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III INVISIBLES BLESSURES

III. 3 1 1 Fixes idées

De génération en génération, la vie traverse le temps et se transforme sous l’effet des progrès de l’humanité. Ainsi, pendant longtemps, les hommes ont circulé à cheval mais les distances étaient longues et les bêtes s’épuisaient. Alors les chevaux sont un jour devenus des chevaux vapeur. L’ère du train commençait et, avec elle, l’homme allait vivre de nouvelles aventures. Les chevaux vapeur empruntèrent des chemins de fer à l’acier rutilant et se lancèrent à la conquête de l’ouest. Les paysages défilaient jusqu’au dernier arrêt.

D’autres fois, l’aventure se terminait brutalement dans un brouhaha de ferraille et de cris. Hagards, hébétés, les voyageurs comprenaient que le voyage avait tourné court. Certains en revanchent ne comprenaient plus rien au monde et sombraient dans la maladie. La pensée, pétrifiée, alors pouvait se perdre dans les méandres de la folie.

Bien avant l’avènement des voyages en train, il a été admis « que les troubles mentaux pouvaient être produits par un évènement extérieur venant faire choc émotionnel sur le psychisme, à la différence des affections causées par une lésion cérébrale et de celles qui naissent du dedans, des mystères de l’âme elle-même » (Crocq, 2003, p.12).

La pathologie témoignait de son inscription dans la violence de l’évènement et la nosographie allait du même coup s’enrichir d’une nouvelle entité. La névrose traumatique signait là son acte de naissance, et sa description à travers un tableau clinique spécifique allait lui conférer

une autonomie nosologique.159 Cette forme de névrose – dont le tableau sémiologique était

centré sur le trauma - était provoquée par l’effroi et entraînait à sa suite un ébranlement psychologique. Cette altération psychique était durable et se trouvait caractérisée par le

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Au sens étymologique du mot théorie, qui vient du grec, : « theôria », procession sacrée (Le Robert Brio, 2004).

159 Oppenheim reconnut le premier ce concept autonome de névrose traumatique. Si dans premier temps, Charcot contestait cette autonomie nosologique, Janet et Freud s’intéressèrent après cette reconnaissance à la pathogénie du trauma. Mais en même temps, la création de cette entité n’empêcha pas une certa ine instabilité des troubles p sychiques post -traumatiques quant à leur plac e dans les catégories nosographiques : entre hystérie, neurasthénie , simulation, psychose, névros e (Barrois, 1998). Pour une approche historique détaillée de l’émergence de ce concept, le lecteur pourra se reporter aux articles de Crocq (2002 ; 2003).

souvenir obsédant de l’accident, par des troubles du sommeil, des cauchemars de reviviscence, des phobies électives et une labilité émotionnelle (Oppenheim, 1888).

Elle pouvait également apparaître dans des moments particuliers de violence, et les guerres qui régulièrement jalonnaient la vie des hommes et des femmes étaient propices à sa manifestation.

Face aux troubles occasionnés, il s’agissait de comprendre pour tenter de guérir ceux qui avaient été atteints. Deux logiques explicatives furent envisagées. La première reposait sur une hypothèse organique et renvoyait à une lecture commotionnelle des symptômes manifestés. Dès lors, l’origine des troubles résidait dans les hémorragies ou les microlésions provoquées par le choc de l’accident.

Mais parfois un choc minime entraînait une sémiologie spectaculaire alors même que les lésions provoquées pouvaient être infimes. Le fait de pouvoir également faire cesser ou

réapparaître les troubles sous hypnose amena à envisager une pathogénie postémotionnelle160

où la peur figurait au premier rang des facteurs déclenchants.

Dans cette perspective, d’autres hypothèses ouvrant sur une nouvelle logique théorique (Janet,

1898, 1919)161 furent élaborées pour tenter de comprendre une autre particularité observée

chez le névrosé traumatique : celle de son impossibilité à se détacher du souvenir de son trauma. Ce souvenir, décrit comme un souvenir particulier, subconscient, acquit le statut d’idée fixe.

Echappant à la personnalité, ces idées se développent pour elles-mêmes et ne sont en rien des représentations mentales. Elles s’activent au sein de la conscience à la manière d’un parasite « en inspirant des images, des sensations et des gestes automatiques, archaïques et inadaptés » (Crocq, 2003, p.14). Aboutissant à des états de dissociation de conscience et fonctionnant selon un principe « d’accrochage », elles empêchent l’individu de surmonter l’obstacle qui lui fait face et en même temps agissent comme une sentinelle élaborant « un récit intérieur préparatoire (.. .) qui a pour effet de dériver l’anxiété et de maîtriser symboliquement la situation » (Crocq, 1993, p. 994).

La mise en évidence du rôle pathogène des souvenirs traumatiques, la désagrégation et les états dissociatifs de la conscience qui en résultent, permettent la reconnaissance d’une étiopathogénie purement psychique écartant définitivement l’hypothèse de lésions neuro- organiques consécutives au trauma, le trauma devenant le noyau des troubles.

160 Cette position fut soutenue par Charcot lors de ses présentations de malades à la Salpêtrière (1884-1889) mais cependant, Charcot réfutait l’existence d’une entité nosologique autonome et argumentait qu’il ne s’agissait que d’hystérie, de neurasthénie ou d’hystéro-neurasthénie traumatiques..

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Janet soutint tout d’abord une thèse de doctorat sur l’automatisme psychologique où il présenta vingt et un cas de névrose dus pour la plupart à un traumatisme psychique, puis publia Les Médications psychologiques.

Cette reconnaissance, s’écartant des étiopathogénies neurobiologiques et des éventuelles

péripéties liées au développement, laissait subodorer l’existence d’un inconscient

traumatique, lieu du symptôme, ce témoin visible d’invisibles blessures ensevelies dans les profondeurs. Dès lors, la pathologie liée au trauma allait pouvoir se lire selon une autre grille, ouvrant ainsi d’autres voies à la guérison.