• Aucun résultat trouvé

Le portrait de l’enseignante et ses pratiques déclarées (avant l’expérimentation)

4. LA PRÉSENTATION DES DONNÉES

4.1. Le portrait de l’enseignante et ses pratiques déclarées (avant l’expérimentation)

Cassiopée enseigne le français et la littérature au collégial depuis environ dix ans. Son parcours scolaire est semblable à celui des autres enseignants du cégep, c’est-à-dire qu’elle possède un baccalauréat et une maîtrise en littérature. Ses études l’ont conduite à l’obtention d’un poste d’enseignante avant même qu’elle complète le D.E.S.S. en enseignement collégial qu’elle avait entrepris. Après son embauche, elle a suivi quelques cours offerts par PERFORMA (Université de Sherbrooke) dans le but d’obtenir un diplôme en enseignement.

Lors du premier entretien, elle nous expose sa perception du théâtre ainsi que son rapport à ce genre littéraire. Pour elle, le théâtre, c’est surtout

C : l’EXPÉRIENCE. Le théâtre là, si j’avais un mot à mettre, ce serait l’expérience parce que… Bon, on s’accorde tous à dire que c’est dans la représentation que tout se passe. […] Donc, oui! J’dirais que c’est de l’expérience avant tout. L’expérience théâtrale, c’est l’émotion, PARTICULIÈREMENT, les émotions, les drames.

J : Donc, si je comprends bien, pour toi, le théâtre, c’est autant la littérature que le spectacle.

C : Oui, mais, mais… j’te dirais que j’suis plus dans le spectacle. Les mots, j’les apprécie quand c’est bien écrit, oui, mais j’vais avant tout y aller pour l’émotion (ENT1, A_01_02).

Sa pratique personnelle du théâtre va de pair avec cette définition qui tend vers une conception hybride du théâtre. Cassiopée affirme lire très peu de théâtre, mais assister à

86

plusieurs pièces chaque année, qu’elle juge somme toute assez classiques. Elle s’abonne parfois au Périscope, à la Bordée et au Trident, trois théâtres de la ville de Québec.

Toutefois, l’enseignement de ce genre littéraire qu’elle a reçu et qu’elle transmet tend à diverger de sa définition du théâtre. En effet, à l’université, elle dit avoir eu très peu de cours portant spécifiquement sur les œuvres dramatiques. Elle affirme avoir lu quelques classiques certes, mais sans les analyser en profondeur. De plus, depuis son embauche au cégep, aucune formation professionnelle n’a porté spécifiquement sur le théâtre. Pourtant, elle doit régulièrement l’enseigner depuis le début de sa carrière, notamment lorsqu’elle offre le cours Écriture et littérature.

Depuis son embauche, libre de choisir les œuvres à l’étude, Cassiopée teste l’enseignement de plusieurs œuvres théâtrales, notamment des œuvres de Molière. Elle dit sélectionner les œuvres à partir de leur adaptation cinématographique. Elle souhaite ainsi plaire aux étudiants, les motiver en plus de les aider à mieux comprendre l’œuvre à l’étude : « les étudiants, surtout en 101, ça les aide à comprendre » (ENT1, A_02_02). Elle dit également choisir des œuvres qu’elle juge plus simples (non versifiées, qui requièrent moins de connaissances mythologiques, etc.) afin de s’assurer que les étudiants puissent relever le défi de les lire. Par exemple, lors des dernières années, elle a choisi d’étudier Le Bourgeois Gentilhomme grâce au film Molière, mais aussi puisque « c’est une pièce où le comique ressort assez facilement. Les étudiants le voient bien » (ENT1, A_02_02), ce qui favorise l’apprentissage de ces savoirs qui sont les principaux à transmettre dans sa séquence habituelle.

Avant l’expérimentation, malgré son penchant vers le spectacle, l’enseignante déclare exploiter les œuvres théâtrales de façon traditionnelle, notamment à partir d’une présentation biographique de l’auteur et d’un questionnaire écrit de compréhension de lecture (inspiré des questions proposées dans les éditions Beauchemin) qui porte surtout sur le fond de l’œuvre. Dans son cours Littérature québécoise, ces questions font l’objet d’un séminaire, c’est-à-dire que les questions travaillées dans le questionnaire font l’objet d’une discussion en classe. L’enseignante explique ne pas insister beaucoup sur la forme du théâtre. Elle propose une définition aux étudiants, elle définit les termes techniques (monologue, didascalies, etc.), mais n’insiste pas sur la représentation. Comme la

87

compétence générale du cours Écriture et littérature est de rédiger une analyse littéraire, l’enseignante dit prioriser les activités permettant directement de développer cette compétence. Elle propose parfois une table ronde au cours de laquelle elle souhaite valoriser le jugement critique des œuvres (appréciation, etc.) ainsi que la discussion littéraire. Or, de façon générale, elle oriente ses activités pédagogiques exclusivement en fonction de l’analyse littéraire.

Elle tente également de faire des liens entre les œuvres et certains supports audiovisuels. Elle présente, par exemple, des extraits des pièces de théâtre mises en scène ou des extraits de films lorsqu’elle enseigne le théâtre classique. Cette pratique lui permet de faire ressortir le comique des scènes. Elle souhaite également aider les étudiants à mieux comprendre les œuvres leur contexte d’écriture (notamment par le film Molière). Par ces pratiques, elle tente aussi de montrer aux étudiants que les œuvres classiques sont intemporelles et qu’elles inspirent de nombreux créateurs encore aujourd’hui.

Lors du premier entretien, l’enseignante développe un discours réflexif sur sa pratique : « j’suis en train de tout repenser ma façon de, que j’enseigne là… » (ENT1, A_04_01). Elle s'interroge, entre autres, sur la manière de transmettre les contenus du cours Écriture et littérature qu’elle dit être un « écueil » pour les étudiants. En effet, ces derniers semblent avoir du mal à lire les textes au programme, notamment les textes classiques qui représentent un défi de lecture important (particulièrement en ce qui concerne la langue). Cassiopée cherche une manière de faire autrement afin que les étudiants ne se découragent pas dès ce deuxième cours18 de littérature au collégial. Elle remet aussi en question sa séquence habituelle portant sur Le Bourgeois Gentilhomme qu’elle trouve peu spécifique à sa façon personnelle d’enseigner. En effet, elle a repris cette séquence d’une autre enseignante puisqu’elle se sentait peu à l’aise dans l’enseignement du théâtre. Elle se questionne aussi sur les pratiques pédagogiques qu’elle privilégie lors de cette séquence. Elle remet en question le questionnaire de lecture, qu’elle trouve fastidieux autant pour elle (pour la correction) que pour ses étudiants. Elle se donne aussi comme défi d’enseigner des œuvres plus complexes, par exemple, des tragédies. D’ailleurs, elle se questionne sur la

18 Normalement, au collégial québécois, le cours Écriture et littérature est le premier cours de français du cheminement des étudiants. Or, le cégep où nous avons réalisé notre recherche impose un cours de renforcement à tous ses étudiants dans le but de favoriser leur réussite.

88

manière de procéder. Elle ajoute aussi qu’elle aimerait avoir plus de connaissances cinématographiques afin de pouvoir mieux mettre en relation les extraits audiovisuels et les extraits littéraires qu’elle met au programme. Finalement, elle réfléchit à l’idée d’intégrer le jeu dramatique dans ses séquences sur le théâtre. Elle dit que cette idée lui trotte en tête depuis plusieurs années. Cependant, elle se questionne sur la manière de l’appliquer plus concrètement en classe.