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CHAPITRE I. La puissance: perspectives historiques et théoriques

2. Les facteurs de la puissance

4.1. La puissance dure (Hard power)

4.1.1. La puissance économique

La puissance économique peut être définie comme la capacité de contrôler ou d’influencer les comportements des autres par l’utilisation politiquement motivée des instruments économiques.183 Une autre définition repose sur la résistance aux contrôles ou influences externes qui se basent sur la vulnérabilité économique de l’acteur concerné.184 La puissance économique est mesurée par certains indicateurs: le PIB, les ressources humaines, le taux d’inflation et de chômage, le taux de change, les réserves de change, la place dans le commerce international, la dimension du marché, les investissements directs étrangers, le niveau de technologie, le rang et le poids relatif dans certaines productions d’importance stratégique, etc. Par exemple, la Chine dont le PIB s'est chiffré en 2011 à 11 300 milliards de dollars, la population est d'environ 1,34 milliards d’habitants, le taux de croissance a atteint 9.2 % en 2011, l’exportation s’est élevée à 1 904 milliards de dollars; les réserves en dollars ont dépassé 3 000 milliards de dollars et la Chine est donc devenue la deuxième puissance économique mondiale après les Etats-Unis (sans l’UE dans son ensemble)185.

      

182 Joseph S. NYE, The Future of Power, op. cit., p.51  183 Ibid., p.51-52

184 Ibid

185 The World Factbook, CIA, https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/ch.html

De nos jours, la puissance économique ne peut pas être traitée sans référence à l’interdépendance économique. L’interdépendance économique entre les nations s’est fortement accrue depuis la seconde moitié du XXème siècle avec l’accélération du processus de mondialisation de l’économie et la disparition progressive des barrières internationales. Par conséquent, aujourd’hui, devenir une puissance économique nécessite de former une interdépendance afin d’obtenir des gains communs et de créer des assymétries qui assurera une place plus avantageuse sur la scène mondiale. L’interdépendance comprend la sensibilité (coûts des effets de la dépendence mutuelle) à court terme de la vulnérabilité (coûts relatifs d’un changement structurel dans le système de l’interdépendance) à long terme. Par exemple, la faillite de la banque Lehman Brothers (New York) a eu des conséquences sur les autres marchés du fait de leurs sensibilités. Dans le système d’interdépendance économique internationale, la sensibilité est presque inévitable, donc les pays les moins vulnérables aux changements structurels de ce système bénéficieraient d’une certaine puissance sur le plan économique186. Par exemple, les Etats-Unis étaient sensibles mais pas vulnérables face à la crise économique asiatique de 1998.

Un des meilleurs exemples qui illustre l’interdépendance économique est la situation entre les Etats-Unis et la Chine. Il est vrai que la Chine peut menacer les Etats-Unis de vendre ses réserves de dollars. Mais cela réduirait la valeur de ses réserves du fait de la baisse du dollar et diminuerait la demande américaine des produits chinois. Il en résulterait pertes d’emploi et instabilité sociale en Chine. Autrement dit, la Chine souffrirait aussi des conséquences de sa propre attitude.

L’un des instruments les plus visibles de la puissance économique et donc de la puissance dure est la sanction économique. Une sanction économique est l'intervention directe d'un ou de plusieurs Etats qui vise à faire subir à un pays des dommages économiques pour le forcer à modifier sa politique.187 Les moyens utilisés sont économiques, mais l'enjeu et l'objectif de cette intervention sont politiques. L’image de la “carotte” et du “bâton” souvent utilisé pour expliquer la pratique de l’arme économique dans les relations internationales. “La carotte” signifie les mesures strictement positives et incitatives, et “le bâton” s’agit de l’adoption de

      

186 Joseph S. NYE, The Future of Power, op. cit., p.55

187 “Sanctions économiques”, Institut de Recherche sur la Résolution Non-Violente des Conflits,

sanctions économiques. Ces mesures sont en général prises pour orienter la politique ou tout simplement le comportement d’un pays dans un sens donné.

Il existe deux types de sanctions économiques: les sanctions positives (avantageuses pour ceux qui en bénéficient) et les sanctions négatives (pénibles pour ceux qui en sont victimes). Les sanctions positives se retrouvent sous formes d’octroi de la “clause de la nation la plus favorisée”, d’aide économiques, de garanties d’investissement, etc. Les sanctions négatives impliquent quant à elles le boycott, l’embargo, la discrimination tarifaire, l’instauration de quotas, le gel des avoirs, la suspension de l’aide, le désinvestissement, etc. Par principe, David Baldwin distingue dans des sanctions négatives deux types de mesures susceptibles d’être prise: les mesures commerciales et les mesures financières188. Les sanctions commerciales regroupent l’embargo, l’interdiction d’exporter vers le pays ciblé et le boycott des produits du pays considéré. Quant aux sanctions financières, elles incluent des mesures de gels des avoirs comprenant la saisie des avoirs ou l’interdiction de tout retrait de dépôt bancaires ou d’avoirs financiers du pays.

Par exemple, lors de la crise du Golfe entre 1990-1991, le Conseil de sécurité a décidé d’exercer des sanctions économiques à l’encontre de l’Irak sous la forme d’un embargo et d’un boycott total couvrant les domaines financier, pétrolier, alimentaire, industriel et militaire. On a décidé de geler les avoirs koweïtiens et irakiens détenus à l’étranger et les participations financières des deux pays dans les entreprises occidentales pour l’objectif d’empêcher l’accaparement des 100 milliards de dollars de participations koweïtiennes par l’Irak189. Ainsi, l’objectif de l’ONU était d’obtenir un changement de la politique d’Irak.

Néanmoins, il faut souligner que les objectifs des sanctions économiques peuvent être divers: - Déstabiliser le gouvernement du pays cible: les Etats-Unis contre le Nicaragua (1981-1990) pour déstabiliser le régime sandiniste;

- Changer la nature du régime du pays cible: l’ONU contre l’Afrique du sud (1962 jusqu’à la fin du régime de l’Apartheid) pour mettre fin au régime ségrégationniste;

- Affaiblir le potentiel militaire du pays cible: les Etats-Unis contre le Brésil (1978-1981) pour arrêter les ambitions nucléaires du Brésil;

      

188 David A. BALDWIN, Economic Statecraft, Princeton University Press, 1985, p. 41

- Combattre le trafic de drogue ou le terrorisme: les Etats-Unis contre la Bolivie (1979-1982) et Haïti (1987-1990);

- Faire respecter les droits de l’homme: les Etats-Unis et l’UE contre la Chine en 1989 suite aux événements de Tienanmen;

- Imposer à un gouvernement la tenue d’élections libres et/ou un retour au fonctionnement démocratique: les Etats-Unis et l’ONU contre Haïti (1993-1994) pour rétablir J. B. Aristide dans ses fonctions;

- Arrêter une guerre civile: les Etats-Unis et le Royaume-Uni contre la Somalie (1988), etc.

Même si les sanctions économiques sont couramment utilisées depuis longtemps pour des différents objectifs, leur efficacité est un sujet de discussion. Il leur est souvent reproché de ne pas pouvoir atteindre les effets escomptés et de ne pas changer les comportements politiques des leaders des pays concernés. Pourtant, elles nuisent aux conditions de vie de la population de la cible. Ces populations manquent souvent de produits alimentaires, de médicaments, de soins de base et autres. Cette situation met en question la moralité des sanctions économiques comme les instruments politiques190.

De plus, ces sanctions ont non seulement des effets sur les pays cibles mais aussi sur les pays qui ont des relations commerciales et financières privilégiées avec eux. Lors du boycott pétrolier contre l’Irak au début des années 90, les pays qui achetaient du pétrole et faisaient du commerce avec l’Irak - comme la Jordanie et la Turquie - ont été influencé très négativement. A cause de ce boycott qui a duré douze ans, les pertes de la Turquie ont été estimées à peu près à 100 milliards de dollars.191

Depuis la fin de la guerre froide, les rapports de forces entre les puissances s’articulent pour la plupart du temps autour d’enjeux économiques et les pays ne s’abstiennent pas d’utiliser leurs puissances économiques comme une arme. A part les sanctions, le blocus et l’embargo, on peut donner l’exemple de l’agressivité commerciale de la Chine et l’arme économique du gaz de la Russie. Nicolas Mazzucchi, géoéconomiste/directeur de Polemos Consulting, souligne que “rarement depuis la fin de la Seconde Guere mondiale, le concept de guerre économique

      

190 Chantal de Jonge OUDRAAT, “Economic Sanctions and International Peace ans Security”, dans Chester A.

CROCKER, Fen Osler HAMPSON and Pamela AALL (ed.), Leashing the Dogs of War, Washington, US Institute of Peace Press, 2007, p.335

191 Ilhan SAGSEN, “Turkey-Iraq Relations and Water on Sectoral Basis”, Ortadogu Analiz, Vol.3, No.36,

n’aura connu un tel engouement”.192 La guerre économique est “l’expression majeure des rapports de force non militaires. Rapports de nature directe dans le temps de guerre et indirecte dans le temps de paix. La survie d’un pays ou d’un peuple tout comme la recherche, la préservation et l’accroissement de puissance en sont les principaux éléments déclencheurs”.193 Elle s’inscrit dans un contexte de conflit entre nations sous la forme d’actions de violence économiques: l’embargo, le boycott, des mesures de contingentement en sont des exemples parmi d’autres. Les armes économiques sont mises au service d’un projet politique, le plus souvent l’affaiblissement d’une cible.194 Bien qu’aujourd’hui la guerre économique soit fréquente, sa légitimité est une source de discussion car c’est le peuple qui souffre le plus des guerres économiques.