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CHAPITRE I Contexte et problématique de recherche

1.2 Contexte politique

1.2.3 Protéger la nation française

1.2.3.1 La natalité comme remède à l’immigration

Au-delà de l’ennemi commun, victime émissaire canalisatrice de la violence purificatrice, ce qui ressort de ce que nous avons avancé ci-dessus est principalement la nécessité de sauvegarde d’une nation française forte, indépendante, et en quelque sorte encore « pure ». Une telle idée conservatrice trouve un certain point d’ancrage lorsqu’elle est placée en opposition à la libération des mœurs de mai 68. Dans le sillage de ce que Jean-Marie Le Pen qualifie de « révolution de pacotille qui a figé la société dans le conformisme tyrannique du politiquement correct avec la complicité des juges rouges » (Dely, 1998), un certain nombre de mesures seront prises avec pour résultat une libéralisation du statut de la femme et une augmentation de sa capacité légale à décider d’elle-même. Dans ce sillage prend notamment forme la volonté de dépénalisation de l’avortement (Lecoeur, 2007, p. 71) à laquelle s’oppose fermement le Front national, qui considère alors l’avortement comme un « crime contre la vie » (Idem). Si l’avortement pose un problème moral aux militants frontistes, il s’agit également d’une question de survie. En effet, le Front national a toujours mis l’accent sur le thème de la dénatalité qui est vue comme une menace d’affaiblissement de la nation française (Davies, 2001b, p. 120), mais qui serait également liée à l’islam, selon certains penseurs frontistes qui tendent à percevoir l’expansion démographique des

musulmans français comme « a natural by-product of Islam: an ‘interest’ and ‘conquering’ religion that seeks ethnic and ethno-cultural power in non-islamic lands » (Ibid., p.122). La dénatalité française serait alors propice à une augmentation de la puissance conquérante islamique en France15. L’avortement ainsi que la démocratisation des moyens de contraception depuis mai 68 seraient alors des dangers pour la nation française.

Enfin, dans l’imaginaire frontiste, la famille reste le berceau de la nation, la « clef de voûte de l’ordre naturel » (Lecoeur op. cit., p.139), puisque c’est au sein de la cellule familiale que sont formés les futurs citoyens. La famille est le lieu de sauvegarde et de reproduction de l’ordre social, et la « perte des valeurs traditionnelles est symbolisée par une décomposition de la famille : qu’il s’agisse du divorce, des familles monoparentales, des couples homosexuels, de la contraception ou de l’avortement, les membres du FN refusent ces changements qu’ils perçoivent comme dangereux pour l’ordre social » (Ibid., p.140).

Cette politique nataliste16 du Front national se lit également, par la suite, à l’articulation

de son rejet de l’immigration. En effet, pour Marine Le Pen, les mouvements

15 A posteriori, ce processus peut se rapporter à la thèse complotiste d’extrême droite du « grand

remplacement » développée par Renaud Camus dans l’ouvrage éponyme (2015) voulant que les Français « de souche » soient remplacés démographiquement par des peuples non-européens, et ce, avec l’aide des élites. En somme, « les noirs et les arabes vont remplacer les français de "souche"; ils veulent saper la "civilisation" française ; il suffit d'ouvrir les yeux pour s'en rendre compte mais les élites nient cette réalité » (AFP, 2014a)

16 Nativism, therefore, should be defined as intense opposition to an internal minority on the ground of

its foreign (i.e., ‘un-American’) connections. Specific nativistic antagonisms may, and do, vary widely in response to the changing character of minority irritants and the shifting conditions of the day; but through eachs eparate hostility runs the connecting, energizing force of modern nationalism. While

migratoires liés à la « crise » des réfugiés qui s’intensifient en 2015 sont, pour elle, un symbole funeste d’invasions barbares venant déstabiliser l’identité nationale française (Ivaldi, 2018, p. 285). Dès lors, la reproduction culturelle et identitaire doit être mise de l’avant en s’accompagnant d’un certain rejet de l’immigration – maghrébine et subsaharienne.

1.2.3.2 « La femme » : un statut ambigu

Finalement, pour que cet ordre social soit conservé, il est nécessaire que les rôles soient bien définis. Si l’homme est l’archétype de la figure virile, celle du guerrier qui inculque à ses enfants discipline et autorité, la femme, elle, devrait rester au foyer. D’ailleurs, le statut de la femme au sein même de la pensée frontiste reste très conservateur puisque la société « doit se conformer à une organisation "naturelle", qui implique une répartition sexuelle et sociale des rôles entre l’homme et la femme pour garantir la stabilité et la survivance de la société » (Ibid., p.142). Cette organisation naturelle s’inscrit dans la centralité du mythe de la terre, très présent dans le discours frontiste, notamment dans la revendication des valeurs traditionnelles (Davies 2001b, p.111).

L’idée principale que nous souhaitions apporter rapidement ici est que, la femme, bien qu’elle soit mise au centre de l’appareil de perpétuation et de reproduction d’un ordre social stable et répondant de valeurs conservatrices chères au Front national, se voit cantonnée dans une position de domination aussi bien dans son rôle social que dans sa vie personnelle. L’opposition du Front national à cette libération de la femme qui fait

drawing on much broader cultural antipathies and ethnocentric judgments, nativism translates them into a zeal to destroy the enemies of a distinctively American way of life. (Higham, 1955, p. 4)

suite à mai 68 et qui perdure, au rythme des modifications du Code civil, est tellement persistante que depuis 1974 et jusqu’à la fin des années 1990, l’idée de créer un revenu pour les femmes au foyer tient bonne place dans les idées du Front national (Davies 2001a, p. 125). Si ce rapport de pouvoir entre les femmes et les hommes s’est quelque peu adouci, d’un point de vue discursif, depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti, il semblerait qu’à part la sourdine mise sur l’instauration d’un revenu pour les femmes au foyer, le positionnement concernant l’avortement soit le même qu’au début des années 1970, puisque Marine Le Pen souhaite le déremboursement des interruptions volontaires de grossesse, souhaitant éviter que celui-ci soit considéré comme « un moyen de contraception comme un autre » (AFP, 2014b).

Si l’idéal de sauvegarde de la nation ne semble plus occuper le devant de la scène rhétorique, il semblerait tout de même que l’idéologie frontiste confère toujours au mot « femme » un sens particulier qui s’exprime dans un certain refus de l’égalité des sexes. Le rapport inclusion/exclusion central à notre effort de problématisation ne se pense alors ici plus en termes d’extériorité au supposé peuple, mais plutôt dans une volonté de différenciation des rôles au sein même de la nation française, d’une hiérarchisation particulière venant structurer les rapports sociaux. À travers ce rapide retour sur la centralité de la famille comme berceau de la France, il apparaît que la femme dans sa nécessité de procréation est reléguée à la subalternité17.

17 « Within the effaced itinerary of the subaltern subject, the track of sexual difference is doubly effaced.

The question is not of female participation in insurgency, or the ground rules of the sexual division of labor, for both of which there is “evidence.” It is, rather, that both as object of colonialist historiography and as subject of insurgency, the ideological construction of gender keeps the male dominant. » (Spivak, 1988, p. 287). L’idée, à travers cette définition du concept de subalternité chez Spivak est que, dans la construction idéologie genrée, la femme, dans son identité subalterne se voit effacée, exclue du discours « dominant ». Dans ce cas précis, nous considérons uniquement les rapports femmes/hommes et non la