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La création de modes de réalisation extra judiciaires spécifiques aux sûretés réelles

Dans le document La réalisation des sûretés réelles (Page 87-91)

Section 2. Le second critère de l’option : la réalisation amiable ou la réalisation forcée

B. Les deux phases de la déjudiciarisation des modes de réalisation

2. La création de modes de réalisation extra judiciaires spécifiques aux sûretés réelles

63. L’absence d’intervention du juge. Les modes de réalisation extra judiciaires se

caractérisent par l’absence totale d’intervention du juge, même à des fins d’autorisation ou de contrôle.

L’ordonnance du 23 mars 2006 a consacré le recours à l’attribution en propriété. Puis, la loi du 27 février 2007 a créé la fiducie et le décret du 31 janvier 2009 est venu préciser le régime de la fiducie-sûreté. En principe, cette sûreté se réalise par l’attribution en propriété du bien au bénéficiaire ou à la vente du bien par le fiduciaire qui procède ensuite à la répartition du prix.

64. Les attributions conventionnelles et légales en propriété. Les attributions

conventionnelles et légales en propriété sont des modes de réalisation se caractérisant par leur grande souplesse et par la place importante accordée à la volonté contractuelle.

En effet, les parties au contrat de fiducie ou à un pacte commissoire peuvent prévoir les modalités du transfert de propriété du bien314. En cela, ces attributions sont des modes de réalisation amiable. Même lorsque la convention des parties reste silencieuse, les règles de droit commun, qui sont applicables aux attributions conventionnelles et légales en propriété, n’imposent pas de recourir aux procédures civiles d’exécution. Comme il sera expliqué par le chapitre suivant, les attributions en propriété conventionnelles et judiciaires vont en principe être générées, à la défaillance du débiteur, par un acte de volonté du créancier. Reste alors au constituant à remettre le bien à son nouveau propriétaire. L’attribution de l’immeuble implique également la rédaction d’un acte notarié et la remise des clés. La procédure de réalisation est donc entièrement amiable. Ce n’est qu’en cas de résistance de la part du constituant ou en cas de refus de restituer le bien, que le créancier a recours aux procédures civiles d’exécution

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Voir les articles 2459en matière d’hypothèque, 2348 en matière de gage, 2372-3, 23172-4 et 2488-3 en matière de fiducie-sûreté ; Voir notamment aussi sur les attributions conventionnelles en propriété, P.DELEBECQUE, Le régime des hypothèques, JCPE 2006, suppl. n°20, I, 8 ; G.FLORA, La réalisation de l’hypothèque, Perspectives, RLDA, mars 2007, p.96 ; L.AYNÈS et P.CROCQ, Les sûretés, la publicité foncière, Defrénois, 8ème éd. 2014, spéc. n°512 ; Sur la fiducie-sûreté voir notamment : F.ZENATI,T.REVET, Les biens, PUF. Droit fondamental, 3°éd., janv. 2008, n° 287 ;

65. La vente, mode de réalisation de la fiducie-sûreté. La fiducie-sûreté à trois personnes peut

se réaliser par une vente si les parties le prévoient dans le contrat de fiducie. Toutefois, se pose la question de la nature de cette vente315. S’agit-il d’une vente de gré à gré, d’une vente par adjudication amiable ou judiciaire ? Au regard du silence de la loi, les parties semblent pouvoir choisir la forme de la vente. En l’absence de choix des parties, ce dernier revient au le fiduciaire316

. La vente peut donc s’opérer de gré à gré, par adjudication amiable ou judiciaire. Notons que si a vente par adjudication judiciaire est théoriquement envisageable, pour des raisons de coût et de rapidité, elle demeurera une hypothèse d’école. Néanmoins, en cas d’option pour la vente forcée du bien selon les procédures civiles d’exécution, le caractère d’ordre public de ces règles impose qu’elles s’appliquent dans leur intégralité. Comme en matière de soumission volontaire au statut des baux commerciaux, le caractère volontaire de la soumission n’autorise pas les parties à segmenter le régime applicable. Admettre une telle possibilité mettrait à mal le caractère d’ordre public de ces procédures ainsi que leur cohérence.

66. Un mode de satisfaction idoine au nantissement de créance. Le législateur a également

développé un mode de satisfaction propre au nantissement de créance. Le créancier bénéficiaire, s’il notifie sa sûreté au débiteur de la créance nantie, acquiert un droit exclusif au paiement. Si la créance nantie arrive à échéance avant la créance garantie, le créancier nanti perçoit les sommes qu’il doit conserver sur un compte bancaire. A l’inverse, si la créance garantie est échue avant la créance nantie, le créancier attend l’échéance de la seconde et perçoit les sommes nécessaires au recouvrement de sa créance317. Ce droit au paiement direct ne constitue pas réellement un mode de réalisation. C’est plutôt un aménagement des modalités d’exécution de la créance nantie. Toutefois, elle apporte satisfaction au créancier sans intervention du juge.

67. Le maintien de la prohibition nuancée de la clause de voie parée. Malgré ce phénomène

de déjudiciarisation, le législateur n’a pas entièrement sauté le pas. Contrairement au droit

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Question soulevée à propos de la loi du 19 février 2007, notamment par P.CROCQ, Lacunes et limites de la loi au regard du droit des sûretés, in Dossier Fiducie, D. 2007.1356, spéc. n°9 ; P.-M. LE CORRE, La fiducie-sûreté, un instrument de sécurisation de la bonne exécution du plan de sauvegarde ou de redressement, D. 2009 p. 882

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L.GALLIEZ,F.POUZENC,La fiducie-sûreté : modes d’emploi, in Fiducie, 107° Congrès des notaires de France, Dr

et Patr. Sept. 2011, p. 34 et s

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américain, allemand et belge pour la matière mobilière318, il n’a pas levé la prohibition de la clause de voie parée. Au contraire, il a réaffirmé son attachement à cette interdiction319.

La clause de voie parée est « une clause préparée »320 qui peut être définie comme une stipulation contractuelle « qui permet de vendre [le bien] à l’amiable sans autorisation de justice »321.

La prohibition de la clause de voie parée consiste donc à contraindre le créancier qui souhaite réaliser sa sûreté par la vente forcée, à utiliser les procédures civiles d’exécution322.

Le principe d’interdiction a été maintenu par la réforme des sûretés en dépit des atténuations apportées par la jurisprudence antérieure. En effet, antérieurement à l’ordonnance du 23 mars 2006, à l’instar du pacte commissoire, les juges prohibaient la clause de voie parée lorsqu’elle était conclue concomitamment à la sûreté323. La clause de voie parée postérieure à la convention d’hypothèse était valable. Cette validité devrait demeurer324

dans la mesure où les juges admettent que l’interdiction protège des intérêts privés. Le titulaire du droit peut y donc renoncer, une fois son droit né325. La réforme de 2006 n’ayant pas modifié les règles régissant cette interdiction, le maintien des règles jurisprudentielles antérieures paraît s’imposer.

68. La vente dans la fiducie-sûreté, une vente de gré à gré respectant le principe de prohibition de la clause de voie parée. Lorsque les parties à une fiducie-sûreté à trois personnes

choisissent de réaliser leur sûreté par une vente de gré à gré, l’utilisation d’une telle vente n’est pas contraire à la prohibition de la clause de voie parée car le bien n’appartient plus au constituant et n’appartient pas encore au créancier. Il est la propriété d’un tiers, le fiduciaire, dont la mission est dans ce cas de vendre le bien et remettre le prix au créancier lors de la défaillance du débiteur. Techniquement, l’utilisation de la vente amiable comme mode de réalisation de la fiducie-sûreté ne contrevient pas à la prohibition de la clause de voie parée. Néanmoins, dans l’esprit de la

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Pour le droit allemand, voir F.-X.LICARI, Les principales sûretés réelles en droit allemand : fiducie et clause de réserve de propriété, Droit des sûretés, Lamy 2013, spéc. n°523-60 ; Pour le projet de réforme du droit belge, voir article 56 du projet http://justice.belgium.be/fr/publications/hervorming_zekerhedenrecht.jsp ; Pour le droit américain, voir article 9 du UCC

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Les articles 2346 et 2458 du Code civil, disposent que lorsque le créancier poursuit la vente du bien hypothéqué ou gagé, il doit le faire « selon les modalités prévues par les lois sur les procédures civiles d'exécution, auxquelles la

convention d'hypothèque [ou de gage] ne peut déroger ». Par les mécanismes de renvoi aux règles du gage et de

l’hypothèque, la prohibition est générale et s’étend aux nantissements, gages immobiliers et à l’ensemble des privilèges.

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Y.PICOD, Droit des sûretés, Puf, Thémis Droit, 2ème éd. 2011, spéc. n°323

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L.AYNÈS et P.CROCQ, Les sûretés, la publicité foncière, Defrénois, 8ème, 2014, spéc. n°512

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Initialement, cette clause permettait au créancier bénéficiaire d’une hypothèque, en cas de non-paiement, de faire vendre le bien hypothéqué, aux enchères par devant notaire, sans passer par la procédure de saisie immobilière. Pour une définition voir P.BESNARD, De la clause de voie parée, Th. Paris, 1907, spéc. p. 1 (pour une définition) pp. 3 à 4 (pour des exemples de clause) ; G.CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Puf, Quadrige, 2009.

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Cass. Civ. 25 mars 1903, DP 1904, 1, p. 273, note G.GUÉNÉE

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P.DUPICHOT, La réforme du régime hypothécaire, in dossier la réforme des sûretés, D. 2006 p. 1291 ; Y.PICOD,

Droit des sûretés, Puf, Thémis Droit, 2ème éd. 2011, spéc. n°323 ; Voir aussi P.THÉRY, Sûretés et publicité foncière, Puf, coll. Droit fondamental, 2° éd., 1998, spéc. n°183

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prohibition, l’utilisation d’une telle vente est contraire à cette interdiction dans la mesure où elle aboutit à ne pas utiliser la vente forcée des procédures civiles d’exécution.

69. Vers la levée de l’interdiction de la clause de voie parée ? Cependant, il est peut-être

temps pour le législateur de se prononcer en faveur de la levée de l’interdiction de principe de la clause de voie parée326. Les obstacles à la levée de la prohibition sont les mêmes que ceux qui ont motivé pendant des décennies le maintien de l’interdiction du pacte commissoire. Or, depuis l’ordonnance du 23 mars 2006, cette interdiction a été supprimée au profit d’une validité de principe généralisée, sous réserve du respect des règles relatives à l’évaluation du bien à dire d’expert et au versement de l’excédent sous forme de soulte327

. La transposition de cette règlementation permettrait de généraliser la clause de voie parée tout en préservant les droits du propriétaire du bien. La reconnaissance de la validité de la clause de voie parée aurait pour effet d’accélérer la réalisation de la sûreté mais aussi de désengorger les tribunaux. Toutefois, le maintien de cette interdiction ne préserve pas seulement les intérêts du débiteur, elle protège plus largement les procédures civiles d’exécution328

.

La déjudiciarisation des modes de réalisation est importante même si elle n’est pas complète. Elle a permis d’accélérer considérablement la réalisation des sûretés réelles. Elle a eu également pour effet d’élargir le choix du créancier quant aux modes de réalisation et de bouleverser ainsi la classification des modes de réalisation.

§2. Le résultat de la déjudiciarisation, l’élargissement des options

du créancier

70. La déjudiciarisation des modes de réalisation a permis d’élargir l’option du créancier lors de la défaillance de son débiteur. Le créancier dispose de plusieurs critères pour choisir le mode de réalisation le plus adapté aux circonstances. C’est une question de stratégie du créancier au moment de la réalisation de sa sûreté. Par exemple, si le créancier craint que le constituant qui occupe l’immeuble grevé refuse de quitter les lieux, il sera plus rapide de procéder à une saisie immobilière

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Exposant des arguments en faveur de la levée de la prohibition de la clause de voie parée, J.-F.RIFFARD, Le security

interest ou L'approche fonctionnelle et unitaire des sûretés mobilières : contribution à une rationalisation du droit français, préf. J. Stoufflet, PU de Clermont-Ferrand, 1997, spéc. nos 968 et s. L’auteur préconise de recourir à une vente de gré à gré par le débiteur plutôt qu’une vente opérée par le créancier.

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Voir nos 486 et s.

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suivie d’une vente par adjudication, puis d’une expulsion, que de demander l’attribution conventionnelle de l’immeuble car si le constituant refuse de quitter les lieux, il est nécessaire de mener une procédure d’expulsion. Or le jugement d’adjudication vaut titre d’expulsion alors que l’attribution conventionnelle non. Un autre exemple peut résulter de la situation d’endettement du débiteur constituant. Si le créancier perçoit que le débiteur constituant est en difficulté financière, il a intérêt à demander l’attribution conventionnelle en propriété du bien plutôt que d’intenter une vente forcée. L’attribution conventionnelle en propriété procure une satisfaction plus rapide au créancier qui ne pourra pas être remise en question par l’ouverture d’une procédue collective sur le fondement de l’absence d’effet attributif de la procédure de distribution.

Ainsi, en élargissant la palette des modes de réalisation et en diversifiant les critères de choix, le législateur a renforcé l’efficacité des sûretés lors de la réalisation en offrant au créancier la possibilité d’adapter le mode de réalisation à ses besoins. Le choix du mode de réalisation peut s’opérer selon le caractère amiable ou judiciaire du mode de réalisation (A) ou encore selon sa nature alternative ou de droit commun du mode de réalisation (B).

A. Le choix entre un mode de réalisation extra judiciaire ou un mode de

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