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Les limites de la puissance douce européenne

CHAPITRE II. L’UE: Quelle type de puissance?

2. Une puissance normative

3.2. Les limites de la puissance douce européenne

Bien que l’UE possède les sources et les instruments de la puissance douce, certains facteurs limitent cette puissance. Tout d’abord, certaines actions et discours politiques qui ne s’associent pas aux valeurs défendues par l’UE ont un impact négatif sur la puissance douce de l’Union. Même si l’UE défend le système politique démocratique, elle est souvent critiquée à cause du déficit démocratique dont elle souffre. Le déficit démocratique est utilisé pour faire valoir que l'Union et ses instances souffrent d'un manque de légitimité démocratique et qu'elles semblent inaccessibles au citoyen du fait de la complexité de leur fonctionnement.343 Un autre facteur, ce sont les discours racistes de certaines minorités européennes. Par exemple, le Parlement européen avait levé l'immunité parlementaire de l'élu du Front national, Bruno Gollnisch, qui fait l'objet d'une procédure judiciaire pour incitation à la haine raciale en

       342 Joseph NYE, Soft Power, op. cit., p.80

343 “Déficit démocratique”, Europa, http://europa.eu/legislation_summaries/glossary/democratic_deficit_fr.htm

France. Suite à la signature d’un accord qui vise la participation des fonctionnaires turcs, avec leurs homologues de l’UE, à l’établissement des règlements et l’implantation de la politique Européenne en septembre 2011, Geert Wilders, Président du Parti de droite pour la démocratie et la liberté (troisième plus important parti néerlandais), a affirmé que “de cet accord, il apparaît que la Commission Européenne a perdu la tête en laissant entrer le cheval de Troie islamique à l’élaboration des lois européennes”344. Ces types de discours nuisent aux efforts européens qui valorisent la pluralisme, la non-discrimination et la tolérance.

D’autre part, la politique européenne de voisinage et le dialogue méditerrannéen sont généralement évoquées comme un instrument de la puissance douce et de la diplomatie publique européenne, mais elles n’ont pas donné les résultats attendus jusqu’ici. La déclaration de Barcelone (1995) qui vise à établir un partenariat global entre l’UE et douze pays du Sud de la Méditerranée, évoque la culture, le dialogue et les échanges humains comme éléments essentiels du rapprochement et de la compréhension pour une meilleure perception mutuelle entre les peuples à l’aide du Programme Euromed Heritage et d’Euromed Audiovisual. Afin de favoriser les recherches et les travaux scientifiques entre les pays partenaires, l’UE a mis en oeuvre Euromesco (le réseau d'instituts de politique étrangère dans la région) et le Forum Euromed des Instituts Economiques. Les projets qui ciblent les jeunes (Euromed Youth Action) et les entrepreneurs (Euromed Economic Network of Chambers of Commerce) ont été réalisés.

Même si toutes ces activités ont le potentiel de servir à la diplomatie publique européenne, elles sont influencées négativement par l’échec du processus de Barcelona. Le partenariat euro-méditerranéen qui est le seul forum (à l’exception des Nations Unies) au sein duquel les parties en conflit au Proche-Orient se réunissent régulièrement autour d’une table et discutent des questions de sécurité est un résultat important.345 Pourtant le manque de confiance et de sentiment d’appartenance de la part des membres méridionaux ont masqué le succès de ce partenariat. Depuis la création du PEM, on n’a pas enregistré de progrès concrets dans la coopération. Une des causes de l’échec du processus sont les divers conflits qui dominent les relations entre les partenaires, surtout à cause du conflit moyen-oriental, toujours non résolu.

      

344 “Turquie dans l’UE; un Accord signé discrètement”, Les moutons enragés, 6 Octobre 2011,

http://lesmoutonsenrages.fr/2011/10/06/turquie-dans-l%E2%80%99ue-un-accord-signe-discretement/ consulte le 22 Septembre 2012

345 Stefan BROCZA, “L’échec de la politique méditerranéenne de l’UE”, Horizon et Débat, No.51, Décembre

En outre, il est reproché à l’Union d’établir une relation asymétrique avec ses partenaires. Tomassetti Martine constate que “c’est l’Europe qui dicte ses normes et les diffusent en imposant par exemple une “européanisation de la Méditerranée”, mais à aucun moment il n’est question de “re-méditerranéiser l’Europe” pour que cette dernière n’apparaisse plus comme une puissance d’imposition”346.

Bjorne Hettne et Frederick Soderbaum attire l’attention sur l’importance de prendre en considération les objectifs de la puissance outre les moyens de la puissance. Selon eux, l’UE peut apparaitre comme un soft power et se refuse à utiliser des moyens coercitifs, tout en recherchant des objectifs impérialistes (soft imperialism).347 Il faut donc privilégier le principe dialogique et veiller la symétrie durant les négociations au lieu d’essayer d’imposer ses règles.

La politique européenne de voisinage (PEV) a été développée en 2004348, dans le but d'éviter l'émergence de nouvelles lignes de division entre l'UE élargie et ses voisins et de renforcer la prospérité, la stabilité et la sécurité régionale. L'élément central de cette politique repose sur les plans d’action PEV bilatéraux approuvés mutuellement par l'UE et chaque partenaire. Ceux-ci définissent un programme de réformes économiques et politiques avec des priorités à court et moyen terme. D’autre part, le Conseil européen a précisé que le développement des relations avec les pays concernés dépendrait de leur volonté de respecter les valeurs communes dans le domaine de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme.

Les mécanismes de la différenciation et de la conditionnalité, même s’ils peuvent être considérés comme un élément d’efficacité, d’émulation et de compétition, ils ne sont toutefois pas sans risque sur la cohérence et la crédibilité d’ensemble de la PEV ainsi que sur les synergies régionales. En outre, l’UE n’envoie pas de signal net sur les finalités de la PEV et ce manque d’orientations clairement dessinées amoindrit la portée du message délivré et en brouille la réception.349 La plupart des pays tiers font montrer des sentiments de perplexité et de doute qui se conjuguent à des réserves de fond. Par exemple, les cas de l’Ukraine et de la

      

346 Tomassetti MARTINE, “De l’invention de la Méditerranée à la construction de l’euro-méditerranée”, dans

Bernard PARANQUE, op.cit., p.64

347 Hettne BJÖRN and Fredrik SÖDERBAUM, “Civilian Power or Soft Imperialism: The EU as a Global Actor

and the Role of Interregionalism”, European Foreign Affairs Review, vol 10, no. 4, 2005, p. 535-552.

348 La politique européenne de voisinage s’applique aux pays du Caucase méridional: Armenie, Azerbaidjan,

Biélorussie, Moldavie, Georgie, Ukraine et aux partenaires Euro-méditerranéen: Algérie, Egypte, Israel, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Territoire palestinien occupé, Syrie et Tunisie.

349 Yves VEYRIER, “L’Union européenne et ses relations de voisinage”, Avis et Rapport du Conseil

Moldavie montrent les difficultés paradoxales entre « l’attraction de l’aimant européen » et une situation de marginalité perçue.350 L’UE peut être un facteur de changement interne comme l’a souligné la révolution Orange de 2004 en Ukraine marquant le « choix européen » d’une partie de l’élite ukrainienne. Néanmoins, le cas Moldave illustre que la situation d’« entre-deux » est aussi particulièrement délicate et défavorable351.

Concernant la politique d’élargissement, on a dit qu’elle donne des résultats plutôt satisfaisants. Néanmoins, le cas turc est exemplaire d’un paradoxe. Bien que l’UE est loin d’offrir une perspective claire d’intégration à la Turquie, elle n’hésite pas de lui imposer ses normes. La prédominance du discours du « partenariat privilégié » parmi certaines élites européennes renforce indirectement le camp nationaliste et l’euroscepticisme en Turquie352.

Pour ne pas perdre sa crédibilité et son prestige, les actions de l’Union doivent être en conformité avec les valeurs et les principes qu’elle défend. Par exemple, depuis quelques temps, l’UE est en train d'étudier la levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine, décidée en 1989 après la répression sanglante de la place Tienanmen. En début d'année 2011, l'Espagne, qui a obtenu de Pékin une assistance de six milliards d'euros, a officiellement demandé la levée de cet embargo mais la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la Suède y sont toujours opposés353. Si l’UE se met d’accord pour lever l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine où le bilan des droits de l'homme reste toujours mauvais afin de ne pas perdre les avantages commerciaux et économiques, ceci influencerait négativement la crédibilité de l’Union.

Un document officieux intitulé “Enhancing the EU’s Public Diplomacy: Better visibility and

efficiency in EU’s foreign actions” présenté par la Grèce au Comité Politique et de Sécurité en

2010 constate que “la perception de l’UE par les populations locales et l’appréciation de ses rôles [..] n’est pas proportionnelle à la ressource politique et financière fournie par l’Union”354. A part cette constatation, le récent sondage de Pew Research Center démontre

      

350 Mathieu PETITHOMME, “Quelle Politique de Voisinage pour l’Union européenne”, Politique européenne,

No.28, Février 2009, p.171

351 Ibid.

352Cautrès BRUNO et Monceau NICOLAS, « Une résistance à l’Europe inattendue. L’euroscepticisme en

Turquie », Revue internationale de politique comparée, Vol 15, No. 4, p. 573-87

353 “Chine-UE: Un sommet sous tension”, Deutch Welle, 20 Septembre 2012,

http://www.dw.de/dw/article/0,,16252017,00.html consulte le 23 Septembre 2012 

354 “Shoring up the EU’s Public Diplomacy in CSDP”, European Security Review, ISIS Europe, No.52,

que la tendance de l’opinion publique à l’égard de la perception de l’UE est à la baisse à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union355. Similairement, selon le dernier sondage de BBC

World Service Poll, les opinions positives pour l’UE ont fortement diminué (de % 56 à % 48 )

au cours de l’année 2012356. Il est donc nécessaire pour l’Union de réviser sa stratégie de la diplomatie publique. On ne doit pas oublier que le plus important n’est pas ce que l’on dit mais ce que le public ciblé entend. Il conviendrait d’utiliser des messages différents pour chaque public et éviter une approche “taille unique”. A l’aide des enquêtes et des recherches thématiques, il faut suivre la perception de l’Union dans des pays concernés car on ne peut pas observer les résultats des actions de diplomatie publique à court terme.

En résumé, on peut dire que même si l’UE possède les sources nécessaires pour être une vraie puissance douce, les échecs politiques limitent sa capacité à convertir ces sources en résultats comportementaux. Afin de renforcer sa puissance douce, l’UE doit éviter de mettre en avant une hiérarchie culturelle trop rigide, sophistiquée et faite de distinctions, assurer le dialogue culturel parmi ses membres et tenir en compte la culture populaire pour cibler les jeunes. Il faut que les actions, les politiques et les discours de l’Union s’associent aux valeurs et principes défendus par l’UE afin d’assurer l’exemplarité et l’attractivité de l’Union.