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la qualité du privilège, principal critère de classement des droits de préférence des privilèges

Dans le document La réalisation des sûretés réelles (Page 167-171)

Conclusion du Chapitre 2 et du Titre 1

Section 1. De lege lata, une satisfaction imparfaite

A. Le classement interne des sûretés réelles, le maintien de principes concurrents

2. la qualité du privilège, principal critère de classement des droits de préférence des privilèges

166. Oppetit, en 1981, s’interrogeait ainsi. « Qui aujourd’hui pourrait prétendre à être en mesure, à l’occasion d’une procédure collective, de dresser une liste exhaustive des innombrables privilèges créés au fil des lois particulières et de leur appliquer un ordre de classement certain »620 ? Cette question est malheureusement toujours d’actualité et doit être étendue à l’ensemble des classements, qu’ils aient lieu en dehors ou dans le cadre d’une procédure collective. L’ordonnance du 23 mars 2006 portant réforme du droit des sûretés n’y a rien changé.

En 2006, le législateur a consacré des principes généraux de classement mais il ne s’est pas attaqué aux causes fondamentales de la complexité, la multiplicité et l’éparpillement des privilèges, ainsi qu’au caractère subjectif de leur critère de classement. La loi énonce que les privilèges se classent, en principe, selon leur qualité (1). La qualité du privilège est déterminée par le législateur qui octroie un privilège à certains types de créances. C’est en réalité la qualité de la créance qui fonde le privilège. Compte tenu de la manière dont sont déterminés les privilèges, l’utilisation de la qualité de la créance comme critère de classement est, malgré les apparences, un critère subjectif. Parfois, ce critère s’avère insuffisant à régler le conflit et à établir l’ordre. Il est alors nécessaire de le compléter pour procéder au classement hiérarchique (2).

a) Le principe de classement subjectif, la qualité de la créance

167. Le critère subjectif de la qualité de la créance. Toutes les créances ne sont pas assorties

d’un privilège. Le privilège est « un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être

préféré aux autres créanciers, même hypothécaires. » 621 Le législateur accorde, par un texte622, une faveur623 à un créancier624 dont il estime la créance importante 625.

620

B.OPPETIT, La décodification du droit commercial, Mélanges Rodière, Dalloz, 1981, p. 197, spéc. p. 202

621

Article 2324 du Code civil (Article 2095 anc)

622

Il n’y a pas de privilège sans texte et les privilèges sont d’interprétation stricte.

623

Etymologiquement, le mot privilège provient du mot latin « privilegium », lui-même composé de « privus » et de « lex » et qui signifie littéralement « loi exceptionnelle prise en faveur d’un particulier ». Etymologiquement, le mot privilège provient du mot latin « privilegium », lui-même composé de « privus » et de « lex » et qui signifie littéralement « loi exceptionnelle prise en faveur d’un particulier ».Voir : A.REY,M.TOMI,T.HORDÉ, C.TANET,

Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaire Le Robert, Paris, 1992.

624

Voir : M.CABRILLAC,C.MOULY,S.CABRILLAC,P.PÉTEL, Droit des sûretés, Manuel, Litec, 9ème éd., 2010, spéc. n° 647. Ces auteurs apportent une nuance. Certes le législateur privilégie un créancier mais ce n’est pas toujours la protection des droits du créancier qui justifie la naissance du privilège. La faveur peut être faite au débiteur, « auquel

cette garantie permet d’engager des dépenses que le législateur estime dignes d’un intérêt particulier ; par exemple, le privilège des frais funéraires n’a pas été conçu en faveur des entreprises de pompes funèbre mais plutôt les proches du défunt »

625

Voir, par exemple, M. DAGOT, Les sûretés, Puf, Thémis droit, 1981, spéc. p. 145 ; M. DAGOT, La notion de privilège, in Mélanges C. Mouly, Tome 2, Litec 1996, p. 325 ; M.MIGNOT, Droit des sûretés, Montchrestien, LMD,

Le Code civil énonce qu’ « Entre les créanciers privilégiés, la préférence se règle par les

différentes qualités des privilèges. »626. En revanche, en matière de privilèges du Trésor, il est précisé que « Le rang des privilèges est déterminé d'après la qualité attachée par la loi à la

créance qu'ils garantissent »627. Toutefois, le critère retenu est le même. En effet, la qualité du privilège lui est donnée par la qualité de la créance qui le fait naître, c’est donc bien la qualité de la créance qui permet d’opérer un classement entre les privilèges.

Le critère qualitatif énoncé par la loi est, contrairement au critère de l’antériorité de l’inscription, un critère subjectif car le privilège est accordé à un créancier dont la créance est jugée importante, dont les intérêts sont dignes, aux yeux du législateur, d’être protégés.

168. L’application aux privilèges généraux mobiliers. En matière de privilèges généraux

mobiliers, il est fait une parfaite application de ce critère qualitatif. L’article 2331 du Code civil propose un classement des privilèges généraux mobiliers civils qu’il convient d’articuler avec les privilèges généraux du Trésor628. La loi ne précise cependant pas comment cette articulation a lieu. A l’appui de l’article 1920 du CGI, la jurisprudence629

, la doctrine630et l’administration fiscale631

ont adopté une règle de conflit. Les privilèges généraux du Trésor de premier rang632 priment les privilèges généraux et spéciaux du droit civil, à l’exception des frais de justice si ces derniers ont été utiles633. Les privilèges du Trésor de second rang634 sont primés par les privilèges généraux et spéciaux du droit civil.

Le législateur, le juge ou la doctrine ont, par nécessité, complété le critère qualitatif par un autre critère tantôt chronologique – en matière de privilèges spéciaux mobiliers – tantôt publicitaire – en matière de privilèges spéciaux immobiliers.

coll dir. B. Beigner, 2010, spéc. n°1800 ; M.CABRILLAC,C.MOULY,S.CABRILLAC,P.PÉTEL, Droit des sûretés, Manuel, Litec, 9ème éd., 2010,spéc. n° 647

626

article 2325 du Code civil contenu dans le sous-titre1 « Dispositions générales » 627

Inst. Codificatrice n°09-014-A du 1er juillet 2009, BOCP juil. 2009, spéc. titre 1 chap. 1 n° 4. ; Feuillets de

documentation pratique F. Lefèbvre, Recouvrement, 2011, spéc. n°2010

628

Voir notamment les articles 1920, 1924, 1926, 1929 sexies du CGI

629

A propos du privilège des salariés voir : CA Douai, 14 juin 1984, D. 1985, J, p. 43, note F.DERRIDA ; voir aussi J.

DADOUCHE, Des difficultés de classement des privilèges s’exerçant dans la procédure de distribution par voie d’ordre et de contribution faisant suite à la vente, LPA n°41, 4 avril 1990, p. 20, spéc. p. 21 ;

630

N. SEMPÉ, Essai de contribution à une théorie générale des privilèges, Th. Toulouse, 1996, spéc. p. 324 ; P.

DELEBECQUE,F.-J.PANSIER, J.-Cl. Droit Civil, Fasc. Art. 2096-2097, spéc. n°16

631

Inst. codificatrice CP 1er juillet 2009, 09-014-A titre 1 chap. 1 n° 4

632

i.e les contributions directes, taxes sur le chiffre d’affaire et taxes assimilées, taxes départementales et communales, droit d’enregistrement et droit de timbre et contributions indirectes

633 Cass. Com. 19 oct. 1970, n°69-11606 ; Bull Civ. IV, n°272; Voir aussi N.SEMPÉ, Essai de contribution à une

théorie générale des privilèges, Th. Toulouse, 1996, spéc. p. 324

634

b) Les critères complémentaires de classement

169. Le classement complexe des privilèges spéciaux mobiliers. Les privilèges spéciaux

mobiliers entrent rarement en conflit à cause de leur nature spéciale. Toutefois, lorsque cela survient, il est nécessaire d’établir un classement.

Ces privilèges sont multiples et éclatés dans divers codes. De plus, la loi n’établit ni de liste exhaustive de ces privilèges, ni de classement bien ordonné. Elle édicte seulement des règles ponctuelles et quelques règles générales codifiées à droit constant635. Par exemple, l’article 2332-3 du Code civil a vocation à classer les privilèges du bailleur, du conservateur et du vendeur lorsque ces derniers entrent en concours. Ce texte fait application de la classification tripartite et des règles de conflit dégagées par la doctrine pour pallier les manquements de la loi636. Il convient peut-être de lui donner une portée plus large.

Pour le classement interne, les privilèges fondés sur l’idée de gage et sur l’idée de d’accroissement de la richesse du débiteur se classent entre eux selon la règle chronologique de l’antériorité637. A l’inverse, les privilèges basés sur l’idée de conservation se classent selon la règle chronologique de la postériorité638.

Pour le classement externe, lorsqu’un privilège de conservation entre en conflit avec un privilège fondé sur l’idée de gage, si le privilège de conservation est antérieur, le privilège fondé sur l’idée de gage l’emporte. En revanche, si le privilège de conservation est postérieur, il l’emporte.

Lorsque le conflit oppose le privilège de conservation et le privilège fondé sur l’idée d’enrichissement du débiteur, le premier prime sur le second dans tous les cas où le second a profité de la conservation.

Enfin, lorsqu’un privilège relevant de l’idée de gage et un privilège relevant de l’idée d’enrichissement du débiteur entrent en conflit, la préférence va au premier de ces créanciers sauf s’il est démontré qu’il connaissait l’existence des autres privilèges639

et sauf exception légale640.

635

Le gouvernement n’avait pas été habilité à légiférer par voie d’ordonnance en matière de privilèges. Voir notamment, dans ce sens : M.CABRILLAC,C.MOULY,S.CABRILLAC,P.PÉTEL, Droit des sûretés, Manuel, Litec, 9ème éd., 2010, spéc. n°1011 ; P.SIMLER,P.DELEBECQUE, Droit civil, Les sûretés, La publicité foncière, Précis, Dalloz, 6ème éd. 2012, spéc. n°828 ; D.HOUTCIEFF, Droit des sûretés, Lamy 2011, spéc. nos233-77 et s ; O.BARRET, Rép. de

droit civil, Dalloz, mars 2010, nos151 et s.

636

Voir par exemple : G.MARTY,P.RAYNAUD,P.JESTAZ, Les sûretés – La publicité foncière, Sirey, Droit civil, 2ème éd. 1987, spéc. nos 495 et s. et 501 et s

637

Pour les privilèges fondés sur l’idée de gage tacite, voir l’article 1752 du Code civil et M.CABRILLAC,C.MOULY, S.CABRILLAC,P.PÉTEL, Droit des sûretés, Manuel, Litec, 9ème éd., 2010, spéc. n°1021 ; O.BARRET, Rép. de droit

civil, Dalloz, mars 2010, no151 ; G.MARTY,P.RAYNAUD,P.JESTAZ, Les sûretés – La publicité foncière, Sirey, Droit civil, 2ème éd. 1987, spéc. n°495

638

Article 2332-3 5° du Code civil

639

Voir par exemple : Voir article 2332 5° du Code civil « 2° le privilège du bailleur d’immeuble, qui ignorait

l’existence des autres privilèges ; […] 4°Le privilège du vendeur de meuble. 5°le privilège du bailleur d’immeuble, qui connaissait l’existence des autres privilèges.[…] ». Cass. Com. 9 mars 1977, Bull. Civ. IV, n°81 ; JCP N 1979, II, 81,

170. Les règles complémentaires de classement des privilèges mobiliers spéciaux. Toutefois,

ces principes ne suffisent pas à englober l’ensemble des privilèges spéciaux et à résoudre l’ensemble des conflits. Des textes spéciaux énoncent des règles de conflit qui ne relèvent pas de la même logique et qui se trouvent alors dans une catégorie « fourre-tout » ou « Dispositions

spéciales »641. Il s’agit par exemple des textes relatifs aux privilèges fluviaux, qui priment les privilèges du Trésor (à l’exception du privilège général du Trésor642

), les hypothèques fluviales et tous les privilèges généraux et spéciaux.

171. Le recours à la publicité en matière de privilèges immobiliers. En matière de privilèges

immobiliers, le législateur a, à côté du critère de la qualité de la créance, fait appel au critère de la publicité. Ainsi, les privilèges immobiliers spéciaux et les hypothèques légales sont soumis à une publicité obligatoire.

Toutefois, il est tenu compte de la qualité de la créance dans les effets produits par cette inscription. En matière de privilèges immobiliers, l’inscription, effectuée dans les délais impartis643

, fait rétroagir la prise de rang au jour de la naissance de la créance644.

En revanche, les hypothèques légales645 prennent rang, en principe, au jour de leur inscription. Pour ces sûretés, l’inscription peut être antérieure à la prise de rang. Par exemple, en matière d’hypothèque légale des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts. L’hypothèque

note FLÉCHEUX à propos d’un conflit entre un nantissement de marché public et un nantissement du pluviôse ; voir aussi G.MARTY,P.RAYNAUD,P.JESTAZ, Les sûretés – La publicité foncière, Sirey, Droit civil, 2ème éd. 1987, spéc. n°504

640

Le vendeur d’ustensiles agricoles, de semences d’engrais et de produits de traitement prime le privilège du bailleur (Article 2332 1er al. 4 du Code civil). Pour certains auteurs, cette exception a vocation à favoriser le crédit à l’exploitant ( voir dans ce sens M.CABRILLAC,C.MOULY,S.CABRILLAC,P.PÉTEL, Droit des sûretés, Manuel, Litec, 9ème éd., 2010,spéc. n°1011). Pour d’autres, elle est justifiée par le double fondement du privilège, à la fois privilège de conservation et privilège du vendeur. Le créancier privilégié est assimilé à un créancier gagiste. Cette dernière thèse est toutefois sujette à critiques car le gage n’est pas toujours avec dépossession (P.MALINVAUD, Le privilège du bailleur et les meubles qui n’appartiennent pas au preneur, in Mélanges Voirin, LGDJ 1967, p. 578 ; voir aussi H., L., J., MAZEAUD,F.CHABAS, Sûretés, Publicité foncière, Leçons de droit civil, par Y.PICOD, Montchrestien, 11ème éd. 1999, spéc. n°164 qualifiant ces privilèges de quasi gages et en précisant qu’ils sont au gage ce que les quasi contrats sont au contrat ; P.SIMLER, J-Cl. Civil Code, Privilèges mobiliers spéciaux, fasc. n°20, spéc. n°2)

641

P.DELEBECQUE,F.-J.PANSIER, J.-Cl. Civil Code, Fasc. Art. 2096 et 2097 du Code civil, 1er août 2004, spéc. nos 76 et s. ; J.-Cl. Civil Code, Fasc. Art. 2096 et 2097 du code civi, août 2014.

642

Cass. Com. 3 févr. 1998, n°95-18.690 ; Bull. Civ. IV, n°59; D. Aff. 1998, p. 416, obs. X.D.; JCP G, 1998, I, n° 149,

n°20, obs. P.DELEBECQUE; D. 1998, p. 375, obs. S.PIEDELIÈVRE

643

Par exemple, en matière de privilège du vendeur, le délai de publicité est de deux mois à compter de l’acte de vente.

644

Lorsque la publicité est hors délai, le privilège prend rang au jour de son inscription ; Voir M. CABRILLAC,C. MOULY,S. CABRILLAC,P. PÉTEL, Droit des sûretés, Manuel, Litec, 9ème éd., 2010, spéc. n° 870 ; L. AYNÈS,P. CROCQ, Les sûretés, la publicité foncière, Droit civil, Defrénois, 8ème éd., 2014, spéc. n°704

645

Les hypothèques légales sont multiples et morcelées dans différentes sources. Principalement, les hypothèques légales résultent de l’article 2400 du Code civil et du code général des impôts et de la sécurité sociale. Article 2400 du Code civil

légale garantissant la créance de participation peut être inscrite dans le contrat de mariage mais elle ne prendra rang qu’au jour de la dissolution du régime matrimonial646.

Une fois le classement interne établi, vient le temps du classement externe. L’établissement de l’ordre interne des classements nécessite déjà la coordination de nombreux principes. Le classement externe s’avère tout aussi difficile.

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