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CHAPITRE I Contexte et problématique de recherche

1.2 Contexte politique

1.2.2 De l’anti-communisme à l’anti-immigrationnisme

1.2.2.2 La menace de l’européanisation

Malgré la prépondérance de la question de l’immigration dans l’idéologie du Front national, il faut noter qu’elle n’est plus forcément la seule à être utilisée lorsqu’il s’agit de pointer un ennemi commun. Du fait de l’augmentation de la mobilisation politique du thème de l’immigration comme portant atteinte au bon vivre ensemble et à la prospérité de la société française, le Front national décide donc d’élargir ses horizons et de doubler son rejet de l’étranger par un rejet de l’Europe comme union économique. Cependant, « cette stratégie de démarcation fonctionne moins bien, parce qu’il n’est pas le seul à occuper ce créneau » (Ibid., p.65).

13 La liste complète des signataires est disponibles à l’adresse suivante :

https://www.liberation.fr/societe/2009/12/04/nous-exigeons-la-suppression-du-ministere-de-l-identite- nationale-et-de-l-immigration_597222

Le Front national de Jean-Marie Le Pen s’oppose principalement à l’Europe économique de Schengen14. Ainsi, le développement de cet espace viendra notamment ponctuer le discours frontiste, puisque voyant les frontières s’ouvrir progressivement, Jean-Marie Le Pen réaffirme que la France « had a duty to protect its territory 'reasonably and firmly' and that its frontier should not be allowed to become 'an enormous sieve'.At times, FN rhetoric became even more emotive. In 1995 the party newsletter announced 'Our frontiers have disappeared' » (Davies, 2001a, p. 102). Cette même Europe économique est celle qui débat notamment depuis de longues années sur l’entrée de la Turquie au sein de l’Union européenne, entrée à laquelle le Front national s’oppose totalement, puisque la Turquie ne partage pas ce que Le Pen considère comme l’identité européenne. Ainsi, « FN writers claim that the Europe of Brussels is the negation of nations and national identities. For the reasons cited earlier, the party maintains that a purely economic arrangement can only lead to the destruction of nations and an acceleration of decline » (Ibid., p. 104). Le rapport de pouvoir s’inscrit ici dans l’opposition entre une Europe politique détenant une forte légitimité historique selon le chef du Front national, et une Europe économique, montée de toutes pièces, dont la prospérité ne peut qu’entraîner la perte de chacune des nations qui la compose. La démocratie française est, dès lors, vouée à sa perte, puisque sa souveraineté est perçue et présentée comme attaquée par les instances supra-étatiques.

14 L’espace Schengen, dont l’élaboration a débuté en 1985, est basé sur un accord Européen réunissant

aujourd’hui 26 pays dont 22 sont membres de l’Union européenne. Il comprend ainsi « tous les pays de l’UE à l’exception de la Bulgarie, de la Croatie, de Chypre, de l’Irlande, de la Roumanie et du Royaume- Uni [et intègre également] l'Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse » (Union Européenne, 2016). Cet accord vise à garantir la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services en son sein par l’abaissement de certaines barrières juridiques, bureaucratiques et techniques ainsi que par la suppression des contrôles aux frontières intérieures. (Ibid.)

L’euroscepticisme du FN prend donc racine dans une volonté de réaffirmation de la souveraineté nationale française par opposition à une intégration européenne (Goodliffe, 2015) arbitraire – mise en place et dictée par le système auquel le parti s’oppose – et injuste à l’égard du peuple français. Les idées du Front national, notamment à travers la mise en avant d’une politique nativiste, d’un certain autoritarisme et d’un discours populiste (Mudde, 2007) semblent dès lors l’inscrire dans un mouvement plus global relié aux partis populistes de la droite radicale (PPDR) (Ivaldi, 2018). De par leur défense de l’intérêt national, ces PPDR tendent à opposer la sauvegarde de la nation à la construction de l’Union européenne dans un objectif électoraliste (Gómez-Reino et Llamazares, 2013 ; Ivaldi, 2018 ; Mudde, 2007 ; Werts et al., 2013).

À travers la volonté de défense de la souveraineté française, le FN participe d’une nouvelle séparation – dans ce rapport intérieur/extérieur – entre ceux qu’il qualifie de « mondialistes », adeptes du modèle européen, et les « patriotes » dont on devine que les intérêts sont portés vers la défense de la France et vers sa survie dans une situation de crise politique et économique (Ivaldi, 2018 ; Ivaldi et al., 2017). En effet, face aux représentants du « système » se mettant en scène comme les porteurs de changement (Reungoat, 2015), le Front national souhaite conserver sa place comme producteur de sens, comme point de repère pour les personnes se sentant menacées par l’Union européenne, et joue ainsi la carte de la consolidation d’une identité « intérieure » dans l’opposition à l’Autre, nous rappelant alors le mécanisme de constitution d’un ennemi extérieur développé par Girard (2006).

Cette crise a d’ailleurs joué un rôle important dans le développement du discours frontiste vis-à-vis le développement et la pérennité de l’Union européenne, au sens où, « this stable Eurosceptic platform has provided the basis for the politicization of the EU crises by the FN. The FN has been able to draw from its established Eurosceptic

platform in order to ‘perform’ the crises and has adjusted its issues priorities accordingly » (Ivaldi, 2018, p. 285). En ce sens, le discours du Front national s’est davantage orienté vers la défense d’une « autre » Europe, l’Europe des nations, qui, à la lumière de la victoire du « non » au référendum de 2005 pour un nouveau traité européen et de la crise financière de 2007-2008, serait la réponse au marasme politique dans lequel la France s’est engluée avec le temps (Mudde, 2007 ; Reungoat, 2015 ; Rozenberg, 2011).