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1 5 3 Une histoire de groupe avant tout

III INVISIBLES BLESSURES

IV. 1 5 3 Une histoire de groupe avant tout

La mise en œuvre rituelle n’est en effet pas sans conséquence sur le groupe social dans son ensemble car à chaque fois, c’est de sa pérennité et de sa cohésion dont il s’agit.

Un groupe229, c’est une socialité reconnue organisée autour d’une mythologie fondatrice,

d’ancêtres, de divinités, de codes – les rites, les lois, la parenté, la filiation, la langue – et d’objets de protection et de guérison. Organisation sociale reconnue, la famille est une de ses expressions.

Si le groupe vit et se développe à partir d’un réseau d’alliance230, sa survie repose cependant

sur sa capacité à se reproduire à l’identique.

Cette reproduction à l’identique n’est pas donnée d’emblée. Elle prend appui sur des modalités de transmission instituées qui participent de la logique de l’organisation sociale

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Le rituel de guérison se déroule selon la même logique d’expulsion mais, cette fois, de l’entité invisible qui habite le corps et le rend malade. Cette logique de l’expulsion renvoie, dans ce cadre, à celle de l’exorcisme. Pour plus d’informations sur cette question, le lecteur peut se reporter à Brandibas (2003).

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La notion de groupe est également attachée aux mathématiques et se définit comme un ensemble composé d’éléments ayant tous une propriété en commun. Grouper des éléments ayant en commun une propriété permet par ailleurs d’ordonner le monde, de donner une structure à ce qui ne serait autrement qu’un chaos (Watzlawick, 1967).

230 Qui peut obéir aux lois de l’endogamie ou de l’exogamie.

Frayeur, émotions fortes, confrontation à la mort

Marquage des corps Enonciation paradoxale Production d’êtres identiques Modification de la mémoire Nouvelle naissance Résolution des conflits antérieurs Influences traumatiques Effets attendus

donnée où elles s’expriment. Ces modalités participent d’un processus d’enculturation231 et s’organisent autour de l’éducation ou de l’initiation. La première renvoie à un système de pensée qui envisage le déroulement de la vie et le développement en termes de continuité alors que la seconde les pense dans une logique de discontinuité. Mais quelles qu’elles soient, ces modalités de transmission concernent le groupe social dans sa globalité puisqu’elles lui permettent de se pérenniser et de maintenir en son sein une cohésion et une cohérence.

Alors lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre un rituel initiatique, le groupe est impliqué. Il l’organise « pour qu’il soit grandiose et traditionnel » (Ionescu, 2005, p. 16). Quelquefois, il fournit également les objets. L’initié n’est alors que par lui et pour lui (Ibid.).

De cette manière, des êtres initiés naissent conformes aux êtres dont le groupe a besoin et peuvent alors intégrer les positions pour lesquelles ils ont été façonnés. Parfois, au carrefour des mondes, certains occupent une place intermédiaire entre les univers.

Chamanes ou encore fundi wa madjini, ils sont maîtres dans la médiation des univers visible et invisible. Tous sont en alliance avec le monde-autre. Ils sont devenus maîtres, initiés, en leur temps par d’autres qui leur ont transmis leur savoir et leur savoir-faire. Tous vivent dans un univers à la réalité dédoublée et savent passer de l’une à l’autre. Sous l’influence des maîtres, ils ont appris à maîtriser ce passage. Ils ont appris parce que le pouvoir des maîtres

n’est pas donné d’emblée232. Une fois terminé, l’apprentissage aboutit à la transformation

« d’un être doué de manière aléatoire de pouvoirs sacrés en quelqu’un qui peut devenir

« sacré » et communiquer avec le monde-autre » (Perrin, 1992, p. 45).Nés deux fois, à la fois

dans le monde des humains et dans le monde-autre, ils peuvent ainsi faire le lien et évoluer de l’un à l’autre (Ionescu, ibid.).

Le traumatisme institué – autrement dit manipulé techniquement en vue d’une transformation- permet à ceux qui le subissent, de recevoir, dans un cadre rituel initiatique, les modèles culturels propres aux positions qu’ils sont censés devoir occuper. Si, à travers cette technique de transmission, le groupe se perpétue, ce n’est jamais au fond que par obligation et par contrainte que les uns et les autres y sont soumis. En effet, nul ne change de son plein gré et chacun se transforme parce qu’il y a nécessité, voire urgence, à le faire. Il y a une contrainte au changement au risque sinon de la maladie et du désordre.

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Ce concept d’enculturation sera repris au paragraphe IV. 2. 2. 2. 232

A l’image des chamanes, qu’ils soient élus spontanément, désignés par d’autres comme leurs successeurs, ou encore partis volontairement à la recherche de leur pouvoir , tous ont appris sous l’influ ence d’un maître chamanique ( Ibid.). L’apprentissage a été le li eu de la confrontation à la mort et, à chaque fois, il est survenu après un temps de maladie, a près un temps de maladie initiatique qui témoigne du caractère violent du contact « sauvage » avec le monde-autre.

Parce que le temps est venu de quitter le groupe des mères pour intégrer celui des hommes, il est alors procédé à la circoncision des fils.

Mais n’est-ce pas également en ce point de la contrainte au changement que s’origine le projet de quitter son pays ? Néanmoins, le traumatisme attaché à l’acte de migrer est-il opérant dans sa fonction de réaménagement ? Autrement dit, peut-il ouvrir la voie d’une métamorphose chez ceux et celles qui le subissent?

IV. 2. Nouvelle lecture du traumatisme en situation de migration

Un jour, un événement plus fort qu’un autre, vient bouleverser l’existence dans sa tranquillité. La rupture dans le cours de la vie inaugure alors le temps de la crise. La vie prend des allures de tourmente émotionnelle. Le désordre s’installe et rend le monde confus. Parfois, c’est un grand désordre qui surgit et s’installe à l’intérieur. Du dedans, il agit et donne, à la manière d’un chef d’orchestre le « la » de la vie. Cette dernière, pour se poursuivre dehors se doit d’être remise en ordre.

Alors, parce que la vie chez soi ne s’écoule plus tranquillement, la décision est prise de partir hors de sa terre. Il y a du désordre, et un voyage sans retour au-delà du sol natal est prescrit pour tenter de ré- ordonner la vie prise dans la tourmente. Cette solution s’impose et il est attendu d’elle un changement. Migrer ne va pas sans traumatisme. Dès lors, en situation de migration, le traumatisme participe-t-il d’une logique de changement et de réaménagement ?