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2 4 Psychothérapie transculturelle : point final

clinique transculturelle

I. 2 4 Psychothérapie transculturelle : point final

Il est des situations vécues qui en raison de leur intensité et de leur impact vont provoquer de véritables ruptures au niveau des enveloppes psychiques des individus et mettre à mal les processus de différenciation et de délimitation.

L’acte de migrer en est un exemple particulièrement éclairant de ces expériences de rupture. Quitter son pays, c’est être amené à vivre en situation transculturelle. C’est faire une expérience de perte et de rupture. Cette rupture rompt l’homologie existante entre les cadres interne et externe. Les allers-retours comparatifs nécessaires au processus de clôture ne sont alors plus possibles du fait du changement d’un des termes de la comparaison. Les échanges deviennent vides de sens et par récurrence se constitue une effraction de l’enveloppe psychique. (Nathan ; Moro, 1989).

Cette effraction se donne à voir à travers la mise à jour d’un certain nombre de mécanismes tels que l’inversion des structures, la confusion des catégories et la redondance des ruptures. Alors quand il est question de soin psychique, tout le travail thérapeutique consiste à colmater les brèches ainsi ouvertes au sein des enveloppes psychique et culturelle. Ce travail de colmatage participe à la restauration de la clôture.

Restaurer le processus de clôture pour que l’individu se restructure psychiquement nécessite la mise en place d’un dispositif qui permettra précisément de travailler cette clôture. Nous l’avons déjà nommé, il est celui de la consultation de thérapie transculturelle. Dispositif thérapeutique de groupe, elle est un lieu de thérapie par la parole.

Espace sans sable et sans étoiles, les mwalimu et les fundi sont ici d’un autre monde mais en même temps capables au grand étonnement parfois de ceux qui consultent de dire les choses sans regarder le sable et le ciel et s’ils ont appris leur science dans les livres, ils savent aussi que ceux là peuvent ne pas être interrogés.

Les portes du monde s’ouvrent alors et désormais il devient possible d’accéder à celui qui ne se montre pas : celui de l’envers et de l’invisible. Univers peuplé d’êtres, il est le dehors qui organise le dedans et lui donne sens. Les êtres de ce monde savent les choses et ont des choses à dire mais il leur faut une scène.

Ici, en ce lieu transculturel ils sont accueillis et autorisés à entrer en scène. Mais pourtant dans cet espace de parole, personne ne parle avec eux. Tous en revanche parlent d’eux laissant

libre cours aux croyances du monde. Les croyances sont infinies. Elles sont des objets de pensée sur le monde. Elles sont théories du monde.

Ici, elles sont celles qui croient en un monde peuplé d’humains et de non-humains doués chacun d’intentionnalité. Ici encore, elles croient la nature animée de forces invisibles agissant et influençant le monde. Ici enfin, elles croient le commerce possible avec ceux qu’on ne voit pas mais qui prennent en main la destinée des humains.

Quand ces croyances apparaissent dans l’univers thérapeutique, elles concrétisent l’apparition des enveloppes d’un individu donné. La croyance permet de mettre en sens les événements de la vie et les faits psychiques qui en découlent.

Comme toute enveloppe, ces croyances exercent également une fonction de délimitation « car c’est de là qu’un sujet discriminera les « nôtres » des « autres » (Nathan, 1993, p.98). Les croyances sont à la jonction des mondes visible et invisible. Elles les mettent en ordre, les séparent et commandent des actions : un rite, un sacrifice, une offrande une protection et bien d’autres encore qui prennent sens dans l’espace du rituel. Une croyance impose des actes, des choses à faire pour maintenir ou restaurer un état d’équilibre entre les univers. En ce sens, leur énonciation agit à la manière d’un levier thérapeutique et permet qu’un « faire » se déroule en d’autres endroits du soin.

Convoquer les croyances de ceux que nous rencontrons, c’est réunir les conditions d’un

traitement étiologique 83(Zempléni, 1985) mais c’est paradoxalement actualiser le soin

étiologique au sein d’une situation classique de psychothérapie. En effet, en autorisant la famille à penser selon les modalités spécifiques de son groupe d’appartenance, il devient alors possible que le récit prenne les détours du fantasme, du rêve, du souvenir et que la relation s’étaye sur le transfert (Nathan ; Moro, 1989).

Convoquer les croyances, c’est au sein de l’espace de la consultation de thérapie

transculturelle, reconvoquer le monde du dehors perdu et réintroduire ainsi les familles dans leur espace logique. Mais paradoxalement encore, le « là-bas » est introduit par une parole étrangère.

Etrange univers de pensée où le monde de là-bas est parlé par ceux d’ici étrangers à lui. Qui sont-ils ? Thérapeutes certes mais d’où viennent-ils ? La question est souvent posée. La réponse jamais vraiment donnée. Tout au plus, il est conseillé de ne pas chercher !

Dans cet espace de rencontre, la communication entre les uns et les autres prend des allures de paradoxe. En ce sens, la consultation de thérapie transculturelle est éminemment paradoxale.

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C’est à ce niveau que Moro (1994) situe le faire qui découle des logiques thérapeutiques ; les deux autres niveaux étant le niveau ontologique (de l’être) et celui des théories étiologiques (renvoyant au sens).

Mais le paradoxe a dans ce cadre particulier une fonction, celle de faire une expérience non dangereuse de l’altérité et de médiatiser la rencontre entre les univers.

Parler de ce qui n’est pas soi mais fait l’autre aide à apaiser les angoisses les plus profondes et rend la rencontre moins inquiétante.

Lieu de palabres, lieu commun à tous, il s’agit de traiter des souffrances de l’âme. Thème de conversation hautement universel, chacun – famille et thérapeutes – a quelque chose à dire. Le dire des uns résonne avec le vécu des autres. Les référentiels culturels sont pluriels et la pensée s’active dans des allers-retours permanents entre soi et les autres. Des similitudes de pensée apparaissent. « Chez nous aussi, on dit la même chose » entend-on parfois. Des similitudes mais aussi des façons d’être différentes.

Parce que les allers-retours entre des univers différents sont rendus possibles, les processus de clôture sont à nouveau activés, délimitant le nous des autres et introduisant à nouveau les êtres dans un circuit d’échange généralisé.

Au contact de cette altérité, la pensée des uns et des autres s’enrichit à chaque nouvelle rencontre modifiant à jamais celui ou celle qui y participe.

Il ne s’agit pas de croire ce que l’autre croit mais au contraire d’entendre au fond de soi la pluralité du monde et de la faire résonner dans le quotidien d’une pratique au-delà d’une culture unique. Nécessairement, une pratique transculturelle est une pratique de l’au-delà. Il devient alors évident que les êtres qui le peuplent peuvent alors y être reconnus.

Sans peur, sans tabou, le monde est appelé à venir et sa différence reconnue est acceptée

comme fondatrice naturelle de son humanité84.

Ce lieu exceptionnel de rencontre qu’est la consultation de psychothérapie transculturelle, admet un seul et unique préjugé : celui de la différence comme symbole de la diversité et de la créativité du monde, et impose une seule attitude, celle de la reconnaître, de la nommer pour la partager.

Porte ouverte sur l’altérité, ce lieu métaphorise la possibilité d’être un autre et mène par ses incessantes questions sur les chemins de la connaissance. Infinie connaissance jamais totalement maîtrisée seulement un peu plus approchée à chaque fois, mais qui davantage chaque jour rend la relation avec ceux que nous rencontrons un peu plus congruente mais

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« Et pourtant, il semble que la diversité des cultures soit rarement apparue aux hommes pour ce qu’elle est : un phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés ; ils y ont plutôt vu une sorte de monstruosité ou de scandale » (Lévi-Strauss, 1952, p.19).

toujours à « bonne distance »85. Alors les histoires qui mettent la vie des uns et des autres en désordre peuvent être entendues pour ce qu’elles sont c’est-à-dire dans leur vérité intrinsèque. Ces histoires racontées et écoutées sont des histoires de souffrance et justifient notre pratique de psychologue. Mais à chaque fois, transcendant la souffrance, elles racontent la magie du monde. Le monde s’anime, se met en scène ; mise en scène magique et divine qui fait se côtoyer les univers de pensée et emmêler les rationalités.

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Cette « bonne distance »résultant du fait même que la culture du thérapeute n’est pas celle du patient et peut de ce fait avoir une lecture critique qui introduit par la même la distance nécessaire à toute relation thérapeutique.