• Aucun résultat trouvé

La lecture dramaturgique : approche didactique du texte dramatique en cours de littérature au collégial : entre texte et représentation

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La lecture dramaturgique : approche didactique du texte dramatique en cours de littérature au collégial : entre texte et représentation"

Copied!
211
0
0

Texte intégral

(1)

© Jennifer Demers, 2019

La lecture dramaturgique : approche didactique du texte

dramatique en cours de littérature au collégial. Entre

texte et représentation

Mémoire

Jennifer Demers

Maîtrise en didactique - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

ii

La lecture dramaturgique : approche didactique du

texte dramatique en cours de littérature au collégial

Entre texte et représentation

Mémoire

Jennifer Demers

Sous la direction de :

Marion Sauvaire, directrice de recherche Érick Falardeau, codirecteur de recherche

(3)

iii

RÉSUMÉ

La lecture des textes dramatiques nécessite l’apport d’un sujet lecteur particulier, à la fois lecteur, acteur, spectateur et metteur en scène. Or, l’approche « textocentrique » des œuvres dramatiques domine dans les cours de littérature au collégial québécois, empêchant les étudiants d’explorer tous les rôles interprétatifs propres au théâtre. Dans ce mémoire de maîtrise, nous proposons de transposer la notion de lecture dramaturgique, telle que définie par Ailloud-Nicolas dans le domaine de la didactique du français. Cette notion, variante de la lecture littéraire plus spécifique à la lecture des œuvres théâtrales, pourrait constituer une approche féconde du genre, notamment puisqu’elle favorise la diversité interprétative et l’actualisation des œuvres par l’analyse textuelle et le jeu dramatique.

En collaboration avec une enseignante, nous avons conçu une séquence d’enseignement portant sur Le Bourgeois Gentilhomme de Molière, intégrant des activités inspirées de la lecture dramaturgique et visant à outiller les enseignants dans son enseignement. Cette séquence a été testée dans une classe de littérature au collégial, a été analysée selon les gestes professionnels posés lors de l’expérimentation et a été évaluée par l’enseignante. Cette recherche développement nous a permis de constater que peu de gestes professionnels sont spécifiques à la lecture dramaturgique; c’est plutôt le choix des activités qui permet de favoriser l’implication du sujet lecteur acteur spectateur metteur en scène. Cette approche constitue donc une option intéressante pour les enseignants qui désirent ajouter une pièce de théâtre à leur programme. Dans cette perspective, nous avons amélioré la séquence d’enseignement initiale afin qu’elle soit plus cohérente avec la théorie de la lecture dramaturgique et avec les considérations des milieux scolaires.

Mots-clés : lecture dramaturgique, lecture littéraire, œuvre patrimoniale, sujet lecteur, recherche développement, gestes professionnels.

(4)

iv

Table des matières

RÉSUMÉ ... iii

LISTE DES TABLEAUX ... vii

LISTE DES FIGURES ... vii

REMERCIEMENTS ... ix

INTRODUCTION ... 1

1. PROBLÉMATIQUE ... 3

1.1. Le théâtre : un genre littéraire qui pose problème ... 3

1.1.1. Un art hybride ... 3

1.1.2. La dualité entre didascalies et dialogues ... 6

1.1.3. Multiplicité des interprètes ... 7

1.2. Les approches actuelles du texte de théâtre dans les cours de littérature ... 9

1.3. Les causes de la prédominance du « textocentrisme » dans l’enseignement du texte de théâtre... 13

1.3.1. La formation traditionnelle des enseignants de littérature du collégial ... 13

1.3.2. Un manque de recherches ... 14

1.4. La place du théâtre dans l’enseignement de la littérature au collégial ... 18

1.5. Le jeu dramatique et la lecture subjective ... 20

1.6. Les objectifs de la recherche ... 23

2. CADRE THÉORIQUE ... 25

2.1. Molière : classique ou patrimonial ?... 25

2.2. Les rapports entre lecture littéraire et lecture dramaturgique ... 26

2.3. Un dialogue entre compréhension et interprétation ... 38

2.3.1. La compréhension, l’interprétation et l’actualisation dans les théories théâtrales ... 39

2.3.2. Comprendre, interpréter et actualiser en didactique du français ... 43

2.3.2.1. Qu’est-ce que la compréhension? ... 43

2.3.2.2. Qu’est-ce que l’interprétation? ... 47

2.2.2.3. Qu’est-ce que l’actualisation d’une œuvre patrimoniale? ... 50

2.4. Les gestes professionnels en situation de lecture dramaturgique ... 52

2.5. Conclusion ... 55

3. PROPOSITIONS MÉTHODOLOGIQUES ... 57

3.1. La recherche développement ... 57

3.2. Modèle de recherche développement : les étapes de la recherche ... 59

3.3. L’échantillonnage ... 61

3.4. Méthode de collecte de données ... 62

(5)

v

3.4.2. Observation participante ... 66

3.4.3. Planification de la collecte des données ... 68

3.5. Le traitement et l’analyse des données ... 69

3.5.1. L’analyse de contenu ... 70

4. LA PRÉSENTATION DES DONNÉES ... 84

4.1. Le portrait de l’enseignante et ses pratiques déclarées (avant l’expérimentation) .... 85

4.2. La séquence didactique (version initiale) ... 88

4.3. L’analyse de la séquence ... 94

4.3.1. L’appréciation générale de la séquence planifiée (avant l’expérimentation) ... 94

4.3.2. L’analyse des activités ... 95

4.3.2.1. Les quatre ensembles d’activités ... 96

4.3.2.2. Les activités d’entrée dans l’œuvre ... 98

4.3.2.3. Les activités d’actualisation... 107

4.3.2.4. Les activités de lecture jeu... 116

4.3.3. L’évaluation globale de la séquence (après l’expérimentation) ... 127

4.4. Conclusion ... 128

5. L’INTERPRÉTATION DES DONNÉES ... 129

5.1. Les gestes professionnels de lecture dramaturgique... 129

5.2. Les gestes professionnels favorisant les sphères de la lecture dramaturgique ... 133

5.3. La version améliorée de la séquence didactique ... 135

5.4. Conclusion ... 142

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 143

1. Les défis et les limites de notre recherche ... 143

2. Synthèse et conclusion ... 144

BIBLIOGRAPHIE ... 146

ANNEXE 1 : GRILLE D’OBSERVATION ... 158

ANNEXE 2 : LES ENTRETIENS AVEC L’ENSEIGNANTE ... 160

2.1. Entretien 1 ... 160

2.2. Entretien 2 ... 165

2.3. Entretien 3 ... 167

ANNEXE 3 : LA TRANSCRIPTION DES SÉANCES OBSERVÉES ... 173

3.1. Séance 1 ... 173

3.2. Séance 3 ... 180

3.3. Séance 4 ... 185

3.4. Séance 5 ... 190 ANNEXE 4 : LES DOCUMENTS NÉCESSAIRES À LA SÉQUENCE DIDACTIQUE 196

(6)

vi

4.1. Le document de travail ... 196 4.2. Le tableau comparatif et le travail préparatoire ... 200

(7)

vii

LISTE DES TABLEAUX

No1 : Guide du premier entretien 63

No2 : Guide du deuxième entretien 64

No3 : Guide du troisième entretien 65

No4 : Protocole de la collecte des données de la recherche développement 68

No5 : Le traitement des données de notre recherche 70

No6 : Outils et thèmes d’analyse selon les objectifs de la recherche 72

No7 : Définitions des sous-catégories du thème I 73

No8 : Définitions des sous-catégories du thème II 76

No9 : Définitions des sous-catégories du thème III 80

No10 : Définitions des sous-catégories du thème IV 83

No11 : Légende des transcriptions des observations et des transcriptions 84 No12 : Récapitulation du processus d’analyse des données de la recherche 84

No13 : La version initiale de la séquence didactique 89

No14 : Les activités classées par catégories selon les rôles interprétatifs de la

lecture dramaturgique 97

No15 : Analyse des activités d’entrée dans l’œuvre en regard des rôles

interprétatifs de la lecture dramaturgique et des gestes professionnels 99 No16 : Analyse des activités d’actualisation en regard des rôles interprétatifs de

la lecture dramaturgique et des gestes professionnels 107

No17 : Analyse des activités de lecture jeu en regard des rôles interprétatifs de la

lecture dramaturgique et des gestes professionnels 116

No18 : Les gestes professionnels de la lecture dramaturgique 130 No19 : La version améliorée de la séquence didactique 137

LISTE DES FIGURES

(8)

viii

On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées, et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre. Molière, 1665

(9)

ix

REMERCIEMENTS

Je tiens d’abord à remercier ma très enthousiaste directrice, Marion Sauvaire, qui a cru en mon projet dès notre première rencontre. Merci de m’avoir aussi bien dirigée. Tes précieux commentaires et conseils m’ont permis de réaliser un projet dont je suis fière et qui dépasse mes attentes.

Je remercie également Érick Falardeau pour son implication dans ce mémoire de maîtrise. Tes précieuses remarques ont contribué à donner une orientation plus claire à cette recherche. Merci pour tes nombreux mots d’encouragement !

Merci à Isabelle De Peretti et à Marie-Christine Beaudry qui ont accepté de me lire. C’est un honneur pour moi que vous soyez impliquées dans ce projet.

Merci à ma chère collègue, dont l’identité doit rester secrète, qui a testé la séquence dans sa classe. Sans toi, ce projet n’aurait probablement jamais vu le jour. Je te serai éternellement reconnaissante.

Merci aux étudiants qui ont participé à ce projet et qui se sont prêtés au jeu.

Merci à tous mes collègues pour vos encouragements constants. Nos discussions professionnelles ont stimulé mon imaginaire et ont contribué à enrichir ce grand projet. Un merci tout particulier à Jacinthe. Sans toi, je ne serais pas où je suis aujourd’hui. Merci de croire en moi.

Un merci tout particulier à mes parents pour leur patience, leur aide et leurs encouragements. Merci d’avoir fait de l’éducation la priorité absolue !

Merci à François pour ton amour inconditionnel et ton énorme soutien. Merci de calmer mes pires scénarios de fin du monde.

Un merci particulier à mes merveilleuses sœurettes, Isabelle et Nathalie, à mon frère, Pascal, ainsi qu’à tous les membres de ma famille et à tous mes amis qui ont contribué de près ou de loin à ce projet. Vos encouragements valent de l’or.

(10)

1

INTRODUCTION

Cette recherche développement s’inscrit dans le domaine de la didactique de la littérature au collégial, dans la lignée des recherches portant sur la lecture littéraire et sur le sujet lecteur. Nous nous sommes intéressée plus précisément à la lecture du texte théâtral, qui semble poser problème tant en ce qui concerne sa lecture que son enseignement. Nous nous sommes demandé si l’approche traditionnelle de la littérature, dominante au collégial, s’apprête bien à ce genre littéraire, à la fois textuel et représentationnel, notamment puisque les considérations des professionnels du théâtre tendent à favoriser une approche sensorielle et émotionnelle des textes, expérimentés par leur mise en voix et leur mise en scène. Nous croyons qu’une approche mixe, jumelant l’analyse purement textuelle et l’analyse par le jeu, la lecture dramaturgique, pourrait contribuer à la formation spécifique d’un sujet lecteur de théâtre. Il nous apparaissait nécessaire de développer une séquence d’enseignement dans laquelle nous expérimenterions cette hypothèse et par laquelle nous orienterions l’action didactique.

Ce mémoire de maîtrise se divise en cinq chapitres.

Dans le premier chapitre, nous exposons le parcours conceptuel et réflexif qui nous a amenée à fixer nos objectifs de recherche. Nous nous intéressons d’abord aux spécificités du genre théâtral ; puis, nous exposons les approches actuelles du texte dramatique en classe de littérature au collégial en nous intéressant plus particulièrement aux causes de la prédominance du textocentrisme. Ensuite, nous illustrons la place qu’occupe actuellement l’enseignement des œuvres théâtrales dans les cours obligatoires de français au collégial. Enfin, nous nous intéressons à l’intégration du jeu dramatique en classe, sur lequel pourrait reposer une approche didactique spécifique des œuvres théâtrales.

Le second chapitre est consacré au cadre théorique. Nous commençons par définir la notion de lecture littéraire dans le but de la mettre en parallèle avec celle de lecture dramaturgique et de soulever les spécificités de cette dernière. Puis, nous nous intéressons à la compréhension, à l’interprétation et à l’actualisation, rendues possibles, dans une approche dramaturgique, à la fois par la participation et la distanciation du sujet lecteur ainsi que par l’intersubjectivité. Nous verrons aussi que les constituantes de la lecture littéraire et de la lecture dramaturgique gagnent à être bonifiées par le jeu dramatique.

(11)

2

À la suite de la présentation de notre cadre théorique, nous exposons la méthodologie de notre recherche en présentant chacune des étapes de cette recherche développement ainsi que les outils de collecte de données auxquels nous avons eu recours. Dans la deuxième partie de ce chapitre, nous présentons notre cadre d’analyse, notamment en détaillant notre livre de codes et en expliquant les catégories avec lesquelles nous avons analysé les données collectées sur le terrain.

Dans le quatrième chapitre, nous commençons par détailler la séquence didactique créée en collaboration avec une enseignante de littérature au collégial. Nous l’analysons ensuite du point de vue de l’enseignante et d’un point de vue théorique en nous intéressant principalement à l’analyse des gestes professionnels posés par cette dernière tout au long de l’expérimentation de la séquence.

Pour conclure, nous interprétons nos données en établissant des parallèles entre nos résultats et notre cadre théorique dans le but de proposer une version améliorée de la séquence d’enseignement, plus cohérente avec la notion de lecture dramaturgique et plus sensible aux contraintes du milieu scolaire.

(12)

3

1. PROBLÉMATIQUE

1.1. Le théâtre : un genre littéraire qui pose problème

Le théâtre est l’un des quatre genres littéraires à devoir être enseigné dans les cours de français, langue d’enseignement et littérature au cégep selon les recommandations des programmes de formation du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur de 2011 et de 2016. Plusieurs travaux exposent les nombreux bénéfices1 que peuvent tirer les étudiants de son apprentissage (Monod, 1977; Balazard et Gentet-Ravasco, 1996; Somfalean, 1999; Ringot, 1999; Ferrier, 2013; Wendell, 2014; etc.). Toutefois, certains autres chercheurs, enseignants et théoriciens s’entendent pour dire que son enseignement ne va pas de soi (Lizé, 1992; Caillot, Citterio, Gaspard-Huit et Marion, 1994; Ubersfeld, 1996; Bernanoce, 2013; Ailloud-Nicolas, 2013; Lallias, 2013; Dulibine et Grosjean, 2013) principalement parce que l’approche traditionnelle des œuvres littéraires, qui « privilégie le texte et ne voit dans la représentation que l’expression et la traduction du texte littéraire » (Ubersfeld, 1996, p. 13), n’est pas adaptée à l’exploration de certaines spécificités du genre théâtral. En effet, cette approche ne permet pas de concevoir le théâtre en tant qu’art hybride entre texte et représentation, en plus d’amoindrir l’importance accordée aux didascalies au profit d’une étude centrée principalement sur le dialogue. Or, concevoir le théâtre comme un art hybride nécessite de tenir compte de la multiplicité des interprètes possibles du texte dramatique, soit des metteurs en scène, des spectateurs, des acteurs et des lecteurs.

1.1.1. Un art hybride

Le théâtre n’est pas seulement un texte littéraire; il est aussi une représentation, un spectacle. Notons que le mot « théâtre » vient du grec « theastai » qui signifie « voir ». Anne Ubersfeld décrit le théâtre comme un art paradoxal :

à la fois production littéraire et représentation concrète; à la fois éternel (indéfiniment reproductible et renouvelable) et instantané (jamais reproductible comme identique à

1

Le théâtre permet, entre autres, de développer et d’enrichir le vocabulaire, de travailler l’expression orale, de développer des compétences de communication, de promouvoir certaines pratiques artistiques et sociales, etc. À la question « Le théâtre pour quoi faire? », Lizé répond : « Pour mieux vivre. Le travail d’équipe, la tolérance, l’écoute, l’engagement, la communication, la créativité sont des valeurs incontournables dans la vie, comme au théâtre » (1992, p. 66). L’enseignement du théâtre contribuerait donc à la formation d’une société démocratique.

(13)

4

soi) : art de la représentation qui est d’un jour et jamais la même le lendemain; art à la limite fait pour une seule représentation, un seul aboutissement (1996, p. 11).

Le théâtre unit un objet textuel et un objet scénique (Lallias, 2013). L’un doit nécessairement aller avec l’autre pour être complet (du moins normalement2). L’objet

textuel est, en quelque sorte, un canevas qui soutient une représentation (Ubersfeld, 1996), une partie du théâtre. Le texte dramatique permet au théâtre de survivre après la représentation qui s’éteint nécessairement après sa présentation devant un public : « Le théâtre, ce n’est pas l’amour de l’éternité, c’est l’amour du présent. C’est pourquoi la littérature le méprisera toujours » (Py, 2013, p. 52). Le théâtre est « autodestructeur. Il est écrit sur le sable », comme l’écrit Peter Brook (1977, p. 543). Au final, il n’est pas uniquement destiné à être lu; il est aussi, et surtout, destiné à être joué.

Par conséquent, le texte seul est troué3 (Ubersfeld, 1996) et insuffisant (Pruner, 2014). Selon Christian Biet et Christophe Triau (2006), le texte dramatique n’est qu’une proposition qui doit être complétée par une mise en scène. D’ailleurs, pour Yves Lavandrier, « on ne peut pas comparer un texte de théâtre à une œuvre achevée. Une œuvre achevée bénéficie de la musique, [d’] éclairage, [de] costume, etc. C’est une œuvre en construction » (2004, p. 542). Le texte dramatique est donc une équation qui doit être résolue sur la scène par des essais et des erreurs (Tackels, 2013) faits, entre autres, par des metteurs en scène et des acteurs. Le mode d’expression du théâtre est alors avant tout l’action scénique (Monod, 1977). Selon Valère Novarina, le texte est court puisqu’un manque est inscrit en lui :

Une place est laissée en creux [dans le texte] : il faut laisser de la place à ce qui va continuer à agir une fois le texte achevé. Laisser de la place pour les muets... pour l’action des muets. Car le tissage du texte de théâtre va jusqu’à écrire avec d’autres choses qu’avec des mots, écrire aussi avec un objet qui arrive, écrire avec quelqu’un qui s’agenouille, avec une couleur qui s’en va. Le texte de théâtre s’écrit avec

2 Quelques pièces sont écrites uniquement pour être lues, mais elles sont peu nombreuses. Le recueil de texte

Spectacle dans un fauteuil (1832) de Musset par exemple regroupe quelques pièces destinées à être lues. Ces

pièces n’ont d’ailleurs pas été mises en scène du vivant de l’auteur. Cependant, le théâtre occidental unit habituellement un texte et une représentation. Pour Pruner, le théâtre « semble avoir du mal à se passer du texte » (2014, p. 6).

3 Un débat entoure actuellement la notion de « texte troué », notamment puisqu’elle insiste sur un manque du texte qui serait à combler par un metteur en scène, ce qui semble rendre l’œuvre écrite lacunaire par rapport à la représentation. Toutefois, comme Bernanoce (2003), nous croyons que « le texte théâtral existe à part entière et n’entretient pas de rapports linéaires avec le spectacle » (p. 96).

(14)

5

beaucoup de vide autour. Avec un grand appel d’air, avec l’espace dedans (2005, p. 11).

D’ailleurs, cet inachèvement du texte s’exprime dans les innombrables mises en scène différentes d’une même pièce. Les metteurs en scène font un travail de création scénique à partir du texte troué. Ils remplissent les vides afin de produire leurs propres interprétations. Une mise en scène est donc une lecture possible d’une pièce de théâtre faite par un lecteur particulier, à un moment donné (Monod, 1977). Ainsi, pour chaque œuvre, il existe « une multiplicité de lecteurs ayant chacun leur posture particulière » (Biet et Triau, 2006, p. 541), ce qui explique la diversité des mises en scène possibles d’un même texte. Une pièce de théâtre est « livrée en permanence à toutes les subjectivités interprétatives, donc à toutes les trahisons possibles » (Pruner, 2014, p. 7). En conséquence, dans un contexte d’enseignement, il importe d’apprendre aux étudiants à valider leurs interprétations à partir des éléments textuels présents dans le texte, mais il est aussi nécessaire de leur faire comprendre que « toute représentation [et donc toute lecture] est toujours la résultante de choix et d’abandons, de résonances inattendues » (Lallias, 2013, p. 156).

En milieu scolaire, le double statut du genre théâtral peut représenter un obstacle plutôt qu’un défi pour plusieurs enseignants (Vigeant, 1992). Il peut s’avérer difficile pour les enseignants de littérature d’expliquer les textes de théâtre s’ils privilégient uniquement la lecture silencieuse comme accès au sens du texte. « La clé est ailleurs » comme l’écrit Ubersfeld (1996). Comme le mentionne Isabelle De Peretti, l’hybridation du genre théâtral

appelle la mise en place, dans les classes, de dispositifs de jeu, permettant de rompre avec une conception très intellectualisée de la lecture littéraire, d’offrir cette unique possibilité de comprendre dans l’action et dans l’émotion, et d’introduire la jouissance du temps présent à l’école, qui manifeste le pouvoir d’action sur le réel de la culture (2016, p. 56).

En classe, les enseignants gagneraient donc à opter pour des activités dans lesquelles la lecture serait surtout orientée vers la scène. Toutefois, les enseignants ne sont pas nécessairement tous à l’aise d’insérer la mise en scène ou le jeu dramatique dans leur séquence didactique (Balazard et Gentet-Ravasco, 1996; Dulibine et Grosjean, 2004; Mongenot et De Peretti, 2013) puisque, pour la plupart, ils ne sont pas formés à ce type d’approche des textes (comme nous le verrons plus loin) et puisqu’ils n’ont pas tous « l’habitude “technique” du théâtre joué ou l’imaginaire particulier nécessaire pour inventer

(15)

6

une représentation fictive » (Ubersfeld, 1996, p. 7). En ce qui concerne les étudiants, ils ne sont pas non plus tous à l’aise de jouer devant leurs camarades. L’enseignant doit donc créer des activités spécifiques didactisées pour cette situation scolaire précise ainsi qu’une ambiance qui serait propice à leur réalisation.

1.1.2. La dualité entre didascalies et dialogues

Le théâtre est composé de deux éléments textuels qui lui sont spécifiques, soit le dialogue et les didascalies. Le dialogue réfère à « la totalité du discours dit par les personnages durant la représentation » (Pruner, 2014, p. 15), alors que les didascalies, nécessaires à l’interprétation des pièces (Biet et Triau, 2006), sont des indications narratives, descriptives et scéniques qui permettent de mettre en scène le texte. Cette dualité est spécifique au texte de théâtre, mais peut varier d’une pièce à une autre. Par exemple, certaines pièces sont exemptes de dialogues et sont composées uniquement de didascalies comme Acte sans paroles de Samuel Beckett (1957). Au contraire, des pièces comme celles de Racine et de Corneille ou encore Antigone de Sophocle4 sont exclusivement constituées des paroles des personnages. Toutefois, de façon générale, les lecteurs doivent apprendre à lire à la fois les didascalies et les dialogues s’ils veulent comprendre les œuvres théâtrales.

En contexte scolaire, les étudiants, mais aussi les enseignants, ne prennent pas toujours le temps de lire les didascalies. En 2006, Marie Bernanoce a mené une enquête qui révèle que les enseignants ne s’intéressent pas aux didascalies : « Lorsqu’on demande à des enseignants comment ils lisent du théâtre, s’ils en lisent, la réponse fréquente est la suivante “ moi, de toute façon, je ne lis que le dialogue, le reste ne m’intéresse pas! ” » (p. 226). Les étudiants et les enseignants peuvent donc omettre de lire des éléments essentiels à la compréhension et à l’interprétation de l’œuvre. Souvent, les didascalies sont considérées comme des « instructions techniques, mécaniques de mise en scène » (Gallèpe, 2007, p. 38). Elles deviennent ainsi illisibles puisque le lecteur ne se sent pas apte à déchiffrer des informations techniques ou croit qu’elles sont utiles seulement pour les metteurs en scène. Les didascalies sont cependant beaucoup plus que cela : elles sont descriptives, narratives et injonctives (Gallèpe, 2007). Elles ont un rôle déterminant dans la lecture du texte de

4

Les didascalies sont apparues pour la première fois dans la pièce Le Jeu d’Adam entre 1150 et 1170. Les pièces qui précédent cette période ne contiennent donc pas de didascalies authentiques des auteurs.

(16)

7

théâtre. Notons que plusieurs dramaturges du théâtre contemporain considèrent le texte didascalique comme étant une « véritable création verbale, aussi soignée – sinon plus, quelquefois – que les répliques des personnages » (Martinez-Thomas, 2007, p. 35-36). Il est donc essentiel que les enseignants développent eux-mêmes des habiletés de lecture spécifiques au texte didascalique afin qu’ils puissent en faire bénéficier leurs étudiants.

1.1.3. Multiplicité des interprètes

Il existe divers rôles interprétatifs reliés aux textes théâtraux. Les metteurs en scène, les spectateurs, les acteurs, les lecteurs, les scénographes, les éclairagistes, les ingénieurs de son, etc. sont tous des interprètes d’une même pièce. Or, leurs objectifs ne sont pas nécessairement les mêmes. Nous retiendrons les rôles des quatre premiers interprètes, car ils nous semblent plus facilement adaptables en contexte scolaire, notamment puisqu’ils requièrent moins de matériel et de connaissances techniques.

D’abord, une pièce peut être interprétée par un metteur en scène. Celui-ci s’approprie le texte en lui conférant une orientation particulière résultant d’une multitude de choix qui donneront naissance à une mise en scène singulière. Son objectif est clair : proposer une représentation scénique à partir de son interprétation personnelle du texte dramatique (Pavis, 1996). La lecture qu’il en fait est donc essentiellement « tournée vers le plateau » (Ailloud-Nicolas, 2008a).

Le rôle du spectateur est aussi important dans le travail interprétatif des œuvres dramatiques. En effet, déjà en 1948, Berthold Brecht s’opposait au spectateur aliéné et passif. Au contraire, pour lui, le théâtre devrait mobiliser le sens critique du spectateur, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a théorisé le concept de distanciation5

que nous définirons dans le chapitre suivant. Après cette théorisation, le rôle interprétatif du spectateur n’a jamais été contesté dans le travail de création théâtrale. Selon Biet et Triau, le rôle du spectateur est de « lire les signes dont le travail de répétition a élaboré l’agencement, d’être confronté, à travers ce qui lui est présenté sur la scène, à une démarche qui a fondé le travail des praticiens » (2006, p. 400). Il consiste aussi à résoudre les questions « que les éléments disposés sur la scène lui posent, à prendre en compte les

5

Pour Brecht (1948), la distanciation consiste à mettre l’objet de la représentation à distance du spectateur dans le but que ce dernier éprouve le sentiment de son étrangeté.

(17)

8

signes et à les réagencer de manière cohérente, en s’appuyant sur la cohérence supposée de la mise en scène » (2006, p. 401). Le spectateur est également en mesure d’apprécier la représentation à laquelle il assiste. Il a donc un rôle critique en plus d’avoir un rôle d’interprète sensible.

L’acteur aussi a un rôle interprétatif important. Son rôle consiste à s’approprier physiquement et verbalement le texte. Pour Biet et Triau, le travail interprétatif de l’acteur passe avant tout par l’énergie de la respiration :

En s’appropriant le texte qu’il doit lire, l’acteur décompose donc le discours en blocs (de souffle projeté) et en intervalles (les inspirations), suivant en cela éventuellement les vers, ou la ponctuation, l’accentuation proposées ou en les remplaçant par les siennes propres. Pensée et sentiments sont alors traduits grâce à la mise en œuvre du souffle qui, à la fois, signale l’extrême présence du corps du comédien et sa capacité à imposer un sens particulier, la singularité de l’interprétation propre à l’acteur-individu, enfin la diction propre aux acteurs tels qu’ils sont dirigés par le metteur en scène ou tels qu’ils sont solidaires (historiquement, par effet de troupe, ou par formation) d’un certain type de déclamation (2006, p. 460).

En d’autres termes, en choisissant une intonation particulière ou en choisissant de prendre des pauses dans son discours, l’acteur contribue à l’élaboration de ses interprétations personnelles. Aussi, il peut tester ses hypothèses devant ses partenaires, devant le metteur en scène, devant les spectateurs (Biet et Triau, 2006) dans le but de tester leur efficacité et de les modifier ultérieurement.

D’autre part, le rôle du lecteur nous intéresse aussi puisqu’il est le plus couramment utilisé dans l’enseignement du texte dramatique en cours de littérature. Au contraire du metteur en scène et du spectateur, le lecteur a une liberté plus grande puisqu’il n’est pas contraint par un projet particulier (la représentation). Toutefois, son activité est complexe puisqu’elle « implique, de sa part, une connaissance de plusieurs codes : celui de la scène, […] celui qui régit le texte de théâtre, et celui qui s’applique à toute lecture d’une œuvre littéraire » (Biet et Triau, 2006, p. 539). Le lecteur doit imaginer la scène à partir du texte écrit, mais il doit également travailler physiquement et mentalement « sur la lecture du texte, en s’appuyant sur la phonématique du texte, sur le rythme, la prosodie, le ton, pour en dégager un sens ou une série de sens, en un mot pour participer à une interprétation figurale du propos et du mouvement global fixé par le texte, sur la page » (Biet et Triau, 2006, p. 553).

(18)

9

Il lui est donc nécessaire de développer diverses compétences spécifiques à la lecture de ce genre.

En résumé, le metteur en scène, le spectateur, l’acteur et le lecteur sont quatre interprètes différents qui contribuent au travail interprétatif sur les œuvres dramatiques par la maîtrise de codes et de compétences spécifiques. Leurs rôles sont complémentaires et ils permettent de proposer des interprétations diverses d’une même œuvre. Dans le domaine théâtral, Biet et Triau suggèrent de juxtaposer les différents rôles afin de former un lecteur dramatique plus près du praticien du domaine théâtral :

plus la lecture des textes de théâtre est fréquente et plus elle s’adosse à une pratique régulière de spectateur, plus les premiers réflexes du lecteur dit « naïf », attaché à la fiction, voire du lecteur « littéraire » attaché au texte, à son esthétique propre et à sa stylistique particulière, sont complétés par une sorte de nécessité de « voir », par l’imagination, le texte lu sur une scène théâtrale imaginaire, et peut-être même sur une scène imaginaire possible (2006, p. 541).

En classe, cette juxtaposition de plusieurs rôles donnerait l’occasion aux étudiants de développer leur connaissance des codes propres au théâtre. Cependant, l’approche traditionnelle du texte théâtral dans les cours de français au collégial ne leur permet pas d’acquérir les connaissances relatives aux codes du théâtre et aux codes du jeu théâtral nécessaires aux metteurs en scène, aux acteurs et aux spectateurs puisque les enseignants abordent habituellement un seul rôle interprétatif : celui du lecteur. Une transposition didactique des divers rôles interprétatifs s’avère nécessaire afin d’enseigner les spécificités du théâtre en classe de littérature.

1.2. Les approches actuelles du texte de théâtre dans les cours de littérature

Comme nous venons de le constater, les spécificités du genre théâtral peuvent poser problème dans l’enseignement et l’apprentissage du texte de théâtre. Nous croyons, tout comme Béatrice Ferrier (2013) et Jean-Claude Lallias (2013), que les principales difficultés rencontrées par les étudiants et les enseignants sont causées par le déséquilibre entre l’apprentissage du texte et de sa représentation. En effet, l’approche traditionnelle des textes littéraires favorise l’analyse textuelle et n’est ainsi pas propice à l’enseignement du théâtre en tant qu’art hybride.

(19)

10

Vers 1960, le théâtre est remis en cause par Antonin Artaud qui, avec le théâtre de la cruauté, amoindrit l’importance de l’auteur dans la création théâtrale au profit du metteur en scène :

C’est autour de la mise en scène, considérée non comme le simple degré de réfraction d’un texte sur la scène, mais comme point de départ de toute création théâtrale, que se constituera le langage type de théâtre. Et c’est dans l’utilisation et le maniement de ce langage que se fondra la vieille dualité entre l’auteur et le metteur en scène, remplacés par une sorte de Créateur unique, à qui incombera la responsabilité double du spectacle et de l’action (1964, p. 144).

Les théories d’Artaud ont contribué à la démolition et à la reconstruction du champ théâtral. Elles ont, en quelque sorte, participé à la rupture du théâtre et de la littérature.

Puis, à la fin du XXe siècle, le jeu dramatique ou l’art dramatique devient un domaine d’études à part entière et l’on assiste à la création des départements de théâtre dans les universités. Dès leur création, les études théâtrales « s’affirment d’entrée contre la littérature […] pour poser leur différence radicale, leur appartenance au monde de la scène, de la représentation, des arts du spectacle » (Pavis, 1989, p. 95).

Le domaine de l’enseignement de la littérature reste en grande partie à l’écart des avancées théoriques et pratiques du milieu théâtral (Lallias, 2013) en mettant « le jeu “hors jeu” dans la classe : trop envahissant, trop consommateur de temps, laissé aux quelques théâtreux aventureux dont c’était la marotte (regardés plutôt comme des semeurs de trouble peu légitimes, puisque faisant ce que les programmes scolaires ne leur demandaient pas) » (Lallias, 2013, p. 152). D’ailleurs, les avancées dans le domaine théâtral, principalement celles concernant le jeu dramatique, provoquent la remise en cause de l’appartenance du théâtre à la littérature. Pour Ferrier, c’est ce qui expliquerait « l’état de malaise actuel du texte de théâtre à l’école » (2012, p. 171). En France, ce n’est qu’au début des années 2000 qu’apparait une tentative de réconciliation entre les deux domaines en éducation avec la création d’un nouvel objet d’étude dans les programmes scolaires, soit « texte et représentation ».

Selon Ailloud-Nicolas (2013), au lycée, ce nouvel objet d’étude a permis de décloisonner le travail du texte et de l’emmener vers la scène. Selon le ministère de l’Éducation nationale, il permettrait de dégager toutes les spécificités du genre théâtral :

(20)

11

L’objectif est de faire découvrir des œuvres théâtrales qui renouvellent les formes classiques étudiées en seconde, mais aussi de sensibiliser les élèves à l’art de la mise en scène, notamment dans sa capacité à enrichir l’interprétation. La réalisation scénique déterminant profondément l’écriture des textes dramatiques et permettant d’en faire jouer pleinement les effets, on s’attache à faire percevoir aux élèves les interactions entre texte et représentation (ministère de l’Éducation nationale, 2010).

Cet objet d’étude a pour but de promouvoir le genre théâtral, et ce, en travaillant tant sur les textes que sur le jeu, mais aussi en encourageant la collaboration entre les enseignants et les artistes (Balazard et Gentet-Ravaso, 1996). En effet, en France, les partenariats sont fréquents et permettent de croiser les compétences de l’enseignant et de l’artiste afin d’offrir un enseignement plus riche et plus complet aux étudiants. Par exemple, les milieux scolaires font souvent des partenariats avec le Festival d’Avignon qui leur propose notamment des activités concernant la formation du spectateur ou des ateliers plus pratiques d’art dramatique. Malgré tout, pour Bernanoce (2006), les partenariats et les nouvelles pratiques théâtrales à l’école semblent être réservés aux initiés.

Au Québec, aucun objet d’étude semblable n’est actuellement inscrit dans les programmes et ne permet de tenir compte de la double dimension, littéraire et représentationnelle, du théâtre. Dans les années 1980, toutefois, la réussite d’un cours entièrement consacré au théâtre (601-202) était obligatoire pour l’obtention du diplôme d’études collégiales. Le cours, qui laissait une grande place à la créativité des étudiants, avait pour principal objectif de les initier au théâtre « comme art et phénomène de société » (Lizé, 1992, p. 63). Avec l’arrivée de l’approche par compétences dans les programmes scolaires et avec la disparition des cours par genre littéraire, le cours est devenu optionnel, entrainant une diminution significative du nombre d’inscriptions. Peu d’étudiants s’y inscrivaient puisqu’il ne répondait apparemment plus aux attentes de la société qui devenait de plus en plus individualiste6.

Aujourd’hui, l’étude du texte de théâtre en cours de littérature se limite souvent aux méthodes d’analyse traditionnelles qui ne permettent pas d’aborder les spécificités du texte de théâtre (Lizé, 1992). Les enseignants privilégient plutôt une attitude intellectuelle classique que Patrice Pavis (2000) qualifie de « textocentriste ». Cette approche privilégie

6

Le travail d’équipe, la tolérance et l’écoute qu’exigeait le travail théâtral faisaient peur aux étudiants selon Lizzé (1992).

(21)

12

une lecture particulière des textes de théâtre (créée à partir des interprétations savantes des chercheurs en littérature) et délaisse leur caractère vivant :

Le danger principal de cette attitude réside certes dans la tentation de figer le texte, de le sacraliser au point de bloquer tout le système de la représentation, et l’imagination des interprètes; il réside plus encore dans la tentation (inconsciente) de boucher les fissures du texte, de le lire comme un bloc compact qui ne peut être que reproduit à l’aide d’autres outils, interdisant toute production d’un objet artistique. Le plus grand danger est de privilégier non le texte, mais une lecture particulière du texte, historique, codée, et que le fétichisme textuel permettrait d’éterniser (Ubersfeld, 1996, p. 14).

Cette critique, faite par Ubersfeld, rejoint les critiques adressées au formalisme et au technicisme dans l’enseignement de la littérature par les défenseurs de la lecture littéraire comme Gérard Langlade (2004b) et Jean-Louis Dufays (2005). En effet, selon eux, l’apprentissage des textes littéraires devrait être axé sur le travail interprétatif. Au contraire, l’approche traditionnelle des textes privilégie la transmission d’une lecture canonique, unique et figée des œuvres. Ainsi, en classe, peu (ou pas) d’importance est accordée au travail interprétatif fait à partir de la scène. Comme nous l’avons mentionné précédemment, la compréhension du théâtre devient plus difficile si l’on omet l’hybridité de ce genre littéraire. Il est également intéressant de noter que les manuels scolaires, autant français que québécois, semblent privilégier une approche pédagogique centrée uniquement sur le texte, négligeant ainsi la dimension scénique du théâtre et la pluralité des voix et des interprétations (Ailloud-Nicolas, 2013). Toutefois, une étude d’Ailloud-Nicolas (2013) montre qu’une ouverture s’installe peu à peu dans les manuels et qu’un lien entre texte et représentation commence à être perceptible à travers ceux-ci en raison de l’objet d’étude « théâtre : texte et représentation ».

Néanmoins, malgré la prédominance de l’approche traditionnelle du texte de théâtre, quelques enseignants se risquent à insérer le jeu dramatique, souvent considéré comme un « objet de méfiance » (Ailloud-Nicolas, 2013, p. 42) dans leurs cours. Toutefois, ils envisagent la représentation comme étant l’étape ultime de l’enseignement. Dans cette approche, le texte domine encore, alors que la représentation est perçue comme le résultat d’une séquence d’enseignement ou comme un instant de « littérature en costume », comme le dit Ariane Mnouchkine. Au contraire, Chantal Dulibine et Bernard Grosjean (2004) montrent que le jeu devrait être présent tout au long du processus de compréhension. La compréhension du texte « commence au moment où le corps entre en action » (Caillot,

(22)

13

Citterio, Gaspard-Huit, Marion, 1994, p. 21). Les enseignants gagneraient à le considérer comme un processus possible de l’analyse littéraire plutôt que comme son résultat final.

1.3. Les causes de la prédominance du « textocentrisme » dans l’enseignement du texte de théâtre

Selon nous, l’approche traditionnelle des textes dramatiques en classe de littérature au collégial domine principalement pour deux raisons. D’abord, la formation scolaire des enseignants de littérature est fortement « textocentriste » et les formations professionnelles sur l’enseignement spécifique du théâtre sont rares, particulièrement au Québec. De plus, les enseignants ont accès à peu de ressources pédagogiques et littéraires qui pourraient les aider à varier leurs approches du genre.

1.3.1. La formation traditionnelle des enseignants de littérature du collégial

L’approche « textocentriste » domine dans l’enseignement du texte théâtral puisque les enseignants n’ont pas, pour la plupart, reçu la formation nécessaire pour aborder les genres littéraires d’une autre façon. Ces derniers peuvent être troublés par l’inadéquation entre les méthodes d’analyses traditionnelles des œuvres littéraires et celles qu’exigerait le théâtre (Ubersfeld, 1996). Ils peuvent se sentir en quelque sorte démunis et incompétents face au texte théâtral qui s’éloigne du champ de connaissances qu’ils ont acquises lors de leur formation universitaire : « L’audace [de l’enseignement du théâtre] réside déjà, pour l’enseignant, dans le fait de sortir de ce qu’il considère comme son champ de compétences naturel » (Mongenot et De Perreti, 2013, p. 6). En effet, les enseignants du collégial ont reçu, pour la plupart, une formation universitaire en littérature. Cette formation repose sur l’analyse des textes de façon traditionnelle et peu de cours sont réservés spécifiquement à l’étude du théâtre. À titre d’exemple, pour ceux qui voudraient parfaire leur formation, l’UQAM offre deux cours qui pourraient aider les enseignants du collégial soit Textes et pratiques de jeu (EST2313) et Fondements de l’enseignement du théâtre I (EST5027). Le premier vise à travailler l’interprétation des textes à partir d’un processus de jeu. Le second, plus magistral, vise surtout à donner les bases didactiques de l’enseignement du théâtre. Cependant, les cours s’adressent aux futurs enseignants d’art dramatique et ne semblent pas accueillir d’étudiants libres. De plus, peu de formations professionnelles portant spécifiquement sur l’enseignement du théâtre sont offertes aux enseignants de littérature au

(23)

14

cours de leur carrière. En France, les enseignants ont beaucoup plus de possibilités de formations. Par exemple, l’association nationale de recherche et d’action théâtrale (l’ANRAT) propose des formations et des colloques sur le théâtre dans le but de modifier les pratiques pédagogiques et de favoriser une approche sensible et créative en classe. En 2017, l’association a, entre autres, proposé aux enseignants et aux professionnels la formation « Encadrer un atelier de pratique théâtrale », axée principalement sur la transmission de l’art dramatique et sur ses fondements pédagogiques.

En résumé, au Québec, les formations universitaires et professionnelles des enseignants de littérature du collégial ne permettent pas à ces derniers d’être à l’aise avec l’enseignement du théâtre en tant qu’art hybride. Les enseignants peuvent d’ailleurs avoir des représentations erronées sur l’enseignement du genre théâtral, ce qui peut les décourager d’entreprendre des démarches de changement d’approche didactique. Selon une étude menée par Dulibine et Grosjean (2013), certains enseignants croient que la pratique du théâtre en classe doit consister en une reproduction des pratiques professionnelles du monde du théâtre (la mise en scène d’une pièce complète par exemple), alors que ce n’est pas le cas. Selon les chercheurs, cette conception erronée peut causer des angoisses chez les enseignants (la principale angoisse étant de perdre le contrôle de la classe), ce qui peut les convaincre de favoriser une approche traditionnelle qu’ils connaissent et maitrisent mieux que le jeu qui relève d’un domaine autre que le leur.

1.3.2. Un manque de recherches

La prédominance de l’approche « textocentrique » des textes dramatiques dans l’enseignement de la littérature au collégial serait également due au nombre restreint de documents pédagogiques (créés par des enseignants du collégial) et de recherches faites sur le sujet tant en didactique du théâtre qu’en didactique du français.

La recherche au collégial

D’après notre recension d’écrits, les documents, principalement des articles professionnels, rédigés au Québec sur l’enseignement des textes théâtraux en classe de littérature sont très rares et datent des années 1970 à 1990, période durant laquelle un cours de théâtre était obligatoire pour tous les étudiants convoitant un diplôme d’études collégiales (Lizé, 1992;

(24)

15

Lecavalier, 1993; Beaulieu, 1981; Veilleux, 1975). Ces articles exposent essentiellement les bienfaits de l’enseignement du théâtre sans proposer de façon concrète de l’enseigner. L’article de Claude Lizé (1992), issu d’une plus ample recherche réalisée par le Groupe de recherche sur le théâtre en Abitibi-Témiscamingue, retrace l’histoire des pratiques théâtrales du Cégep de Rouyn-Noranda depuis le début du XXe siècle. L’auteur ne s’intéresse toutefois pas spécifiquement à cette pratique dans les cours de littérature. Ces articles, essentiellement descriptifs, nous laissent croire que le cours de littérature destiné au théâtre des années 1970 délaissait le texte au profit de l’expression dramatique, de l’improvisation et de la création. Leurs propositions s’éloignent par conséquent de l’approche du théâtre comme art hybride que nous voulons favoriser.

Les recherches théoriques théâtrales

Les recherches en théâtre sur la lecture du texte dramatique en contexte scolaire, quant à elles, sont très peu développées. Ce sujet inspire quelques théoriciens. L’année 1977 représente un tournant pour le monde du théâtre. Anne Ubersfeld et Richard Monod publient deux ouvrages sur la lecture du texte théâtral, soit respectivement Lire le théâtre et Les textes de théâtre. Ils y proposent des pistes pour en faciliter la lecture, mais aussi pour la bonifier et pour saisir toutes les subtilités de cet art. Toutefois, ils favorisent une approche « textocentriste » de l’œuvre et excluent le jeu dramatique, la mise en voix et la mise en scène du processus de lecture. Quelques autres théoriciens du domaine, qui sont toutefois peu nombreux, se sont aussi intéressés à la lecture du texte de théâtre comme Ryngaert (1991), Biet et Triau (2006), Calas, Elouri, Hamzaoui et Sallaoui (2007) et Pruner (2014). D’ailleurs, la maison d’édition DUNOD a créé la collection Lire qui regroupe quelques ouvrages sur la lecture de différents genres théâtraux et littéraires. Ces recherches, bien que peu nombreuses, proposent des pistes intéressantes pour la lecture du texte dramatique, mais ne valorisent pas un équilibre entre texte et représentation dans le processus de lecture.

La recherche en didactique du théâtre

Par ailleurs, la didactique du théâtre est peu enseignée et également peu développée tout particulièrement au Québec. Selon Bernanoce, « le plus gros de ce qui a été exploré dans

(25)

16

les relations théâtre/enseignement se révèle avant tout lié aux bienfaits pédagogiques du théâtre et très souvent sans lien construit avec l’acquisition précise des savoirs institutionnellement reconnus et prescrits » (2003, p. 10). Des travaux ont en effet permis d’exposer les bienfaits de la pratique théâtrale en contexte scolaire comme l’épanouissement de l’individu, l’amélioration du vocabulaire, de l’écoute, de la tolérance, etc. (Monod, 1977; Balazard et Gentet-Ravasco, 1996; Ferrier, 2014, etc.) Toutefois, peu de travaux montrent que le théâtre peut améliorer l’apprentissage de savoirs disciplinaires. L’École supérieure de théâtre de l’Université du Québec à Montréal a annoncé, en 2014, la création du groupe de recherche GRET (le groupe de recherche sur l’enseignement du théâtre). Ce groupe a pour mission d’intégrer, de diffuser et de promouvoir l’enseignement du théâtre à l’école (GRET, 2014). Cependant, le groupe se concentre principalement sur l’enseignement de l’art dramatique au primaire et au secondaire, non pas sur son introduction dans d’autres disciplines comme le français et la littérature. De plus, comme le groupe est récent, peu de leurs articles, de leurs documents ou de leurs recherches se retrouvent dans les bases de données. Les ressources pédagogiques et didactiques fournies par la didactique du théâtre sont donc peu nombreuses. Hormis l’UQAM, aucune université québécoise ne semble s’intéresser à la recherche sur l’enseignement spécifique du théâtre en classe de français (langue première) et ne propose de matériel didactique susceptible d’améliorer l’enseignement du texte dramatique.

La recherche en didactique du français

Parallèlement, la didactique du français accueille peu de chercheurs qui s’interrogent sur la lecture du théâtre dans un contexte d’enseignement. Dulibine et Grosjean (2004, 2013) se sont inspirés des théories d’Ubersfeld et de Monod pour proposer des ouvrages professionnels sur l’utilisation du jeu en classe, alors qu’Ailloud-Nicolas (2008a, 2008b, 2011) s’est appuyée sur ses expériences en tant que dramaturge et enseignante pour proposer une méthode de lecture du texte en classe (la lecture dramaturgique). Toutefois, ces recherches ne tiennent pas compte des avancées théoriques en didactique de la littérature, notamment celles concernant la lecture littéraire et le sujet lecteur. Ferrier, Bernanoce et De Peretti, quant à elles, ont proposé des travaux importants sur l’enseignement du théâtre, principalement du théâtre jeunesse, en lien avec ces recherches

(26)

17

récentes en didactique. Les recherches de Ferrier s’articulent surtout autour de l’actualisation des œuvres patrimoniales en classe (notamment des textes sacrés) et autour du genre théâtral comme mode de transmission et de réception singulier. De son côté, Bernanoce s’intéresse surtout à la didactique du texte dramatique. Ses recherches s’articulent autour de la notion de voix didascalique qu’elle décrit comme étant un outil théorique de lecture du texte de théâtre qui concilie structuralisme et pragmatique et qui permet de soulever, lors d’étude du texte théâtral, les « lieux privilégiés de rencontre et de tension entre auteur et lecteur » (2006, p. 229), notamment grâce à une étude approfondie des didascalies. De Peretti, quant à elle, s’est penchée sur la question de l’inclusion du jeu dramatique dans l’enseignement de la littérature. En collaboration avec Ferrier, elle a mené une recherche de 2009 à 2014 sur le théâtre de jeunesse. Cette recherche a donné lieu, en 2014, à l’organisation de trois séminaires doctoraux autour des thèmes suivants : la façon d’aborder l’hybridité du théâtre en classe entière, les réécritures du conte et, plus généralement, les phénomènes d’hybridation à l’œuvre dans le théâtre d’enfance et de jeunesse. Un ouvrage théorique est d’ailleurs paru, en 2016, résumant les conférences en lien avec le troisième thème. Ces travaux se penchent essentiellement sur le théâtre contemporain de jeunesse. De Peretti s’est également intéressée à l’enseignement du théâtre classique dans plusieurs recherches, notamment dans celle intitulée Histoire littéraire, Nouvelles Critiques et scolarisation de Racine au lycée : deux études sur une discipline en quête d’identité (2001). Cette recherche tend à montrer que les étudiants en difficulté scolaire comprennent et interprètent mieux les textes anciens s’ils ont la possibilité de les jouer.

Au Québec, cependant, très peu de didacticiens travaillent sur l’enseignement du texte dramatique, notamment au collégial. Quelques étudiantes à la maîtrise en didactique ou en enseignement s’y sont néanmoins intéressées pour leur essai dont Marie-Claude Bolduc qui a travaillé sur l’enseignement de l’œuvre Incendies de Wajdi Mouawad, Émilie Fortin (2008) qui a fait une recension des écrits sur la didactique de l’oral pour son utilisation dans les classes de collégial et Florence Bujold Jarry (2012) qui s’est intéressée à la relation lecteur/jeu dans les cours de littérature au collégial. Hormis ces travaux universitaires, notre recension des écrits nous a révélé que les recherches sur l’enseignement du théâtre au collégial sont inexistantes ou, du moins, pas encore publiées.

(27)

18

1.4. La place du théâtre dans l’enseignement de la littérature au collégial

Malgré le manque de formation des enseignants et le manque de recherche sur le sujet, l’enseignement du texte de théâtre est très fréquent en classe de littérature au collégial québécois. En effet, selon une étude d’Olivier Dezutter, Julie Babin, Marcel Goulet et Lise Maisonneuve (2012), le théâtre est le deuxième genre littéraire le plus enseigné tout de suite après le roman: « deux étudiants du collégial sur trois ont à lire une pièce de théâtre en intégralité » (Dezutter et al., 2012, p. 116). Une majorité d’étudiants ont donc à lire et à analyser le texte de théâtre. Par conséquent, il importe de s’intéresser à son enseignement dans le domaine scientifique.

Molière en tête de liste pour l’enseignement du texte de théâtre

En France et au Québec, les œuvres de Molière sont fréquemment enseignées dans les écoles. Selon Nathalie Denizot, en France, « Molière est numéro un dans la liste des œuvres complètes étudiées au collège, toutes classes confondues » (2013, p. 135). Au Québec, entre 1968 et 1978, l’auteur était au huitième rang des auteurs les plus enseignés selon une étude effectuée par le DIDECQ (1993). En 2007, Josée Bonneville démontrait que Molière, Maupassant, Voltaire, Baudelaire et Camus étaient les cinq auteurs français les plus étudiés. Plus récemment encore, l’étude de Dezutter et al. citée précédemment (2012) a démontré que Molière est l’auteur le plus lu au collégial, devançant de beaucoup Voltaire, Tremblay, Maupassant et Hugo.

Cette même étude révélait aussi que Don Juan et Le Bourgeois gentilhomme faisaient partie des œuvres complètes les plus lues dans les cours de littérature. Selon Denizot, en France, « la permanence scolaire de la comédie classique est affirmée depuis longtemps » (2013, p. 135). En effet, dès le début du XVIIIe siècle, les jésuites et les oratoriens reconnaissent les valeurs littéraires et éducatives des comédies de Molière et les mettent fréquemment en scène : « De tous les auteurs classiques français, c’est certainement Molière qui revient le plus souvent devant les élèves et leurs parents. Monsieur de Pourceaugnac, L’Avare, Le Médecin malgré lui, Les fourberies de Scapin, Le Bourgeois gentilhomme et Le Malade imaginaire sont fréquemment mis à contribution, avec les altérations d’usage » (Chervel, 2006, p. 418). À partir de cette époque, les comédies de Molière ont été des objets littéraires fortement étudiés à différents niveaux scolaires au grand désarroi de

(28)

19

l’enseignement catholique (Chervel, 2006). Encore au XXe

siècle, elles avaient une place de choix dans les programmes scolaires : « [l’œuvre de Molière] est la seule grande œuvre classique qui, dans la dernière décennie du XXe siècle, résiste encore dans les collèges » (Chervel, 2006, p. 439). Comme nous l’avons vu, au Québec, elle résiste encore au XXIe siècle.

Cependant, selon certains chercheurs, bien que Molière soit omniprésent dans les classes, son œuvre demeure « bien mal enseignée » (Bernanoce, 2013, p. 30). Cette critique s’explique par le fait que son enseignement semble « fossilisé dans une approche anhistorique, frappé du sceau de l’évidence, parce que mythique » : « l’écriture théâtrale de Molière est très rarement étudiée pour elle-même et dans son contexte esthétique » (Bernanoce, 2013, p. 30). L’enseignement des comédies de Molière devrait au contraire reposer sur un questionnement de ce « sceau de l’évidence », sur une actualisation des œuvres et sur une ouverture des interprétations, le but étant de montrer aux étudiants que les pièces classiques peuvent encore leur parler aujourd’hui. Or, selon nous, ce changement ne peut se faire par une lecture silencieuse et individuelle. Les enseignants devraient tenir compte de la pluralité des voix dans leurs cours afin de mettre au jour la pluralité interprétative d’une œuvre. En classe, cette pluralité pourrait émerger par une lecture à voix haute ou par des exercices de jeu dramatique suivis de discussion interprétative.

De plus, les comédies de Molière, avant tout physiques et matérielles, sont « profondément spatialisées » (Biet et Triau, 2006, p. 556), ce qui veut dire que le jeu du comédien (ou dans ce cas-ci de l’étudiant) a une grande place dans la compréhension et l’interprétation de la pièce. Selon Véronique Lochert (2007), Molière considérait, tout comme nous, le théâtre comme un art hybride. Pour lui, le jeu et le texte étaient indissociables. Il mêlait ambition littéraire et pratiques scéniques comme il le mentionne très clairement dans l’adresse aux lecteurs de L’Amour médecin : « On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées, et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre » (Molière, 1665). Les didascalies présentes dans ses pièces étaient, avant tout, écrites afin « de transmettre au lecteur une part du jeu, essentielle à la signification de l’œuvre » (Lochert, 2007, p. 146). Les enseignants de littérature au collégial ne peuvent donc se contenter d’une approche « textocentriste » des comédies de

(29)

20

Molière, ignorante de l’importance du jeu dramatique dans le travail interprétatif. Ils devraient inclure la mise en voix et la mise en scène des textes afin d’améliorer la lecture qu’en font les étudiants.

1.5. Le jeu dramatique et la lecture subjective

Le jeu dramatique, tel que le conçoit Christiane Page, englobe le jeu, la spectature, la mise en scène et tout ce qui participe de près ou de loin à la création d’une représentation :

Pour le joueur, ainsi nommé pour le différencier de l’acteur, le jeu dramatique consiste à faire l’expérimentation du processus de création dans son ensemble en occupant, dans une même séance, les différents postes nécessaires pour réaliser son projet. C’est-à-dire qu’il expérimente ainsi le travail de l’artiste à plusieurs niveaux : celui de l’auteur – qui a quelque chose à dire, celui de l’acteur – qui a à l’exprimer, celui du metteur en scène – qui a à concevoir la manière de l’exprimer et celui du spectateur – témoin actif de l’expérience (Page, 2009, p. 112).

Les exercices de jeu dramatique sont donc très diversifiés et ne requièrent pas la participation d’acteurs professionnels ni la création d’une représentation finale devant un public. Ils peuvent aussi bien inclure la spectature d’une représentation quelconque (ex. le visionnement d’un film) que la mise en scène du texte. Bref, le jeu devrait permettre l’expérimentation des différents rôles interprétatifs (acteur, spectateur, metteur en scène, lecteur) du théâtre dans le but d’améliorer la lecture des textes. Toutefois, pour Page, le jeu dramatique ne s’appuie pas forcément sur un texte à mettre en jeu.

Les travaux récents en didactique du français pourraient nous aider à développer un enseignement du texte de théâtre tenant compte de cette particularité interprétative. En effet, les avancées théoriques des dernières années préconisent « des méthodes actives qui impliquent le lecteur et favorisent une appropriation personnelle des lieux et des objets de lecture » (Dufays, Gemenne, Ledur, 2005, p. 189). Ces méthodes actives pourraient, dans le cadre de l’enseignement du texte de théâtre, permettre aux étudiants « de s’approprier de manière sensorielle l’objet texte » (Simard, Dufays, Dolz, Garcia-Debanc, 2010, p. 243), notamment par des exercices de jeu dramatique. En effet, pour Biet et Triau,

l’intervention du lecteur ne consiste pas seulement à imaginer la mise en scène, ou les mises en scène à partir du texte proposé, mais à physiquement et mentalement travailler sur le rythme, la prosodie, le ton, pour en dégager un sens ou une série de sens, en un mot pour participer à une interprétation figurale du propos et du mouvement global fixé par le texte, sur la page (2006, p. 553).

(30)

21

L’expérimentation des différents rôles interprétatifs par le jeu serait donc un moyen de rendre compte de la pluralité des sens et des significations du texte dramatique en plus d’ouvrir les possibilités de sens que la lecture silencieuse n’aurait pas nécessairement permis « parce que, quand on parle ensemble autour du plateau, il y a une part de réflexion et une part d’ouverture aux intuitions de la répétition, qui intègre ce qu’on appelle aussi l’accidentel, le hasard du plateau » (Boudier et Diaz, 2008).

D’ailleurs, les recherches en didactique du français, en théorisant la dimension subjective et intersubjective de la lecture, valorisent la pluralité interprétative des textes littéraires. Pour Dulibine et Grosjean, le jeu

est un espace intermédiaire, un espace transitionnel entre la personne et le monde extérieur, qui permet à l’individu de faire des essais sans risque et de passer de l’état passif à une attitude active et créative. Jouer, c’est agir, et c’est pouvoir, dans le champ du théâtre, se laisser aller à son imagination, à ses impulsions et à ses émotions et simultanément trouver une forme pour les exprimer, les partager avec d’autres et surtout se procurer et procurer du plaisir (2004, p. 9).

Le jeu permet de combler les vides (ou les trous comme le disait Ubersfeld (1996)) que contient le texte théâtral et de réactiver la théâtralité7 contenue dans le texte. Il est « un jeu sur la signification, sur la construction de sens, sur le passage de l’image à ce qu’elle peut représenter et symboliser » (Lallias et Cabet, 1985, p. 64). La lecture du texte dramatique doit impliquer la subjectivité du lecteur puisqu’une représentation théâtrale est le résultat des choix faits par un sujet ou un collectif, souvent par un metteur en scène. L’enseignement des œuvres théâtrales ne peut donc pas reposer essentiellement sur les interprétations des critiques littéraires et sur l’histoire littéraire, comme le préconisaient les méthodes traditionnelles d’analyse des textes, mais doit, de façon dialogique, accorder une grande place à la construction d’interprétations personnelles des étudiants à partir « de [leur] mémoire intertextuelle, de [leurs] références culturelles, de [leur] histoire propre, de [leur] expérience du monde, de [leurs] désirs de [leurs] fantasmes » (Langlade et Fourtanier, 2007, p. 105). La lecture d’un texte dramatique exigerait donc un investissement subjectif important de la part de l’élève considéré comme un sujet lecteur, mais aussi comme un sujet acteur et un sujet spectateur.

7

Selon Barthes, la théâtralité, « c’est le théâtre moins le texte. C’est une épaisseur de signes et de sensations qui s’édifie sur la scène » (1963, p. 258).

(31)

22

Dans cette même optique, Page (1997) identifie quatre temps au jeu dramatique en classe, soit le temps de préparation, la mise en action, les échanges et le rejeu. Ces quatre temps favoriseraient, selon nous, la création d’hypothèses de lecture diverses. Le premier temps (le temps de préparation) implique que l’enseignant accorde un certain moment aux étudiants afin qu’ils puissent préparer une mise en place d’une scène, mais aussi afin qu’ils lisent attentivement le texte et qu’ils prennent connaissance des consignes des exercices. À cette étape, les étudiants travaillent déjà sur la compréhension et sur l’interprétation (notions définies au chapitre suivant) de l’œuvre, mais de façon très personnelle. Le résultat de leur lecture est présenté à l’ensemble de la classe lors de la seconde étape (la mise en action). Lorsqu’ils ne jouent pas, les étudiants ne doivent pas être passifs; ils doivent écouter attentivement leurs collègues afin de repérer ce qu’ils n’auraient peut-être pas vu dans le texte ou afin de pouvoir faire des propositions interprétatives lors de la troisième étape (l’échange). La période d’échange est tout particulièrement importante puisqu’elle permet aux étudiants de confirmer ou d’infirmer leurs hypothèses de lecture et de voir la multiplicité des significations qui peuvent surgir au sein d’un même groupe. Le jeu dramatique nécessite donc un « va-et-vient entre le jeu et la mise en question du jeu par des regardants actifs » (Ryngaert, 1977, p. 75). Les étudiants peuvent rejouer (le rejeu) leur scène afin de prendre conscience du progrès accompli tout au long de la séquence, mais aussi afin de trouver des solutions aux problèmes interprétatifs qui seront apparus lors de la discussion ou afin de tester leurs nouvelles hypothèses à travers le jeu. Le but du jeu dramatique n’est donc pas de faire une création collective officielle (une mise en scène complète), mais bien de « faire prendre conscience aux participants des mécanismes fondamentaux du théâtre » (Pavis, 1996, p. 186).

Une approche didactique inspirée de la lecture subjective (notamment des notions de lecture littéraire et de sujet lecteur) et du jeu dramatique favoriserait l’actualisation du texte de théâtre classique et permettrait aux étudiants d’améliorer leur lecture. Or, l’acte de lecture du texte dramatique ne se résume pas à un dialogue entre l’œuvre et le lecteur comme pour la lecture des autres genres littéraires. Il se traduit plutôt dans un dialogue entre l’œuvre, le lecteur et la représentation. Il semble donc nécessaire de proposer une application spécifique de la notion de lecture littéraire qui permettrait de faire une lecture du texte théâtral tenant compte de ce dialogue particulier. La notion de la lecture

Figure

Tableau n o 4 : Protocole de la collecte des données de la recherche développement
Tableau 5 : Le traitement des données de notre recherche
Tableau n o 6 : Outils et thèmes d’analyse selon les objectifs de la recherche
Tableau n o 7 : Définitions des sous-catégories du thème I
+7

Références

Documents relatifs

-Donnez la nature de cette phrase. -Justifiez votre réponse. - Donnez la nature de l’expression soulignée. -manche est employé au sens figuré. traces écrites.). - Production orale

Donc, le rôle du vocabulaire du théâtre a une grande importance lors du processus de la mise en scène d’un texte dramatique par les étudiants, parce que cela les aide

Beaucoup de petites choses imperceptibles parfois mais sensibles « clochent » chez moi.. Contreplaqué pour travail

que bIen oouvent, dano ce cas, le texte libre n'est plos qu'un prétexte pour one acqolo lUou de connaissances (one ut1ll.oaUon quelque peu bypocrlte d'un texte d'enfant en

Vous venez de créer votre première page HTML ...Facile non ? :-) La plupart du temps une balise supplémentaire vient de greffer entre les balises <head></head>, c'est

Pour insérer une colonne il suffit de sélectionner la colonne à gauche de laquelle sera insérer la nouvelle colonne, puis choisissez la commande insérée des colonnes dans tableau qui

meridionalis (BM) and hybrid (H) individuals were collected in France from the allopatric BB and BM populations (site 1 on the Loire River basin and site 14 on the Argens River

the wild type strain, rather than comparing an amiE mutant to the wild type strain since the AmiE protein level in the latter might be low as a consequence of the amiE