• Aucun résultat trouvé

2. CADRE THÉORIQUE

2.2. Les rapports entre lecture littéraire et lecture dramaturgique

Ailloud-Nicolas suggère de transposer la dramaturgie en contexte scolaire en proposant la notion de lecture dramaturgique. Selon elle, la lecture dramaturgique est « une lecture du texte orientée vers la scène » (2008b, p. 84) qui a pour but d’« appréhender ce qui dans un texte de théâtre offre une variété de possibles afin de pouvoir envisager et comprendre les différentes variantes qui constituent les mises en scène » (2011, p. 85). Transposée en contexte scolaire, la lecture dramaturgique permettrait aux étudiants de dégager une

11 Par exemple, L’Avare de Molière a été une source d’inspiration importante pour plusieurs œuvres littéraires et cinématographiques québécoises et mondiales. Le personnage de L’Avare (Harpagon) est perceptible à travers Séraphin Poudrier, personnage tiré de l’œuvre Un homme et son péché (1993) de Claude Henri- Grignon, adaptée plusieurs fois à la télévision et au cinéma (1949, 1950, 1956-1970, 2002, 2015-2016).

27

multitude de sens et de significations12 d’une pièce écrite. Elle pourrait alors leur permettre de bien saisir l’instabilité structurelle du texte de théâtre et les aider à développer leur capacité à produire des interprétations diverses. Nous nous rangeons sous ce point de vue en ajoutant que la lecture dramaturgique, transposée dans le domaine de la didactique du français, pourrait constituer une variante de la lecture littéraire plus spécifique au texte dramatique. Il nous semble tout d’abord essentiel d’exposer les origines de la lecture littéraire ainsi que la définition que nous en retenons dans le cadre de ce projet. Puis, nous établissons les parallèles entre les notions de lecture littéraire et de lecture dramaturgique en insistant notamment sur les spécificités didactiques de la lecture du texte dramatique. Les théories de la lecture

L’enseignement de la littérature « s’est longtemps traduit par une mise hors jeu de la lecture, voire du lecteur en tant que sujet » (Rouxel, 2007, p. 65). En classe, les enseignants accordaient peu (ou pas) de place à la subjectivité des étudiants-lecteurs et aux interprétations personnelles que ces derniers pouvaient proposer. Ils leur imposaient plutôt un discours commun sur les œuvres provenant des recherches en littérature (Langlade, 2002). Le lecteur devait alors se soumettre au texte (Rouxel, 2007). Dans les années 1970, l’activité du lecteur intéresse certains théoriciens issus des études littéraires comme Hans Robert Jauss, Wolfgang Iser, Michel Charles, Michel Riffaterre et Umberto Eco. Selon Jean-Louis Dufays et al., deux grandes idées s’imposent alors à cette époque : 1) le texte est un produit inachevé qui doit être concrétisé par une lecture et 2) le texte est un ensemble d’indéterminations, d’ouverture de sens que seule la collaboration active d’un lecteur peut transformer en système ordonné de significations (2015, p. 64). Les théoriciens regroupés dans des théories que Dufays et al. (2015) qualifient d’internes13

postulent que chaque texte influencerait l’activité du lecteur puisqu’un programme de lecture spécifique serait inscrit en lui. On peut penser au « lecteur modèle » d’Eco (1985) ou au « lecteur implicite » d’Iser (1985). D’autres théoriciens proposent des théories dites externes14

qui portent plutôt sur

12

« Si le sens est en partie intrinsèque au texte, la signification en est extrinsèque, créée par un lecteur interprète qui cherche à produire de nouveaux signes à partir de ceux qu’il perçoit dans le texte » (Falardeau, 2003, p. 684).

13 Les théories internes sont centrées sur le texte et sur « la manière dont celui-ci influencerait, voire déterminerait, l’activité de ses récepteurs » (Dufays, 2005).

28

l’activité du lecteur réel et sur le rôle que ce dernier exerce dans la construction de sens du texte littéraire. Michel Picard (1986), par exemple, s’intéresse au psychisme du lecteur. Selon lui, tout lecteur est triple. Il est constitué du liseur (le lecteur physique), du lu (le lecteur psychoaffectif et émotionnel) et du lectant (le lecteur critique). Pour Picard, ces trois instances entretiennent un rapport dialectique lors de la lecture. S’en inspirant, Vincent Jouve définit plutôt le lu comme étant la dimension inconsciente du lecteur et le lectant comme étant la part du lecteur « piégée par l’illusion référentielle, qui considère, le temps de la lecture, le monde du texte comme un monde existant » (Jouve, 1993, p. 36). Picard et Jouve ont contribué à la prise en compte de l’importance de la subjectivité du lecteur dans tout acte de lecture même si la posture de ce dernier a radicalement changé dans les dernières années pour revenir aux droits du texte ou à l’importance de l’intention du texte (Jouve, 2010).

La lecture littéraire : entre participation et distanciation

Ce sont ces avancées qui ont fait surgir la notion de « lecture littéraire » en didactique du français au milieu des années 1990 (Dufays, 1994; Rouxel, 1996), notion qui a fait émerger bon nombre de recherches centrées sur l’expérience concrète de lecture du lecteur réel en contexte scolaire. Dufays (2010), s’inspirant des travaux de Picard (1986), propose de définir la lecture littéraire comme un va-et-vient dialectique entre participation psychoaffective et distanciation critique et rationnelle. Pour lui, la participation renvoie à l’implication psychoaffective du lecteur dans l’acte de lecture. La distanciation renvoie, quant à elle, à la mise à distance des affects faite par une analyse rigoureuse. En d’autres termes, la lecture littéraire jumèle la subjectivité du lecteur à la rigueur des connaissances littéraires, historiques et culturelles. Pour Dufays, cette conception permet d’intégrer la lecture savante et la lecture ordinaire dans une même activité. Néanmoins, sa définition tend à sous-estimer la lecture participative qu’il juge insuffisante. Selon lui, elle « n’est pas en soi porteuse d’apprentissages, de développement de compétences nouvelles » (Dufays et al., 2015). Or, tout comme Gérard Langlade et d’autres chercheurs qui s’intéressent à la lecture subjective, nous postulons que la lecture participative est au contraire porteuse d’apprentissages significatifs :

29

cette lecture participative, loin d’être naïve de l’œuvre dans de vagues références au vécu, est au fondement même de la lecture littéraire. Elle réalise en effet l’indispensable appropriation d’une œuvre par son lecteur dans un double mouvement d’implication et de distance où l’investissement émotionnel, psychologique, moral et esthétique inscrit l’œuvre dans une expérience singulière (Langlade, 2004a, p. 90).

Le lecteur théorisé par Langlade n’est plus un lecteur prévu par le texte comme l’était le lecteur modèle d’Eco (1985) et le lecteur implicite d’Iser (1985) : il est un sujet lecteur. Le sujet lecteur

Gérard Langlade, Marie-José Fourtanier et Annie Rouxel sont les premiers à définir la notion de « sujet lecteur » en janvier 2004 lors du colloque Le sujet lecteur et enseignement de la littérature organisé par l’université Rennes II et l’IUFM de Bretagne. Leurs recherches, axées sur la lecture subjective, reconnaissent le rôle déterminant du lecteur réel dans l’acte de lecture : « les réactions subjectives loin de faire tomber les œuvres “hors de la littérature” seraient en fait des catalyseurs de lecture qui alimenteraient le trajet interprétatif jusque dans sa dimension réflexive » (Langlade, 2004a, p. 85). Pour Langlade et Fourtanier, s’intéresser au sujet lecteur, c’est prendre en compte la façon singulière selon laquelle un lecteur s’approprie une œuvre littéraire et « considérer les états singuliers de réalisation d’un texte par l’activité de lecture d’un sujet comme matériau privilégié de l’analyse littéraire » (2007, p. 102). Les recherches sur la lecture subjective n’ont donc pas comme objet central le texte, mais le texte transposé en dispositif de l’imaginaire par l’activité du lecteur (Langlade, 2008) ou le texte du lecteur (Mazauric, Fourtanier, Langlade, 2011). Bref, elles s’intéressent à l’apport singulier du sujet lecteur dans la réalisation de l’œuvre lue.

La notion de sujet lecteur contribue à prendre en compte le lecteur réel en classe et, par le fait même, à renouveler les pratiques scolaires reliées à l’enseignement de la littérature, fortement marquées, au début des années 2000, par le formalisme et le technicisme qui valorisaient l’analyse objective des textes. Considérer le lecteur réel

suppose en effet que les activités qui se rapportent à la littérature s’intéressent au texte produit par ce lecteur, s’ouvrent au discours singulier qu’il tient sur l’œuvre. De ce fait, l’espace scolaire voué à la littérature se doit d’apparaitre comme un lieu de rencontre et de dialogue entre les expériences de « réalité fictive » à laquelle convient les œuvres et les représentations du monde variées – psychologiquement, sociologiquement et culturellement – des élèves (Langlade, 2004b, p. 95).

30

Les recherches récentes sur le cahier de lecture (Lebrun et Coulet, 2003; Ahr et Joole, 2013; Ahr, 2013 et 2015), sur l’autobiographie du lecteur (De Croix et Dufays, 2004; Rouxel, 2004), sur le cercle de lecture (Hébert, 2003; Terwagne, Vanhulle et Lafontaire, 2003) et sur le débat interprétatif (Dias-Charutini, 2010) contribuent au renouvellement des pratiques didactiques en favorisant la production singulière du « texte du lecteur » en classe. Nous nous inscrivons dans la lignée de ces travaux puisque nous avons tenté de montrer que la notion de sujet lecteur serait favorable au développement d’une approche didactique spécifique à la lecture du texte théâtral classique que nous considérons comme « objet multiplicateur, comme source et comme ressource » (Louichon, 2012, p. 48).

Un sujet lecteur particulier : lecteur, spectateur, acteur et metteur en scène

La lecture dramaturgique, tout comme la lecture littéraire, requiert l’agir singulier d’un sujet lecteur. Or, selon Anick Brillant-Annequin, elle permettrait de développer un sujet lecteur particulier qui aurait « une propension à transformer la lecture visuelle en lecture orale et scénique » (2004, p. 274). Ce sujet lecteur « lit pour incarner la partition verbale du texte. Il a une aptitude certaine à opérer des va-et-vient entre les discours verbaux et les discours para et non verbaux, entre les figures de mots et les figures d’objet » (2004, p. 274). En d’autres termes, il est habile pour transformer le texte écrit en représentation scénique. De plus, pour Petitjean, la compréhension et l’interprétation des personnages ne sont pas identiques pour la lecture du texte narratif et pour la lecture du texte dramatique : « Dans un cas, il [le personnage] est reconfiguré par le seul lecteur, dans une relation duelle, et dans l’autre, il s’inscrit dans une relation triangulaire établie entre lui, le comédien et le spectateur et médiatisée par bien d’autres fantômes discursifs (metteur en scène, dramaturge, scénographe, décorateur, costumier, maquilleur…) » (2003, p. 70). La lecture dramaturgique demande donc l’implication d’un sujet lecteur particulier, soit un sujet lecteur spectateur, voire même acteur et metteur en scène. En effet, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, le metteur en scène, l’acteur, le spectateur et le lecteur sont tous des interprètes d’une même œuvre. Or, les lecteurs peuvent explorer ces différents rôles d’interprètes afin de trouver celui qui leur convient le mieux, selon leurs goûts et leurs aptitudes.

31

Daniel Delas propose de nommer le lecteur de théâtre « le lecteur-spectateur » en le définissant comme un « lecteur qui n’oublie pas qu’il est un spectateur en puissance d’une performance théâtrale, spectateur qui sait que ce qu’il voit et entend sort d’un texte écrit, refusant ainsi de séparer l’un et l’autre » (2004, p. 193). Nathalie Lacelle (2009) développe, quant à elle, la notion de sujet lecteur spectateur dans le cadre d’une recherche portant sur la réception des adaptations cinématographiques dans l’enseignement de la littérature. Il nous semblait intéressant de l’adapter pour l’enseignement du texte dramatique puisque plusieurs parallèles peuvent être établis. Le sujet lecteur spectateur est appelé à faire une « spectature » dramatique, soit à assister à une représentation théâtrale (professionnelle ou non) de la pièce lue au préalable. Cette représentation donne un deuxième accès au sens du texte. Le sujet lecteur spectateur, en ayant en tête sa première lecture, peut reconfigurer le texte en amalgamant et en confrontant les éléments qu’il a construits lors de sa première lecture. Ainsi, il peut confirmer, modifier, solidifier ou invalider ses hypothèses. La spectature permet de comprendre et d’interpréter le texte dramatique à partir d’un autre support que le texte proprement dit. De plus, selon Denise Schröpfer, « plus la lecture du texte de théâtre s’adosse à une pratique du spectateur, plus les réflexes du lecteur naïf sont complétés par la capacité de voir ou d’entendre le texte sur une scène » (2009, p. 215). La spectature est ici complémentaire à la lecture littéraire puisqu’elle a pour principal objectif l’élaboration de sens. Au collégial, il est possible de former le sujet spectateur en proposant aux étudiants d’assister à une pièce de théâtre ou en leur faisant visionner des extraits vidéo en lien avec l’œuvre étudiée.

Dans l’approche de la lecture dramaturgique, le sujet lecteur sera aussi acteur et metteur en scène puisque la diversité des représentations scéniques permettrait aux lecteurs de prendre conscience de la pluralité interprétative des œuvres patrimoniales. Dans le même ordre d’idées, l’actualisation des textes se réalise, selon nous, plus facilement par le jeu théâtral que par l’explication magistrale de ses présupposés. En classe, les élèves seront alors appelés à jouer et à mettre en scène certains passages de la pièce puisque la lecture du texte dramatique gagne à passer par un travail d’essai/erreur sur la scène. Ils devront s’approprier un ou des personnages afin de mieux saisir le texte en testant certaines intonations, certains déplacements, etc. Ainsi, ils pourront expérimenter diverses hypothèses de lecture. Le jeu, tout comme la spectature, donnera un autre accès au sens du texte. En ayant en tête sa

32

lecture, sa spectature et son expérience de jeu, le sujet lecteur pourra une fois de plus reconfigurer le texte et en tirer des interprétations personnelles solides.

Nous pouvons donc réaffirmer que la lecture littéraire du texte dramatique interpelle au moins quatre rôles interprétatifs distincts : le lecteur, le spectateur, l’acteur et le metteur en scène. En classe, les étudiants peuvent expérimenter ces quatre rôles d’interprètes différents selon leurs intérêts, leurs capacités et les tâches qui leur sont attribuées. Ainsi, comme l’écrit Schröpfer, « il n’existe donc pas un “archilecteur” du texte de théâtre, mais plusieurs types de lecteurs qui se livrent de différentes manières à ces différentes opérations » (2009, p. 215).

La lecture littéraire : importance de la participation subjective

Nous considérons, à la suite de Langlade (2002) et de Louichon (2011), la lecture littéraire (et la lecture dramaturgique) comme une notion didactique qui permet de penser le dialogue entre une œuvre littéraire et un lecteur particulier (un sujet lecteur ou un sujet lecteur spectateur acteur metteur en scène) comme un enseignable, qui permet d’enrichir à la fois les compétences en lecture de l’étudiant et l’œuvre : « le lecteur se transforme, et transforme le texte par l’imaginaire et la réflexion qui, au fil du temps, sélectionnent certains passages, les réécrivent, les prolongent » (Shawky-Milcent, 2012, p. 248). En effet, Langlade et Fourtanier (2007) perçoivent l’implication du lecteur comme étant une nécessité fonctionnelle de la lecture littéraire. Pour Bayard (1998), qui s’inscrit dans la continuité des théories de la réception, un texte littéraire est inachevé. Ce texte a donc besoin de l’implication du lecteur afin d’exister : « À travers le prisme de sa mémoire intertextuelle, de ses références culturelles, de son histoire propre, de son expérience du monde, de ses désirs et de ses fantasmes, chacun fictionnalise l’œuvre à sa manière en investissant, en complétant ou en détournant les espaces fictionnels qu’elle lui offre » (Langlade et Fourtanier, 2007, p. 105). Le sujet lecteur est donc considéré comme un créateur (Langlade, 2008). Il contribue à donner à l’œuvre sa forme finale (Rouxel, 2007) ou, du moins, à lui attribuer un sens et des significations à un moment donné. Conséquemment, sa lecture reflète ses intérêts, ses valeurs, son appartenance à un milieu, etc. Pour Marlène Lebrun, « lire, c’est constituer du sens et non reconstituer un sens » (2005, p. 77). La part de participation du lecteur est donc très importante dans le processus

33

de lecture. Par sa lecture, un texte littéraire engendre une multitude d’œuvres singulières produites par des lecteurs singuliers. Ces derniers peuvent donc comprendre de manière tout à fait différente une même œuvre et proposer des hypothèses interprétatives très contrastantes à propos de celle-ci (Langlade et Fourtanier, 2007). De plus, les recherches sur la lecture subjective considèrent le lecteur comme étant divers puisqu’il peut être multiple, changeant, contradictoire (Sauvaire, 2011). En d’autres termes, un lecteur peut comprendre de différentes manières un texte et poser de multiples hypothèses. Comme le mentionnent Langlade et Fourtanier, la notion de sujet lecteur « renvoie en fait à un feuilletage identitaire complexe où les fragments de l’histoire propre du sujet se mêlent aux échos de ses diverses expériences de lecteur » (2007, p. 102). Pour eux, la lecture littéraire participe activement à la construction de l’individu : « elle donne à celui qui la pratique le sentiment renforcé de son identité propre et, dans le même temps, le sentiment libérateur d’appartenance à une communauté. Être davantage soi-même parce que l’on se sait moins seul » (2007, p. 118). Pour Lebrun (2005, p. 81), la construction de l’identité serait même l’une des trois finalités de la lecture littéraire (les deux autres seraient la formation de sa capacité à communiquer et l’appropriation d’outils langagiers, cognitifs et culturels qui permettent la construction de savoirs et de savoir-faire). Or, la lecture littéraire ne se réduit pas à la participation psychoaffective du lecteur; elle implique une part importante de distanciation.

La lecture littéraire : l’importance de la distanciation

Tout comme Marion Sauvaire (2011), nous considérons la distanciation comme étant un processus réflexif impliquant nécessairement la participation du lecteur. La subjectivité du lecteur lui sert de tremplin vers une lecture réflexive : « Ces éléments de subjectivité qui ont d’abord constitué des points d’ancrage dans le texte deviennent des leviers pour l’apprentissage de la distanciation, soit la mise à distance de ses propres références par l’analyse de l’univers représenté » (Falardeau, 2004, p. 40). Selon Sauvaire (2011), la distanciation à soi doit faire partie du processus de lecture littéraire puisqu’elle permet de briser le solipsisme interprétatif et qu’elle permet aux lecteurs de prendre conscience de la dimension subjective de leurs interprétations. La réflexivité du lecteur renvoie à une expérience de lecture « orientée vers l’explication de son propre parcours, par le biais de la

34

verbalisation de la diversité des ressources subjectives, de l’explication des processus mis en œuvre, et de la mise en relation des discours d’autrui » (Sauvaire, 2011, p. 75). D’ailleurs, selon Judith Émery-Bruneau (2010), un des objectifs de la formation d’un sujet lecteur conscient, réflexif et critique serait de prendre conscience de la singularité de sa lecture, de sa participation réfléchie.

Cette prise de conscience gagne à passer par un processus intersubjectif puisque, comme l’affirme Lebrun, « la lecture littéraire n’est pas un pur “texte-à-tête”, une construction solidaire de sens, mais au contraire un acte communautaire où la compréhension- interprétation passe par des situations d’échange » (2005, p. 78). En effet, le dialogue avec les autres lecteurs permet aux lecteurs de bonifier leurs propres interprétations en plus de leur faire comprendre la diversité interprétative définie par Sauvaire, Simard et Falardeau comme étant

la multiplicité des interprétations d’un texte littéraire telles qu’elles sont produites par des lecteurs, en situation d’interaction. La diversité interprétative est donc le produit à la fois de l’activité du sujet lecteur individuel et d’une communauté de lecteurs. Elle recouvre non seulement les diverses interprétations produites par différents lecteurs, mais aussi les multiples transformations que ces dernières subissent lors des interactions (2012, p. 64).

La lecture littéraire peut être ici considérée comme étant un processus complexe de construction de sens et de significations rendue possible par la participation subjective, par la distanciation à soi et par l’intersubjectivité. C’est cette définition que nous retenons dans le cadre de notre recherche puisque nous nous inscrivons dans la lignée des recherches sur la lecture subjective qui considèrent la subjectivité du lecteur comme étant fondamentale à la lecture littéraire. Nous croyons que cette définition peut aussi être applicable à notre conception de la lecture dramaturgique.

La lecture dramaturgique : implication subjective et décentrement de soi