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CHAPITRE I. La puissance: perspectives historiques et théoriques

2. Les facteurs de la puissance

4.1. La puissance dure (Hard power)

4.1.2. La puissance militaire

La notion de puissance militaire est sans doute la composante la plus traditionnelle de la puissance d'une nation. Les forces armées qui ont la mission d'assurer la sécurité de l'État, la défense de ses intérêts et la protection de ses populations et territoires vis-à-vis d'une menace extérieure sont l’élément essentiel de cette puissance. Elles peuvent également mener des missions de maintien de la paix, dans un cadre international et participer à la mise en œuvre d'autres politiques publiques. La capacité de projection (l'ensemble des interventions conduites hors des frontières d'un Etat) est un élément clé de la puissance d’un Etat dans les relations internationales.

A partir des années 1950, l’une des plus grandes controverses stratégiques a vu le jour avec l’apparition des armes nucléaires. Néanmoins, l’âge nucléaire n’a pas fait disparaître l’utilisation des forces conventionnelles, puisque l’arme nucléaire est considérée comme une arme de dissuasion visant à empêcher toute attaque majeure, qui serait sanctionnée par l'utilisation de cette arme.

A partir des années 1990, la révolution dans les affaires militaires fondée sur les progrès technologiques en matière d’information et de communication est devenue un des sujets les plus discutés des relations internationales. Le concept de révolution dans les affaires militaires

      

192Nicolas MAZZUCCHI, “Alliance militaire et guerre économique: le cas de l’OTAN”, Perspective Stratégique,

p.29

193 Christian HARBULOT, La machine de guerre économique, Paris, Economica, 1992, p.53 194 Jean-Marc HUISSOUD et Frédéric MUNIER (dir.), La guerre économique, Paris, PUF, 2009, p.4 

est à l’origine un concept soviétique imprégné de marxisme orthodoxe, associant les mutations techno-scientifique et militaire au bouleversement socio-politique qui modifie les forces morales des soldats, et donc les rapports de forces face à la menace de mort.195 Quant à la représentation américaine de la Revolution in Military Affairs (RMA), elle insiste sur d’une part la croissance de la précision des approvisionnement et des frappes, d’autre part à des succès opérationnels par la tactique, grâce à la dominance informationnelle par l’observation par satellites, l’emploi d’avions furtifs et gestion économique de l’information et de la logistique, pour qualifier la mutation en cours.196 Après la dislocation de l’URSS, les théoriciens ont affirmé quatre caractéristiques pour expliquer la RMA: il faut désormais penser le monde sans des acteurs fixes ayant des intérêts linéaires; le rôle essentiel des stratégies est de préciser les conditions initiales des perturbations pour les maitriser à une stade précoce; on peut parler du retour de Sun Zi, c’est-à-dire, une définition mantique de l’art de la guerre qui permet l’intervention préemptive et la victoire sans combats; la guerre de la connaissance a remplacé la guerre de manoeuvre.197

La révolution dans les affaires militaires est donc principalement le produit de la généralisation des armes guidées à haute précision, des systèmes d’informatisation du champ de bataille (C4I– Command, Control, Communication, Computers, Intelligence) et même de la cyberwar pour contrôler les réseaux informatiques198. Parallèlement à ce changement, les plates-formes traditionnelles ont perdu de l’importance et les armes qui nécessitent de moins en moins la présence humaine ont commencé à être utilisé plus fréquemment. Par exemple, les technologies furtives ont profondément perturbé l’univers de l’aviation. De plus, à part l'aviation et les hélicoptères de nouvelle génération ( F-22, Eurofighter, Rafale, Commanche et Tigre), cette technologie s’applique également aux engins de reconnaissance (Predator et Global Hawks) ainsi qu’aux missiles de croisière et aux navires199.

En raison de l’utilisation, pour la première fois de manière large, des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la guerre du Golfe de 1990-1991 est reconnue comme un tournant dans la conduite de la guerre. L’intervention militaire de l’OTAN au

      

195Alain JOXE, “Revolution dans les affaires militaires”, dans Thierry de MONTBRIAL et Jean KLEIN,

Dictionnaire de Stratégie, Paris, Presses Universitaires de la France, 2000, p.448

196 Ibid., p.449  197 Ibid., p.450

198 Laurent HENNINGER, “La révolution militaire: quelques éléments historiographiques”, Mots. Les langages

du politique, No.73, 2003, p.90

199 Charles-Philippe DAVID, Repenser la sécurité: nouvelles menaces, nouvelles politiques, Québec, Editions

Kosovo en 1999 est présentée comme une deuxième étape dans ce processus grâce aux avancées significatives dans la recherche, le traitement, la transmission des informations et la précision des frappes200.

La révolution dans les affaires militaires a aussi transformé la nature de la guerre. Le risque d’affrontement direct entre les grandes puissances est certainement à son niveau le plus faible aujourd’hui. C’est l’une des raisons pour lesquelles la guerre asymétrique est prédominante en ce début de XXIe siècle. Les guerres asymétriques englobent notamment le terrorisme ou la guérilla. L’asymétrie découle d’une rupture dans la nature des combats menés par les protogonistes. Ensuite, elle entend transférer le conflit du champ de bataille vers Internet, les médias, les manifestations de rue, les Nations unies et autres théâtres de la lutte psychologique et politique201. Avant l’ère de la guerre asymétrique, le militaire était le principal garant de la sécurité. Désormais, face aux principaux défis (terrorisme international, insurrections prolongées, conflits internes dans des Etats affaiblis ou « faillis »), l’élément militaire est important mais plus dominant.

Par ailleurs, au XXIe siècle, la plupart des « guerres » sont internes plutôt qu’entre Etats, et de nombreux combattants ne portent pas d’uniforme. Le recours à la guerre et à la force armée est donc en déclin mais il n’a pas disparu. En fait, la force adopte de nouvelles formes. Les théoriciens militaires parlent aujourd’hui d’une « quatrième génération de guerre » qui parfois n’a ni de champs de bataille ni de front202.

La première génération de guerres modernes reposait sur la masse humaine disposée en lignes et en colonnes au lendemain de la Révolution française. La deuxième génération qui reposait sur une puissance de feu a abouti à la Seconde Guerre mondiale; sa devise était que l’artillerie conquiert et l’infanterie occupe. La troisième génération implique la capacité de manoeuvre comme les tactiques de Blitzkrieg de l’armée allemande qui lui permit de défaire les tanks français et britanniques dans la conquête de la France en 1940203.

      

200 Philippe BRAILLARD et Gianluca MASPOLI, “La révolution dans les affaires militaires paradigmes:

stratégiques, limites et illusions”, AFRI, Vol. 3, Janvier 2002, p.638-639 

201 Steven METZ, “La guerre asymétrique et l’avenir de l’Occident”, Politique Etrangère, Vol.68, No.1, 2003,

p.40

202 William LIND, Keith NIGHTENGALE, John F. SCHMIDT, Joseph W. SUTTON, Gary I. WILSON, “The

Changing Face of War: Into the Fourth Generation”, Marine Corps Gazette, October 1989, p.22-26

203 Joseph NYE, “Le pouvoir militaire est-il obsolète?”, Project Syndicate, 11 Janvier 2010, http://www.project-

syndicate.org/commentary/is-military-power-becoming-obsolete-/french#7E0DEOqvxuUhXUre.99 consulté le 20 Novembre 2012

La quatrième génération de guerre s’inspire des tactiques des guerres, des guérillas, des techniques insurrectionnelles léninistes ainsi que des vieilles méthodes terroristes associées aux conflits de troisième génération et perfectionnés depuis le XIXe siecle.204 Jusqu’à présent la victoire dépendait plutôt des armes, toutefois, de nos jours, la bataille ne se gagne pas nécessairement en tuant le plus de personnes. On voit l’apparition des bombes électroniques dont les impulsions électromagnétiques peuvent paralyser les systemès d’information et d’infrastucture d’une région ou d’une nation. On témoigne aujourd’hui de l’émergence d’une guerre informatique. En outre, l’apparition d’engins sans pilotes permet d’envisager une guerre où personne ne serait tué du côté ami et l’impossibilité industrielle de riposter causerait la défaite de l’ennemi.

Aujourd’hui, quand on parle de la puissance militaire, on pense le plus souvent les instruments qui sont utilisés pour combattre ou pour menacer de combattre, c’est-à-dire les soldats, les tanks, les avions, les navires ou autres. On se souvient de la fameuse phrase de Napoléon: « Dieu est du côté des gros bataillons » et de Mirabeau: « On peut tout faire avec des baïonnettes sauf s'asseoir dessus ». Mao Tsé Toung soutenait que le pouvoir est au bout du fusil205. Pourtant, la puissance militaire inclut aussi la création des alliances, les formations, les échanges, les exercices communs, les participations à des réunions multilatérales, les soutiens aux exportations d’armement, les animations de réseaux d’officiers de liaison, les relations avec les attachés de défense, etc. De plus, la comparaison des ressources et des capacités (la population, le budget de défense, l’infrastructure militaire, l’industrie de défense et l’inventaire militaire) entre les forces opposées n’est plus suffisante pour mesurer la puissance militaire. Les analystes prennent en considération les facteurs qui affectent la capacité de conversion comme la stratégie, la doctrine, la formation, l’organisation et la capacité d’innovation.

Par ailleurs, de nos jours, le droit international limite strictement l’usage de la force militaire. Aujourd’hui, on peut parler d’une éthique croissante de l’antimilitarisme notamment dans des pays démocratiques. Même si cette éthique n’empêche pas le recours à la force, elle fait un choix politiquement risqué pour les leaders. Par exemple, l’intervention unilatérale des Etats-

       204 Charles-Philippe DAVID, op. cit., p.112 

Unis en Irak durant le mandat de George W. Bush a causé une vraie perte de prestige pour les Etats-Unis et engendré l’antiaméricanisme dans le monde d’entier.

En résumé, on peut dire qu’aujourd’hui, il est de plus en plus difficile ou trop coûteux pour les Etats de recourir à la force militaire. Mais le fait que le pouvoir militaire ne soit pas toujours suffisant dans certaines situations ne veut pas dire qu’il a perdu sa capacité à structurer les attentes et à formuler des calculs politiques. De plus, la puissance militaire n’est pas utilisée seulement pour faire la guerre ou faire face aux menaces mais aussi pour mettre en oeuvre une diplomatie coercitive, participer aux opérations humanitaires et de maintien de la paix, et offrir de l’assistance (l'aide militaire en cas de catastrophe, le programme d’aide à l’instruction militaire, le programme d’échanges militaire). Elle restera donc un composant essentiel de la puissance dans les relations internationales.