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La fragilité consubstantielle des droits de priorité mobiliers, le caractère mobile de l’assiette

Dans le document La réalisation des sûretés réelles (Page 177-182)

Conclusion du Chapitre 2 et du Titre 1

Section 1. De lege lata, une satisfaction imparfaite

A. La fragilité consubstantielle des droits de priorité mobiliers, le caractère mobile de l’assiette

183. Un bien meuble est par essence mobile. Ce caractère ne pose pas, a priori, de problème lorsque ce bien fait l’objet d’un gage avec dépossession car le créancier maîtrise physiquement la chose qui ne peut pas, sauf « entiercement », se trouver entre d’autres mains. Il en va différemment lorsque la sûreté mobilière n’emporte pas dépossession. Il peut alors être difficile, malgré la publicité légale, de localiser le bien afin de le réaliser674. Le déplacement du bien peut notamment créer un conflit entre le créancier garanti et un tiers possesseur du bien en droit interne (1).

Le bien peut également franchir une frontière, le conflit glisse sur le terrain du droit international privé et il convient de déterminer la loi applicable et le tribunal compétent (2).

1 Le meuble grevé détenu par un tiers, l’incidence de la possession et de la rétention sur la satisfaction du créancier.

184. L’indifférence de la détention du bien sur sa réalisation. En principe, la détention

n’empêche pas la réalisation de la sûreté préférentielle. Le droit de priorité peut s’exercer sur un bien situé entre les mains d’un tiers.

La loi lui impose parfois des obligations. Ainsi, lorsque le bien est réalisé par le biais d’une voie d’exécution, le tiers doit respecter la procédure entreprise675. Il est soumis à un devoir d’abstention en ce qu’il ne doit pas faire obstacle à la procédure engagée et à une obligation de coopération car il

672

Pour une comparaison, voir les articles L. 622-17 et L. 641-13 du Code de commerce.

673

Voir nos 547 et s.

674

Y.PICOD, Droit des sûretés, Puf, Thémis Droit, 2ème éd. 2011, spéc. n°230

675

Sur cette question, voir notamment, S. PIEDELIÈVRE, Droit de l’exécution, Puf, Thémis droit, 2009, spéc. n°27 ; Voir aussi S. GUINCHARD,T.MOUSSA, Droit et pratique des voies d’exécution, Dalloz- Action, 2013-2014, spéc. nos162.11 à 162.13 pour le devoir d’abstention et nos162.21 et s. pour le devoir de collaboration

doit apporter son concours à la procédure lorsque cela est requis. Il doit par exemple, en matière de saisie-vente, informer le créancier saisissant de l’existence de saisies antérieures676. Si le tiers manque à ses obligations, il peut être contraint de les exécuter sous astreinte ou être condamné « au

paiement des causes de la saisie, sauf recours contre le débiteur » 677.

185. La force du possesseur de bonne foi. Lorsque le possesseur d’un bien meuble corporel est

de bonne foi, il peut se prévaloir de la présomption de titre posée à l’article 2276 du Code civil678. La possession constitue donc un obstacle à la réalisation du bien. Il en va ainsi en matière de privilèges, de gage sans dépossession ou de gage avec dépossession si le créancier a perdu volontairement la possession du bien679.

L’une des solutions pour lutter contre les effets de l’action 2276 est de constituer irréfragablement le possesseur de mauvaise foi680 en lui rendant le droit du créancier opposable.

186. L’opposabilité du droit publié et la mauvaise foi du possesseur. C’est, en principe, le rôle

imparti à la publicité. Néanmoins, la publicité n’a pas la même portée selon l’assiette de la sûreté et selon le système de publicité choisi - personnelle681 ou réelle682.

Parfois, comme en matière de gage sur véhicules soumis à immatriculation683, l’application combinée de l’opposabilité et la pratique du certificat de non gage rendent le droit opposable aux tiers et au sous-acquéreur. En effet, le gage sur véhicule soumis à immatriculation fait l’objet d’une

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Article R. 221-21 al. 2 du Code des procédures civiles d’exécution

677

Article L. 123-1 du Code des procédures civiles d’exécution ;.

678

« En fait de meubles possession vaut titre » 679

Dans ce sens voir : G.KHAIRALLAH, Les sûretés mobilières en DIP, Économica, 1984, spéc. n° 220, p. 196 ;

C.KRIEF-SEMITKO, L'article 2276 (ancien art. 2279) du Code civil et les gages civils de meubles corporels issus de l'Ordonnance du 23 mars 2006, Gaz. du Pal., 28 août 2008 n° 241, p. 5, spéc. n°3 ; Pour des applications jurisprudentielles voir par exemple : par exemple, Cass. Civ. 1ère, 19 janvier 1994, D. 1994. 144, note C.-J.BERR ; Cass. Civ. 1ère , 25 avril 1990, D. 1991. 20, noteA.ROBERT.Cass. Civ. 1ère, 5 oct. 1972, JCP 1973. II. 17485, note

A. BÉNABENT ; RTDciv. 1973, p. 149, obs. BREDIN ; Dans cette espèce un garagiste a acquis une automobile dont le propriétaire a été dépossédé par abus de confiance. Il a remis le véhicule sur invitation de la Police. La Cour décide qu’il ne peut pas se prévaloir de la présomption de l’article 2276 du Code civil ( anc. Art 2279 du Code civil)

680

M.CABRILLAC,C.MOULY,S.CABRILLAC,P.PÉTEL, Droit des sûretés, Manuel, Litec, 9ème éd., 2010,spéc. n°762

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La publicité est personnelle lorsque le registre est tenu au nom du constituant.

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La publicité est réelle lorsque le bien est tenu par bien. Il en va ainsi, par exemple, en matière immobilière, en matière de navires, de bateaux ou d’avions.

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P.BIHR, L’opposabilité aux tiers du gage constitué sur un véhicule automobile, D. 1970, Chr. 14, p.69 et s, spéc. pp.71-72 ; C.KRIEF-SEMITKO, L'article 2276 (ancien art. 2279) du Code civil et les gages civils de meubles corporels issus de l'Ordonnance du 23 mars 2006, Gaz. du Pal., 28 août 2008 n° 241, p. 5, spéc. nos 9 à 23 et n°34. L’auteur précise que l’opposabilité à tous les tiers du gage automobile ne résulte pas que de la seule publicité mais aussi de l’immatriculation du véhicule. L’immatriculation du véhicule est une condition de circulation. C’est une mesure de police qui permet de retrouver le propriétaire du véhicule en cas d’infraction au code de la route. Le gage est publié au registre de l’immatriculation, par véhicule. La pratique, en cas de vente du véhicule, exige la production d’un certificat de non gage. La combinaison des règles légales et de la pratique aboutit à rendre l’immatriculation obligatoire et à rendre le gage automobile opposable à tous.

publicité « auprès de l’autorité administrative compétente » (en pratique les préfectures) aux fins d’opposabilité. La présentation obligatoire d’un certificat de non gage lors de la cession du véhicule empêche l’acquéreur de se prévaloir de l’article 2276 du Code civil684

.

En revanche, dans d’autres cas, comme en matière de gage de droit commun, l’opposabilité aux tiers est plus réduite. La publicité du gage de droit commun sans dépossession rend seulement le droit réel opposable aux ayants-cause à titre particulier du constituant685. Le sous-acquéreur éventuel du bien n’étant pas un ayant-cause du constituant puisqu’il n’a pas reçu le bien de ses mains686, il peut se prévaloir de la présomption de l’article 2276 du Code civil et faire obstacle à la réalisation du bien687. Le créancier garanti dispose tout de même d’un dernier recours. Si le prix de vente n’a pas encore été versé et s’il est muni d’un titre exécutoire, il peut valablement procéder à une saisie attribution de ce prix entre les mains du sous-acquéreur.

187. La faiblesse des droits de priorité face au droit de rétention. Les droits de rétention

prévus à l’article 2286 du Code civil permettent au créancier de retenir juridiquement ou matériellement le bien entre ses mains jusqu’à son complet paiement. Le droit de rétention constitue donc un pouvoir de gêne physique ou juridique en ce sens que le droit de rétention empêche le débiteur de disposer de son bien. Lorsque le créancier rétenteur est opposé à un créancier titulaire d’un droit de priorité, il s’impose.

Parmi les conditions nécessaires pour se prévaloir d’un droit de rétention, on trouve, comme en matière de possession, l’absence de dessaisissement volontaire par le créancier et le caractère légitime de la rétention. Cela signifie que le rétenteur doit être de bonne foi au sens que la détention du bien ne doit pas être acquise « par ruse, fraude, ou a fortiori voie de fait »688. L’opposabilité de droits de priorité antérieurs, même publiés, ne suffit pas à constituer le rétenteur de mauvaise foi. Ce dernier s’impose inéluctablement.

Le caractère mobile du bien meuble grevé d’une sûreté réelle fait courir le risque au créancier d’un déplacement physique du bien dans un autre Etat. Le conflit prend alors une tournure internationale.

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Voir article L. 322-1 à 3 du code de la route.

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Article 2337 al.3 du Code civil : « Lorsque le gage a été régulièrement publié, les ayants cause à titre particulier du

constituant ne peuvent se prévaloir de l'article 2276 ».

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Il a reçu le bien d’un acquéreur qui lui, avait reçu le bien des mains du constituant. Par exemple, le constituant vend le bien grevé à un acquéreur qui le revend à son tour.

687

Dans ce sens voir : M.CABRILLAC,C.MOULY,S.CABRILLAC,P.PÉTEL, Droit des sûretés, Manuel, Litec, 9ème éd., 2010,spéc. n°762 ; R. BOFFA, L’opposabilité du gage sans dépossession, D. 2007, 1161, spéc. n°21 ; C. KRIEF -SEMITKO, L'article 2276 (ancien art. 2279) du Code civil et les gages civils de meubles corporels issus de l'Ordonnance du 23 mars 2006, Gaz. du Pal., 28 août 2008 n° 241, p. 5, spéc. n°34 ; Contra voir P.SIMLER,P.DELEBECQUE, Droit

civil, Les sûretés, La publicité foncière, Précis, Dalloz, 6ème éd. 2012, spéc. n°690

688

Pour une explication de ce caractère, voir notamment M.CABRILLAC,C.MOULY,S.CABRILLAC,P.PÉTEL, Droit

2. La complexification de la réalisation et l’affaiblissement de la satisfaction par le transport du meuble grevé à l’étranger

188. La règle de conflit, la lex rei sitae. La réalisation de la sûreté peut se trouver perturbée par

le déplacement du bien hors de France. La réalisation ne peut alors plus emprunter les voies habituelles. Le créancier est face à un conflit mobile au sens du droit international privé. Pour résoudre ce conflit, les juges font application de la règle de principe de résolution des conflits du droit des biens, la lex rei sitae.

Lorsque la sûreté a été constituée en France et que le bien a quitté le territoire national, la réalisation a lieu selon les règles applicables dans l’Etat où se situe le bien. Une fois la loi applicable déterminée, le créancier doit utiliser l’une des procédures offertes par cette loi.

De même, si le bien se situe en France, mais que la sûreté a été constituée à l’étranger, le créancier étranger doit réaliser sa sûreté selon les règles applicables aux sûretés françaises. Toutefois, cette réalisation est conditionnée au rattachement de la sûreté étrangère à une catégorie de sûretés réelles françaises689. Ceci empêche bon nombre de créanciers étrangers de pouvoir faire valoir leur droit sur le bien. Il est néanmoins à noter que la réforme de 2006, parce qu’elle a consacré les attributions en propriété et les propriétés-sûretés, a permis d’augmenter les hypothèses de reconnaissance de sûretés étrangères sur le sol français.

189. Le titre exécutoire européen, source de simplification et gain d’efficacité. Pour

simplifier et améliorer l’exécution forcée, le droit européen a mis en place le système du titre exécutoire européen690. Le titre exécutoire européen, créé par le règlement 805/2004 du 21 avril 2004691, est un titre national qui constate une créance de somme d’argent incontestée. Il est émis par une juridiction d’un Etat-membre et après contrôle et certification en tant que titre exécutoire européen par une autorité de cet Etat-membre, il permet au créancier qui en est titulaire de procéder

689

Pour une critique de cette application extensive de la lex situs, voir G. KHAIRALLAH, Les sûretés mobilières en droit

international privé, Economica, 1984, spéc. nos 139-140

M.ATTAL, La reconnaissance des sûretés mobilières conventionnelles étrangères dans l’ordre juridique français, Préf.

S. Poillot-Peruzzetto, Defrénois, T.13, 2005, spéc. nos 272, 273, 321. Cet auteur préconise de conserver la règle de la lex situs mais de l’utiliser sans excès. Il conseille d’utiliser la loi du lieu de constitution pour évaluer la licité de la constitution de la sûreté et la loi du lieu de réalisation pour commander la mise en œuvre de la sûreté. Voir spéc. nos

320, 335, 341

690

Règlement n°805/2004 du Parlement Européen et de la Conseil, portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, JO UE, n° N/143, 30 avril 2004, p. 0015-0039. Pour une présentation générale voir S.

GUINCHARD,T.MOUSSA, Droit et pratique des voies d’exécution, Dalloz- Action, 2013-2014, spéc. nos122-51 et s. Voir aussi B.AMIGUES, Le titre exécutoire européen, une simplification du recouvrement de l’impayé, RDBF 2005/4, p.73

691

à l’exécution forcée de sa créance sur le territoire d’un autre Etat-membre, sans avoir recours à la procédure d’exequatur692. Ainsi, le créancier titulaire d’un droit de priorité et d’un titre exécutoire peut faire réaliser sa sûreté sur le sol étranger. La procédure suivie sera celle de l’Etat dans lequel se trouve le bien.

Lorsque le créancier est titulaire d’une sûreté réelle dont l’objet se situe dans un Etat membre de l’Union Européenne, il lui est vivement conseillé d’utiliser la voie du titre exécutoire européen.

190. L’ouverture d’une procédure collective transfrontalière. Le critère de la lex rei sitae

s’applique également en cas d’ouverture d’une procédure collective transfrontalière en France pour les biens situés à l’étranger. En effet, si la procédure n’est pas européenne, les règles du droit international privé imposent que la procédure ouverte en France ne produise ses effets à l’étranger que si l’Etat destinataire donne l’exequatur au jugement d’ouverture. Dans ce cas, le créancier titulaire d’une sûreté réelle doit réaliser sa sûreté selon les règles applicables dans l’Etat de situation du bien. De même, en cas d’ouverture d’une procédure européenne, en principe, l’ouverture provoque une efficacité universelle de l’ouverture de la procédure en vertu du principe de reconnaissance de plein droit693. Toutefois, l’article 5 du règlement 1346/2000 du 29 mai 2000 prévoient que le créancier conserve « le droit de réaliser ou de faire réaliser les biens et de se

désintéresser sur le produit de la réalisation, en particulier en vertu d'un gage ou d'une hypothèque ». Le créancier qui en est titulaire peut réaliser sa sûreté selon les règles de l’Etat dans

lequel se situe le bien grevé694.

Le créancier titulaire d’un gage ou d’une hypothèque se trouve relativement protégé quant aux effets de sa sûreté en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’étranger lorsque ses biens sont situés en France. Le créancier est soumis à la procédure étrangère mais il réalise sa sûreté selon les règles françaises.

En revanche, si la procédure est ouverte en France et que les biens grevés se situent sur le territoire d’un autre Etat-membre, la réalisation se fera selon les règles applicables dans l’Etat de situation du bien. Le créancier est soumis à la procédure française mais réalise sa sûreté selon les règles du droit étranger.

692

Sur les coditions d’obtention du titre voir articles 4 et 6 du règlement 805/2004 du 21 avril 2004. Voir aussi A.

HUET, Titre exécutoire européen, in Rep. Droit international, Dalloz.

693

Article 16 du Règlement n° n° 1346/2000 du 29 mai 2000 sur les procédures d’insolvabilité, JO CE n°L. 160, 30 juin 2000, p ; 1

694

M.MENJUCQ, L'efficacité des sûretés à l'épreuve des procédures transfrontalières, Revue Proc. Coll., 2009, n° 3, étude 12, spéc nos66 à 69 ; L.-C. HENRY, G. JAZOTTES, Les biens dispersés sur le territoire de plusieurs Etats, in Dossier, Le périmètre de la défaillance économique, Actes du colloque de Toulouse du 10 sept. 2010, colloque inaugural de l’AJDA, Rev. Proc. Coll. Janv.-Févr. 2011, p. 95, spéc. p. 100

Les règles contenues dans le règlement n°1346/2000 permettent de préserver l’efficacité de la sûreté réelle du créancier. L’esprit de la disposition est de ne pas soumettre, en l’absence de droit européen des sûretés, le créancier à la lex fori concursus et de faire produire à sa sûreté les effets auxquels il pouvait s’attendre au jour de la constitution de celle-ci. Dans ce sens, le règlement n°1346/2000 peut occasionner du forum shopping comme dans les montage dits de « double Luxco » où par un astucieux système de domiciliation de sociétés en France et au Luxembourg combinées avec la constitution de nantissements croisés, le créancier peut in fine échapper aux effets de la procédure collective ouverte en France et bénéficier de l’efficacité de ses sûretés au Luxembourg695.

En revanche, le créancier ne bénéficie pas de ce traitement de faveur si une procédure secondaire est ouverte dans l’Etat-membre où se situe le bien. Dans ce cas, ce dernier est soumis à la lex fori

concursus696.

La fragilité des droits de priorité augmente encore au regard du traitement que leur réserve le droit de l’insolvabilité interne.

B. Les avantages octroyés à certains droits de priorité et l’ouverture d’une

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