• Aucun résultat trouvé

2. CADRE THÉORIQUE

2.3. Un dialogue entre compréhension et interprétation

2.3.2. Comprendre, interpréter et actualiser en didactique du français

2.3.2.1. Qu’est-ce que la compréhension?

Le travail sur la compréhension du texte dramatique implique, dans le cadre de cette recherche, un travail sur le sens global de l’œuvre, défini par Falardeau « comme une idée ou un ensemble d’idées intelligibles que le lecteur perçoit dans le texte » (2003, p. 678), qui permet d’« améliorer l’intelligibilité et [de] combler les manques » (2003, p. 684) de celui- ci. En effet, comme nous l’avons vu, le lecteur doit nécessairement intervenir dans l’acte de lecture afin de combler ces manques. Le sens de l’œuvre sera alors construit par l’implication du lecteur dans l’œuvre (Giasson, 1990), ce qui exige un lecteur actif. Or, cette construction du sens ne doit pas se limiter à la surface du texte (compréhension littérale) (Giasson, 1990) ni à ce qui y est explicitement écrit (Gervais, 2006). Le lecteur doit aussi tenir compte des implicites et des sous-entendus. En d’autres termes, pour comprendre, le lecteur doit construire du sens, c’est-à-dire inférer des éléments d’information implicites à partir des informations explicites du texte, qui sont toujours lacunaires. Pour inférer, le lecteur doit mettre à profit ses connaissances et ses expériences.

44

Plus il le fera, plus sa compréhension de l’œuvre sera complexe. En effet, les connaissances (stéréotypiques, lexicales, syntaxiques, historiques, socioculturelles, etc.), mais aussi les expériences du lecteur (ses expériences de lecture, ses expériences scolaires et personnelles, etc.) auront une influence majeure sur la compréhension : « sans une certaine correspondance entre l’univers du lecteur et celui du texte, il ne saurait y avoir de compréhension » (Falardeau, 2003, p. 679). La compréhension n’est donc pas un processus objectif comme ont déjà pu le penser les théoriciens : « autrefois, on croyait que le sens se trouvait dans le texte et que le lecteur devait le “ pêcher ” » (Giasson, 1990, p. 5). Au contraire, il revient « à chaque lecteur de reconstruire le sens [du texte] à partir de ses connaissances antérieures, de sa culture, de son bagage de lecteur » (Beaudry, 2016, p. 101). La compréhension requiert donc la participation du lecteur.

De plus, pour comprendre le texte, le lecteur doit nécessairement s’en distancier. En effet, selon Dufays (2010), la distanciation face au texte est essentielle afin de rendre la lecture plus « lucide » ou plus objective : « la distanciation saisit le sens comme une construction, comme une combinaison de procédés et de stéréotypes, et elle permet d’évaluer les contenus non plus en termes de vérités directes, mais en termes de cohérence et de pertinence » (p. 181). Néanmoins, nous croyons que la distanciation face au texte est insuffisante dans le processus de compréhension. En effet, le lecteur doit avoir un mouvement de recul vis-à-vis du texte afin de prendre conscience des liens qu’il établit entre l’œuvre et son bagage de connaissances personnelles. Il doit réaliser qu’une part de lui-même est impliquée dans le processus de compréhension. Cette compréhension du texte peut provoquer une meilleure connaissance de soi.

Bien que son implication subjective dans l’acte de compréhension soit essentielle, le lecteur s’inscrit d’emblée dans une tradition sociale/dans un milieu donné, ce qui signifie qu’il est « en partie conditionné par les idéologies de son groupe, les stéréotypes socialement admis qui participent à la formation de son arrière-plan culturel » (Falardeau, 2003, p. 680). La compréhension d’une œuvre littéraire est alors, elle aussi, conditionnée socialement et soumise à des normes (Jouve, 1993). Pour construire le sens d’une œuvre, le lecteur « ne peut s’en tenir qu’à une simple reconfiguration personnelle et créatrice du texte » (Émery- Bruneau, 2010, p. 40), il doit tenir compte du milieu dans lequel il s’inscrit : « la

45

compréhension, et plus globalement la lecture, n’est pas seulement le moment où celle-ci s’effectue, mais un ensemble structuré de pratiques socialement et culturellement réglées et différenciées qui conditionne en grande partie nos modes d’appréhension des textes » (Falardeau, 2003, p. 680 citant Privat, 1995, p. 142). En résumé, le sens d’un texte est en partie construit socialement, c’est ce qui le rend acceptable.

Comprendre par la mise en voix et par la mise en scène

Quelques théoriciens s’entendent pour dire que le jeu dramatique permet d’améliorer la compréhension des textes. Pour certains, la compréhension est même quasi impossible sans une appropriation sensorielle du texte : « de la même manière qu’un acteur ne peut absolument pas étudier un rôle assis – la compréhension commence au moment où le corps entre en action –, un élève ne peut apprendre tout ce qu’il reçoit sans que le corps soit engagé. Le théâtre donne cette unique possibilité de comprendre dans l’action et dans l’émotion » (Caillot, Citterio, Gaspard-Huit, Marion, 1994, p. 21).

La lecture à voix haute16, constituante du jeu dramatique, permettrait de travailler et d’améliorer la compréhension des textes de théâtre en ajoutant des possibilités que la lecture silencieuse ne permet pas (Reyzabal, 1994). Selon Pavis, cet exercice, qu’il appelle « lecture rythmée », est « un moyen d’ausculter, d’ouvrir, de sonder le texte » (2002, p. 228). Selon Dufays et ses collaborateurs, la mise en voix est indispensable à l’enseignement du texte de théâtre puisqu’« écouter une lecture à voix haute peut aider à comprendre le sens de certains mots, à percevoir l’organisation de certains passages, à mieux saisir telle ou telle intention : en ce sens, comprendre, ce serait d’abord entendre et apprendre à écouter » (2005, p. 200). Le sens des mots, le schéma des textes peuvent être activés par cette pratique puisque « s’il [le mot] est seulement écrit, sans être entendu, il peut être ambigu et seule la voix peut lever l’ambigüité » (Bouquet, 2006, p. 109). De plus, pour Novarina, la lecture à voix haute permettrait de comprendre le langage textuel autrement, de le faire voir autrement : « un autre texte apparait tout à coup. C’est le même

16 Dès l’Antiquité, la lecture à voix haute était la principale forme de lecture pratiquée dans la cité. Jusqu’au Xe siècle, la lecture silencieuse n’était pas habituelle en Occident. Elle était même considérée comme une pratique marginale que l’Église redoutait tout particulièrement puisqu’elle « autorisait la rêverie, la dangereuse paresse » (Manguel, 2006, p. 86) et qu’elle pouvait corrompre la lecture sacrée de la Bible. La lecture à voix haute était donc une pratique courante.

46

texte, mais dans un autre monde; la chair sonore est ici tout d’un coup : tout résonne et joue autrement. En changeant de milieu matériel, en étant répandu ailleurs, le langage se comprend autrement. Le texte est le même – mais plongé dans un autre bain, changeant d’espace, il se révèle autre » (Novarina, 2005, p. 10). Ainsi, la lecture à voix haute permet de mieux comprendre l’ensemble du discours en éclaircissant certains termes et en transformant même le langage.

Les travaux de De Peretti (2005, 2016, 2017, 2018), influencés par l’ouvrage Coup de théâtre en classe entière de Dulibine et Grosjean (2004), ont contribué à montrer que l’intégration du jeu dramatique dans le processus de lecture des œuvres dramatiques (principalement celles de Racine) en contexte scolaire aide les élèves à mieux saisir les textes. De Peretti affirme d’ailleurs que « la mise en jeu est capitale pour l’accès au sens même du texte » (2005, p. 16). D’abord, les exercices de jeu permettent aux étudiants de mieux comprendre les personnages complexes de la littérature classique en les incitant à porter une plus grande attention aux répliques et aux gestes des personnages. Par exemple, dans la recherche de De Peretti, un étudiant interrogé a affirmé que

quand on lit un texte, on ne s’intéresse pas forcément des fois aux répliques qu’on lit sans faire vraiment attention, alors que là, vu qu’on s’intéresse vraiment aux répliques, on voit ce que l’auteur veut… faire paraître comme sentiment par le personnage… Il faut vraiment incarner les personnages, se mettre dans la peau des personnages pour comprendre (2005, p. 8).

En résumé, les étudiants, en jouant, sont plus attentifs aux mots, aux répliques. Ils sont plus susceptibles de comprendre les personnages et leurs sentiments puisqu’ils doivent s’identifier à eux et s’en distancier pour les jouer. Selon De Peretti, le jeu permettrait de mieux comprendre les situations et les enjeux présentés dans la pièce, ainsi que le déroulement chronologique. En effet, le jeu permettait aux étudiants de mieux « visualiser » la pièce : « “En réalité, on se l’imagine comme un film”, “On le voit comme un court métrage” » (2005, p. 11). Bref, en jouant, les étudiants sont plus susceptibles de comprendre le résumé des événements puisqu’ils peuvent mieux le visualiser. Une autre étude menée par De Peretti a également révélé que les exercices de jeu dramatique permettaient aux étudiants de mieux comprendre le langage, les figures de style ainsi que la valeur esthétique de la pièce étudiée. En le jouant, les élèves sont plus attentifs à l’ensemble du texte : « Après les mises en voix, les seconds états des textes gagnent en cohérence, avec

47

un tissage du texte dialogué et des didascalies mieux gérées, un intérêt dramatique mieux ménagé, des effets comiques et poétiques renforcés » (2016, p. 63). En somme, le jeu permet aux étudiants d’améliorer leur compréhension des personnages, de l’histoire, du langage, etc.