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Face à l’oppression de l’État sur la nation : influences poujadistes

CHAPITRE I Contexte et problématique de recherche

1.3 Influences et héritages de la pensée politique du Front national

1.3.3 Face à l’oppression de l’État sur la nation : influences poujadistes

Aborder la pensée de l’Action française et de Charles Maurras nous permet par ailleurs de faire le lien avec un dernier courant politique qui a pu influencer les idées frontistes. Dans ses écrits, Maurras fait la différence entre le pays « réel » et le pays « légal ». Le premier correspond à la classe politique, le second à l’ensemble des Français, Françaises (ibid., p. 243). Cette opposition sera reprise par la suite par le mouvement poujadiste dont les partisanes et partisans estiment que « l’État opprime la nation au lieu de la représenter et de la servir » (Souillac, 2007, p. 19). La naissance du poujadisme, du nom de son meneur Pierre Poujade, nait sous la forme d’un mouvement de contestation lié au déclin des petits commerçants et de l’artisanat (Tristram, 2012) à travers la création de l’Union de défense des commerçants et artisans du Lot en novembre 1953 (Souillac, 2007). Cette formation va, assez rapidement, prendre une déclinaison politique en 1956 suite à l’entrée de 52 députés poujadistes à l’Assemblée nationale (ibid.). La campagne électorale législative poujadiste s’est organisée autour de trois grands thèmes que sont « la défense des "classes moyennes", catégories sociales "défavorisées", l’antiparlementarisme et une forme de néojacobinisme » (ibid.,

p. 177). À partir de janvier 1956, le discours poujadiste opère un glissement vers un discours davantage marqué à l’extrême droite, qui s’exprime notamment dans une hargne déployée à l’encontre des députés de la SFIO et du Parti communiste présents à l’assemblée. Cet anticommunisme affiché est d’ailleurs un point central dans la pensée de Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national, qui est à cette époque élu de la Seine sous la bannière de l’Union et fraternité française (UFF), le parti de Pierre Poujade (ibid.). À cela s’ajoute une dénonciation de la piètre gestion des finances par le gouvernement et du nombre trop important de fonctionnaires qui amène la France à sa perte économique, ainsi qu’une dénonciation de l’action gouvernementale en Algérie, regrettant le manque d’autorité et de fermeté du gouvernement français (ibid.).

La doctrine poujadiste se développe à partir de 1957, notamment à travers la publication de la brochure intitulée Notes et essais sur le poujadisme (Collectif, 1957). Il y est notamment édicté un principe central du mouvement qui s’énonce comme suit :

[l]e poujadisme se conçoit comme la révolte de l’humain contre les modes de vie qui détruisent l’intégrité de l’homme individuel, familial, social, national. Il s’inscrit dans l’histoire de la lutte de l’homme contre l’asservissement aux organismes économiques, sociaux et politiques qui font fi des lois naturelles (ibid., p. 4).

Il se trouve dans cette publication une volonté d’émancipation de l’humain face à la machine et aux différents systèmes mécaniques, qu’il s’agisse du capitalisme qui « le traite comme du bétail et réalise sur sa souffrance [des] sommes colossales » (ibid., p. 11), du corporatisme, du monde intellectuel (Souillac, 2007) ou encore, et cette idée nous interpelle particulièrement au regard du cadre théorique et conceptuel mobilisé dans cette thèse, le rejet de « l’utilisation de notions abstraites, comme « capital », « capitalisme », « démocratie », sur le sens desquelles personne ne s’accorde, [et qui] aboutit à aveugler les Français qui ne distinguent plus la réalité derrière le langage » (Collectif, 1957, p. 10). Il s’agirait ainsi de replacer l’humain au centre des

considérations sociales, et de refaire du nationalisme et du patriotisme les moteurs de l’action collective, au sens où le patriotisme pour les auteurs de la brochure est quelque chose de naturel, d’instinctif, tandis que le nationalisme est « la communion spirituelle avec l’âme de la nation, avec son histoire. Il fait participer au destin temporel et spirituel du peuple considéré comme corps vivant qui se perpétue à travers les siècles et qui nous continuera » (ibid., p. 48-49). Cette dimension organiciste de la société, du patriotisme et du nationalisme fait d’ailleurs écho à la pensée de Maurras qui reste tout de même une référence importante, bien que souvent de manière implicite, des adeptes du poujadisme (Souillac, 2007, p. 385). Les auteurs de la publication y mettent également de l’avant l’importance de leur lutte contre le capitalisme et le communisme dont le développement en France a été permis par les changements provoqués par la Révolution française et qui soumet le peuple à la tyrannie de l’argent et de l’État, peuple qui est d’ailleurs à la merci d’une élite minoritaire. Afin de rétablir une situation qui soit plus favorable au peuple et à sa survie, pour le faire sortir de son asservissement, seule une nouvelle révolution est envisageable (Souillac, 2007).

Malgré un discours populiste, qui prolonge la vision réactionnaire de l’Action française, le mouvement poujadiste se retrouvera en position délicate à partir de mai 1958. La question algérienne et les revendications colonialistes du mouvement le pousseront à pencher vers la théorie du complot. Finalement,

[d]iscréditée de toutes parts et devenue à peu près complètement inactive, l’Union se réfugie sans y croire vraiment dans le rêve d’une tardive adhésion populaire à ses conceptions. Le poujadisme est le résultat politique et vraisemblablement générationnel d’une collision, entre la crise sociale qui frappe le petit commerce et l’artisanat après le retournement de conjoncture de 1952, et la crise institutionnelle qui secoue la République parlementaire depuis 1918 (Souillac, 2007, p. 403).

En dehors de la volonté révolutionnaire du mouvement poujadiste, il est possible de faire plusieurs parallèles avec l’idéologie de l’actuel Front national. D’abord, sur la question coloniale, bien que Marine Le Pen ne revendique pas un retour à l’avant 1962 et une révocation des accords d’Évian, elle souhaite conserver, comme nous le verrons plus bas, une emprise sur les territoires et collectivités d’outre-mer, et s’oppose ainsi au référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Ensuite, nous retrouvons, bien qu’il soit formulé différemment, dans les discours de Marine Le Pen ce fameux rejet du système et des élites, cette dénonciation de la corruption et de l’asservissement du peuple par une poignée de personnes privilégiées qui n’ont d’intérêt que pour leur réélection et/ou leur carrière professionnelle à la suite de leur mandat. Enfin, sur la question du patriotisme et du nationalisme, cet attachement aux valeurs, à l’histoire et aux racines françaises fait également écho au roman national que la présidente de la formation d’extrême droite ne manque pas de réaffirmer, nationalisme qui permettra à la France de retrouver sa gloire et sa grandeur d’antan.

L’objectif de ce bref retour historique n’est pas tant de venir accoler des étiquettes aux idées du Front national. Plutôt, nous avons mis de l’avant le fait que le discours d’opposition entre le peuple et les élites, que beaucoup inscrivent d’ailleurs à la base du populisme politique, ne date pas d’hier. Bien au contraire, cette pensée a accompagné le développement de la République au long de son histoire. C’est d’ailleurs la IIIème qui en aura fait particulièrement les frais. L’instabilité

gouvernementale et parlementaire de l’époque en est très certainement la raison principale. Les enjeux soulevés par le moment colonial, et que nous détaillons à la suite de notre chapitre d’analyse, entrent également en ligne de compte. Finalement, la construction discursive de l’ennemi intérieur aura également joué un rôle important dans l’émergence et le développement des mouvements populistes de l’époque.