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L’interpellation nécessaire du débiteur

Dans le document La réalisation des sûretés réelles (Page 107-111)

Conclusion du Chapitre 1

Section 1. L’accessoire, condition d’exercice de l’option

B. La constatation juridique d’un retard dans l’exécution

1. L’interpellation nécessaire du débiteur

88. La règle de l’interpellation, domaine et vertus. Le droit français des obligations retient à

l'article 1139 du Code civil387, la règle romaine « dies non interpellat pro homine »388. Ce texte

385

Article L.211-38 II 3° du code monétaire et financier

386

Voir par exemple : A. LEBORGNE, Voies d’exécution et procédures de distribution, Dalloz, Précis, 1ère éd. 2009, n°93 ; L. AYNÈS et P.CROCQ, Les sûretés, la publicité foncière, Defrénois, 8 éd. 2014, n°515 ; P.MALAURIE,L. AYNÈS,P.STOFFEL-MUNCH, Les obligations, Defrénois, 4ème éd. 2009, spéc. n°1087

387

Article 1139 du Code civil « Le débiteur est constitué en demeure, soit par une sommation ou par autre acte

équivalent, telle une lettre missive lorsqu'il ressort de ses termes une interpellation suffisante, soit par l'effet de la convention, lorsqu'elle porte que, sans qu'il soit besoin d'acte et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en demeure. »

388

J.-C.BOULAY, Réflexions sur la notion d’exigibilité de la créance, RTDCom. 1990, p. 339.; H.,L.,J.MAZEAUD,

Leçons de droit civil, t.1, vol. 1, Obligations théorie générale, par F.CHABAS, Montchrestien, 1998, spéc. n° 620 ; D.

ALLIX, Réflexions sur la mise en demeure, JCP 1977, I, 2844. D.TALLON, L’inexécution du contrat : pour une autre présentation, RTDCiv. 1994, p. 223, spéc. n°29. Le droit allemand ou la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (article 59) ne retiennent pas cette solution. Ils distinguent entre l’exigibilité et l’excitabilité de l’obligation. Pour le droit allemand, voir M.PÉDAMON, Le droit allemand des contrats, LGDJ, 2° éd. 2004, p. 154

dispose, au sujet de l’obligation de donner et de l’obligation de livraison qui en découle, que le débiteur doit être « interpellé ». Même s’il est tenu de livrer la chose, son retard doit être constaté, avant de le contraindre. En effet, « si le débiteur doit pouvoir exécuter son obligation au moment

convenu, il n‘est cependant tenu de s’en acquitter qu’après avoir été invité par le créancier. En conséquence, même si le temps du paiement est passé, le débiteur n’est juridiquement en retard que s’il a été mis en demeure »389

. « La demeure (mora) est le retard, plus largement le défaut du

débiteur, constaté en des formes légales »390. La mise en demeure a donc pour but d’interpeller solennellement le débiteur afin qu’il exécute ses obligation ou bien que soit constaté son retard.

Cette interpellation poursuit deux objectifs : provoquer une exécution volontaire et préparer l’exécution forcée391. D’abord, elle permet de donner une dernière chance au débiteur de s’exécuter volontairement392, surtout si elle s’accompagne d’un rappel des obligations légales et/ou contractuelles du débiteur, comme cela peut être fait en matière de clause résolutoire. Elle constitue une menace393. Ceci est conforme avec les recommandations formulées par la CNUDCI394. Elle apparaît comme une mesure de bonne administration de la justice. Ensuite, elle prépare à l’exécution forcée, elle prouve l’inexécution par le débiteur de son obligation. Elle prouve les prétentions du créancier et montre sa diligence dans le recouvrement de sa créance395. Elle démontre également la bonne foi du créancier396.

89. L’absence de consécration légale d’un principe général et exception. Si ce principe est

légalement fondé en matière d’obligation de livrer, aucun texte ne consacre expressément le principe général d’interpellation ou de mise en demeure préalable à l’exécution forcée.

389

J.GHESTIN,M.BILLIAU,G.LOISEAU, Traité de droit civil, Le régime des créances et des dettes, LGDJ 2005, spéc. n°585

390

J.CARBONNIER, Les Biens, Les Obligations, Puf, Quadrige Manuels, oct. 2004, n°1084, p. 2208 ; Dans le même sens voir aussi F.TERRÉ,P.SIMLER,Y.LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, Dalloz, Précis, 10ème éd. 2009, spéc. n°1079

391

X. LAGARDE, Remarques sur l’actualité de la mise en demeure, JCP G 1996, I, 3974 ; D.ALLIX, Réflexions sur la mise en demeure, JCP 1977, I, 2844, spé. n°2 et note 3

392

N.CAYROL, J.-Cl. Droit civil, Fasc. n°60, Contrats et obligations, Mise en demeure, spéc. n° 158 ; voir aussi F.

TERRÉ,P.SIMLER,Y.LEQUETTE, Droit civil, les obligations, Dalloz, 11ème éd., 2013, n°1080

393

R.PERROT, La contrainte par la dissuasion, in Mélanges J. Buffet, Petites Affiches, 2004, p. 393. Dans cet article, l’auteur aborde la notion de contrainte de deux manières : la contrainte matérielle et la contrainte juridique. Dans cette seconde catégorie, l’un des moyens de contrainte est de mettre le débiteur sous pression afin d'obtenir une exécution volontaire. Il parle alors de « paiement résigné ».

394

Guide législatif de la CNDCI sur les opérations garanties, Nations Unies, 2011, spé. VIII, n°3

395

N.CAYROL, J.-Cl. Droit civil, Fasc. n°60, Contrats et obligations, Mise en demeure, n° 163

396

N. CAYROL, J.-Cl. Droit civil, Fasc. n°60, Contrats et obligations, Mise en demeure, n° 165 ; R.LIEBCHABER, Demeure et mise en demeure en droit français, in Les sanctions de l’inexécution des obligations contractuelles, sous la dir. M.FONTAINE ET G.VINEY, LGDJ Bruyant, 2001, p. 113 ; spé. n°5

Au contraire, des textes spéciaux précisent que l’arrivée du terme suffit à constituer le débiteur en retard (sans recours préalable à une mise en demeure ou à un avertissement du créancier). C’est le cas des garanties financières prenant la forme d’une sûreté réelle, leur réalisation ayant lieu « à des

conditions normales de marché, par compensation, appropriation ou vente, sans mise en demeure préalable, […] ». Cette mesure est dictée par la protection des marchés financiers397

.

90. L’application de l’interpellation à la fiducie-sûreté. La fiducie-sûreté partage des traits

communs avec la stipulation pour autrui. Elle consiste en une stipulation contractuelle formée par un constituant, exécutée par le fiduciaire, au profit d’un tiers non partie à l’acte, le bénéficiaire. Ainsi, la fiducie-sûreté peut apparaître comme une stipulation pour autrui dont l’objet serait de conserver et de transférer la propriété du bien à des fins de garantie398. Le régime de la stipulation semble transposable à celui de la fiducie. La stipulation pour autrui implique que le bénéficiaire accepte le bénéfice de la stipulation. Il ne peut jamais être contraint de l’accepter. Son droit au bénéfice de la stipulation naît au jour de cette dernière mais il ne se concrétise qu’au terme du contrat et sous réserve de son acceptation399. Le créancier bénéficiaire ne peut être contraint ni à accepter le bénéfice de la fiducie, ni à la réalisation de sa sûreté. Ainsi, il doit constituer le débiteur en retard et exercer son option pour la réalisation de la fiducie-sûreté. L’instrumentum de l’acceptation peut contenir à la fois le negotium de l’acceptation et celui de l’option pour la réalisation.

Néanmoins, le législateur a emprunté le mécanisme de l’acceptation anticipée à la stipulation pour autrui. Ainsi, la loi permet au bénéficiaire de la fiducie d’accepter le bénéfice de cette dernière avant l’échéance400

. Dans ce cas, le constituant ne peut plus résilier unilatéralement le contrat de fiducie.

Toutefois, en matière de stipulation pour autrui, l’acceptation anticipée a aussi pour effet de provoquer automatiquement le bénéfice de la stipulation. Par exemple, le bénéficiaire d’une

397

Voir sur ce point : H. DE VAUPLANE, Réforme du netting, Banque, avril 2005, p. 87 ;D.SERVAIS, Intégration des

marchés financiers, éd. Université de Bruxelles, 2007, §771, p. 442 ; C. DESREUMAUX, Garanties financières et

fiducie-sûreté, éléments de comparaison pour le créancier, sous la dir.H.Synvet, Mémoire, Panthéon-Assas,

2007-2008, spéc. p. 39

398

C. DE LAJARTE, La nature juridique des droits du bénéficiaire d’un contrat de fiducie, RLDC. Mai 2009, n°60, p. 71. Cet auteur indique qu’en se plaçant du côté du fiduciaire, la fiducie « relève naturellement des règles de la stipulation

pour autrui » ; Voir aussi F.-X.LUCAS,Les transferts temporaires de valeurs mobilières, Pour une fiducie de valeurs mobilières,Préf. L. Lorvellec, LGDJ, Biblio. Droit Privé, t. 283, 1997, spéc. n°639

399

Sur ces points voir notamment : M.FABRE-MAGNAN, Droit des obligations, Contrat et engagement unilatéral, t.1, PUF, Thémis Droit, 3ème éd. 2012, spéc. pp. 541-542

400

Article 2028 du Code civil : « Le contrat de fiducie peut être révoqué par le constituant tant qu'il n'a pas été accepté

par le bénéficiaire.

Après acceptation par le bénéficiaire, le contrat ne peut être modifié ou révoqué qu'avec son accord ou par décision de justice. »

assurance vie qui a accepté le bénéfice de la stipulation avant le décès, reçoit automatiquement, sous réserve de notification du décès du stipulant, le bénéfice de l’assurance. Il n’a pas besoin d’accepter à nouveau le bénéfice de l’assurance vie. Il est envisageable de transposer ce régime à la sûreté et de considérer que le créancier bénéficiaire qui a accepté le bénéfice de la fiducie-sûreté, sous réserve de constituer le débiteur en retard, reçoit automatiquement la propriété du bien. L’idée d’une réalisation automatique de la fiducie en cas d’acceptation de cette dernière avant l’échéance est envisageable. Néanmoins, cette analyse est critiquable à plusieurs égards.

D’abord, elle suscite des problèmes lorsque le contrat de fiducie prévoit une option pour le mode de réalisation (la vente ou l’attribution en propriété). Dans ce cas, l’acceptation qui ne précise pas le mode de réalisation ne peut pas entraîner la réalisation automatique de la sûreté. Le créancier doit alors exercer son option.

Ensuite, une telle analyse se heurte au fonctionnement même de la fiducie-sûreté. L’acceptation du bénéficiaire n’influence pas les obligations du fiduciaire qui sont définies par la mission. L’acceptation a seulement pour effet de « donner le statut de créancier de fiduciaire » au bénéficiaire401.

Enfin, cette interprétation fondée sur les effets de l’acceptation anticipée de la stipulation pour autrui n’est pas d’une grande simplicité et se heurte à la nature de sûreté de la fiducie-sûreté. Dans la pratique, l’acceptation intervient dès la constitution de la fiducie-sûreté pour éviter toute résiliation unilatérale de la part du constituant. Admettre que l’acceptation anticipée provoque la réalisation automatique du bien aboutit à priver le débiteur de demander des délais de paiement, et oblige le créancier à exercer une option à un moment inopportun pour lui. Une telle interprétation va à l’encontre des intentions législatives et de l’avantage d’adaptabilité de l’option eu égards aux circonstances de la réalisation.

Pour ces raisons, nous considérons qu’en dehors de tout aménagement contractuel, toute interprétation tendant à une réalisation automatique semble devoir être exclue. Le créancier doit donc constituer le débiteur en retard et exercer son option pour la réalisation après l’échéance.

91. L’aménagement conventionnel de l’automaticité de la réalisation dans la fiducie-sûreté et le pacte commissoire. La loi permet aux parties d’organiser conventionnellement la réalisation

de la sûreté. Ainsi, le pacte commissoire ou la fiducie-sûreté pourraient contenir la clause suivante. « A défaut d’exécution à l’échéance, le transfert de propriété du bien objet de la sûreté a lieu

automatiquement, sans mise en demeure, au profit du créancier garanti »..

401

Dans ce sens, voir C. de Lajarte, La nature juridique des droits du bénéficiaire d’un contrat de fiducie, RLDC. Mai 2009, n°60, p. 71, voir aussi M. DUEDRA, Les sûretés conventionnelles sur les fonds professionnels : Essai d’une

Cependant, en l’absence d’aménagement conventionnel, l’arrivée du terme ne peut suffire à constituer le débiteur en retard et une interpellation préalable à l’exécution forcée s’impose402

. Cette règle constitue, à notre sens, un principe général non écrit qui a vocation à s’appliquer à la réalisation des sûretés réelles. Ainsi, en matière de pacte commissoire ou de réalisation de la fiducie-sûreté, à défaut de stipulation expresse, le transfert de propriété résultant de l’attribution ou la vente devront être précédés de l’interpellation du débiteur.

Cette règle s’oppose donc à l’idée d’une réalisation automatique de l’attribution conventionnelle ou de la réalisation de la fiducie-sûreté.

La nécessité de l’interpellation du débiteur étant affirmée, il convient de se pencher sur les formes de cette interpellation.

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