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CHAPITRE II Cadre conceptuel

2.1 Identification et rhétorique

2.1.1 Importance du mythe et des idéographes

La perspective de McGee se base sur une conception du pouvoir véhiculé dans le langage, à travers une certaine idéologie. Nous voyons chez McGee une certaine centralité du sens donné au vocabulaire employé dans le discours. Ce vocabulaire aurait en effet, selon lui, le pouvoir de rassembler ou de diviser les individus. Il écrit

it seems reasonable to suggest that the functions of uniting and separating would be represented by specific vocabularies, actual words or terms. With regard to political union and separation, such vocabularies would consist of ideographs. Such usages as ‘’liberty’’ define a collectivity, i.e., the outer parameters of a society, because such terms either do not exist in other societies or do not have precisely similar meanings. (McGee, 1999b, p. 430)

C’est à travers cette idée d’idéographes que McGee pense l’identification des individus à une société spécifique, à un discours particulier, ce sentiment d’appartenance répondant à la fois du mythe et de l’idéologie (Ibid., p.427). Cependant, de la même façon que Burke faisait de la distinction le pendant de l’identification, McGee fait de la différence de langage le signe par excellence de différenciation des communautés (Ibid., p.429). En effet, en prenant en compte les différences langagières, mais aussi les différences culturelles sous-jacentes, il nous est possible d’imaginer que les pratiques et les usages sont différents. De fait, une communauté pourra dès lors se construire autour du symbole de la langue commune. Mais au-delà de la question de la langue à proprement parler, demeure le problème du sens attribué à certains termes, à ces idéographes. En analysant la signification associée à chaque terme central, à chaque idéographe, « [o]ne can therefore precisely define the difference between the two communities, in part, by comparing the usage of definitive ideographs » (McGee, 1999b, p. 430).

L’idéographe de McGee a un certain nombre de caractéristiques. D’abord, « [a]n ideograph is an ordinary-language term found in political discourse. It is a high-order

abstraction representing collective commitment to a particular but equivocal and ill- defined normative goal » (Ibid,. p.435). Ensuite, ces idées fortes peuvent être présentées comme guidant un comportement, « [i]t warrants the use of power, excuses behavior and belief which might otherwise be perceived as eccentric or antisocial, and guides behavior and belief into channels easily recognized by a community as acceptable and laudable » (Idem). On verra par exemple l’utilisation du terme des droits humains comme justifiant une invasion, dans le cas du déclenchement de la guerre en Irak ; la laïcité comme justifiant le rejet d’une partie de la population française désignée comme victime-émissaire sous couvert d’une orientation religieuse différente, considérée comme néfaste (Desilet et Appel, 2011, p. 349) – on pensera notamment à la comparaison entre les prières de rue et l’Occupation faite par Marine Le Pen en 2010 comme mobilisation d’un certain pathos négatif (Kacprzak, 2013, paragr. 1) – ou encore par une certaine conception occidentale de la liberté. Toujours est-il que ces termes définissent les collectivités d’appartenance, car « such terms either do not exist in other societies or do not have precisely similar meanings » (Ibid., p.430). Ceci amène donc l’idée que ces idéographes sont définis culturellement et revêtent donc un sens spécifique en fonction de leur lieu de définition. Dans le cas spécifique qui nous intéresse, le sens qui est investi dans ces idéographes vise à réunir les collectivités autour d’une signification idéologique particulière qui fait état d’une volonté politique propre. Il s’agit ainsi de constituer et de réaffirmer l’existence d’une opposition fondamentale entre intérieur et extérieur, entre les personnes incluses au sein de la communauté qui comprennent et partagent le sens donné à un idéographe, et les personnes exclues qui ne peuvent le comprendre. En fait, si les personnes exclues peuvent saisir la logique du discours, il peut parfois leur manquer quelques éléments culturels ne leur permettant pas de comprendre pleinement ces idéographes de la manière entendue par l’orateur

En fait, cette considération des idéographes et de leur définition cadrée et orientée par les différentes communautés nous amène à une seconde idée forte de McGee, à savoir la centralité de l’utilisation des mythes dans la définition du peuple, et par conséquent, dans le processus rhétorique (McGee, 1999a, p. 345). Le mythe a plusieurs effets « it gives specific meaning to a society’s ideological commitments; it is the inventional source for arguments of ratification among those seduced by it […] » (McGee, 1999a, p. 346) Les mythes s’inscrivent donc comme les formes narratives permettant de définir un peuple, et par la bande, son extérieur. Ils créent une unité sociale, « [i]ndeed, "the people” are the social and political myths they accept » (Ibid., p.348). Finalement, les mythes et les idéographes sont étroitement liés. Tandis que d’un côté, les idéographes sont chargés du sens que le leader d’une communauté leur attribue, cette même communauté est mise en place par les mythes qui la structurent et qui sont véhiculés pour la structurer. Ainsi, la vie collective est structurée par un ensemble de mythes, de représentations et de normes qui permettent l’exercice du pouvoir et qui sont contenues dans le discours. Ainsi, « [n]ul ne réussira à exercer le pouvoir sans recourir à certains termes et à certaines locutions » (Charland, 2003, p. 80). C’est ainsi le sens dont sont investis ces idéographes qui nous intéressera ici, et notamment leur utilisation comme agents de mobilisation ou d’exclusion de certaines franges de la population, de ceux qui sont considérés comme dans le peuple ou hors de celui-ci à travers les prises de parole de Marine Le Pen.