolique. À la suite d’Ivaldi (2018), il nous apparaît nécessaire de souligner le fait que ces différents évènements pris de manière globale ont pu avoir une influence sur la vie en société, sur le vivre-ensemble français et ainsi permettre au Front

25 « Ceux qui se sont réclamés de ne pas être Charlie ont choqué, divisé les opinions, se sont exclus de

la communauté. C’est ainsi qu’un processus d’exclusion semble être advenu, en réponse au modèle d’intégration forcée » (Duchet, 2015, p. 47)

national de se positionner dans un contexte lui étant favorable26. Dès lors, la pertinence de notre étude s’enracine dans la prise en compte de ces différents moments clés dans l’analyse des discours et de l’idéologie avancée par Marine Le Pen. En effet, chacun de ces évènements ayant eu un rôle dans le développement de la société française, de l’identité nationale ou encore sur la scène politique, il nous apparaît nécessaire de les prendre en considération dans notre questionnement sur la démocratie perçue comme organisation du monde social. Cette thèse vise ainsi à mettre de l’avant les mécanismes sociaux, politiques, historiques et culturels permettant d’analyser le processus particulier d’articulation des discours de l’extrême droite au sein d’un contexte spécifique de « crise sociale ». Ce travail vise ainsi à pallier à certains écueils des recherches sur le Front national tels que formulés par Alexandre Dézé :

Aussi nombreux soient-ils, les travaux sur le FN n’ont suscité à ce jour que peu de bilans critiques (Husbands, 2002 ; Le Bohec, 2005). On pourrait s’en étonner, mais ce serait oublier que le champ de la recherche sur le FN est un champ quelque peu à part où l’on s’embarrasse rarement de considérations épistémologiques (pour quelques rares exceptions, voir Boumaza, 2001 ; Bizeul, 2003, 2008). Cette atypicité tient pour partie à la fragmentation disciplinaire du champ en question et au caractère non académique de la plupart des contributions existantes (il existe ainsi bien plus d’ouvrages journalistiques ou d’essais politiques sur le FN que de livres proprement universitaires). Il semble cependant que l’illégitimité politique de l’objet ait également trop souvent servi de justification tacite à des pratiques de recherche ou d’investigation exceptionnelles. Les travaux sur le FN pâtissent assurément de ce point de vue d’un déficit de « normalisation méthodologique » (Roussel, 2003a ; Dézé, 2008) : les outils théoriques et conceptuels des sciences sociales sont généralement délaissés au profit d’analyses descriptives et normatives ; les méthodes d’enquête prennent parfois un caractère hétérodoxe […] l’objet frontiste apparaît souvent traité à distance, sans investigation de terrain et à partir de sources de seconde main ; les connaissances sont rarement produites dans une

26 « Against this difficult economic background, the unprecedented influx of asylum seekers from Syria

into the EU in 2015 increased immigration fears which also resonated with the anxiety caused by Islamist terrorism. » (Ivaldi, 2018, p. 281)

logique cumulative, tendant à conférer à la littérature un caractère inchoatif où se rejouent toujours, un peu, la même histoire et les mêmes analyses. (Dézé, 2017)