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clinique transculturelle

I. 1 4 Nouvelles approches

Il peut être des approches nouvelles mais elles ne le sont que parce que d’autres leur ont pré existé. Alors encore une fois, les concordances freudiennes seront convoquées pour être rejouées sur un autre air … le penseur à l’image du pianiste sait que pour être virtuose, il doit chaque jour davantage répéter ses gammes, ces partitions jamais finies toujours inachevées. Pour tenter de donner à la pensée un sentiment de finitude, des écoles nouvelles ont été fondées et selon le rituel classique de fondation, ont été coupées des anciens socles. Dès lors penser les liens entre culture et psychisme ne rime plus avec comparaison. Le double est passé par là amenant dans son sillage la structure et un autre acolyte le complémentarisme.

Si penser le monde et les relations qu’entretiennent entre eux ses événements et ses manifestations est affaire de mots et d’idées, les êtres qui l’habitent en sont cependant les principaux acteurs. Il en est des plus célèbres que d’autres et dont les noms résistent au temps.

 Lévi-Strauss Claude

Il est l’homme d’une méthode et d’une anthropologie qui porte le nom de son école. Elle est celle d’une pensée structurale. Les influences qui font son originalité sont celles du champ

linguistique61, définissant les langues comme une variation à partir d’une structure62. Des

définitions s’imposent.

Structure : elle est envisagée comme un ensemble d’éléments solidaires les uns par rapport

aux autres, tels que chacun ne peut être ce qu’il est que dans et par sa relation avec les autres. La structure se définit comme une totalité. Une structure se conserve et s’autorégule.

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Cette position sera défendue dans son ouvrage « Psychanalyse et anthropologie » (1950). 61

Inspiré par le linguiste Jakobson, Lévi-Strauss transposa en effet les méthodes structuralistes d’analyse linguistiques à l’anthropologie. 62

Selon Jakobson, dans la quantité illimitée des sons que la voix peut émettre, chaque langue en sélectionne un petit nombre formant un système et qui, par la façon dont ils s’opposent entre eux servent à différencier les significations.

Le modèle structuraliste : il est celui qui accorde la primauté au système sur les éléments et

révèle la permanence des significations. Système proche du modèle cybernétique, le modèle structuraliste laisse peu de place aux affects et aux émotions et clive la pensée comme s’il n’y avait pas de traduction clinique possible. C’est un modèle mathématique, « désaffectivé ».

L’objet d’étude de la pensée structuraliste portera successivement sur la parenté (Lévi-

Strauss, 1949), la pensée sauvage, (1962) et la mythologie (1964-1971).

Conclusions :

 Les conduites humaines obéissent à des lois d’organisation structurale. Ainsi, il

n’existerait pas plus de conduite anormale que normale mais seulement un type de sélection de ces conduites. A côté de ces conduites, il existe des invariants structurels.

En comparant les relations de parenté, les mythes et les règles de vie sociale, le constat est fait de retomber toujours sur les mêmes problèmes de base. Autrement dit, derrière la variété des cultures, apparaît une unité psychique de l’humanité ; les civilisations ne faisant que combiner des éléments de base communs à toute l’humanité. La mise à jour des ces invariants structurels aida à comprendre pourquoi certaines civilisations éloignées pouvaient manifester

des ressemblances troublantes telle la prohibition de l’inceste63, figure emblématique de la

structure invariante.

La prohibition de l’inceste en contraignant dans toutes les sociétés au mariage hors famille assure le passage de l’homme biologique à l’homme culturel et cet invariant sera alors pensé comme l’articulation entre la nature et la culture.

 A la suite de cette idée, celle qui consistait à penser le monde comme primitif ou évolué devint obsolète.

Il n’y a pas en soi une hiérarchisation des modes de civilisation ; il y a des réponses différentes à des problèmes fondamentaux et identiques et cette diversité témoigne des modalités plurielles de chaque société et de chaque civilisation.

L’étude des phénomènes totémiques sous l’angle de l’analyse structurale vient confirmer qu’une pensée peut être dite « sauvage » sans pour autant être qualifiée de « primitive » ou de « pré-logique ». Les paradigmes sauvages servent tout autant que ceux de la pensée scientifiques à classer, ordonner et ranger le monde. Il s’agit ni plus ni moins à chaque fois de construire une vision cohérente du monde, d’introduire un ordre.

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Dans cette perspective, la prohibition tendrait à instaurer une règle passive d’échange des femmes et non pas à sauvegarder la société des prétentions d’un père jaloux. Définie comme une règle universelle, l’interdiction de l’inceste soumettrait la consanguinité à l’alliance.

Une pensée quelqu’elle soit s’attache alors à déchiffrer l’univers avec sa grille de lecture plus

ou moins déterminée par l’intelligible64

.

 Le seul lieu de différenciation entre « l’homme civilisé » et « l’homme primitif »

réside dans l’attitude que chacun a de se comporter face à l’Histoire.

Les « primitifs » n’aiment pas l’Histoire, ils désirent ne pas en avoir. Ces sociétés préfèrent se voir immuables, telles qu’elles se croient créées par les dieux alors que chez les « civilisés », l’Histoire est vénérée au temple du Dieu soleil. C’est par l’idée que l’homme « civilisé » se fait de son histoire qu’il cherche à comprendre le passé, le présent et à orienter l’avenir (Lévi- Strauss, 1952).

Perspectives :

Parce que l’objectif premier de l’anthropologie structurale était au fond de déterminer pour chaque société une sorte de paradigme collectif des attitudes, il n’y avait dans cette approche guère de place laissée à tout ce qui renvoyait à la structuration subjective de l’individu. Une place restreinte est difficile à prendre et laisse peu de chance à un autre modèle de s’introduire. Sauf si …

La mise en évidence de ces paradigmes a mis en évidence qu’ils ne fonctionnaient pas tous de la même façon et qu’ils n’étaient pas respectés « d’égale manière par toutes les configurations familiales et qu’à l’intérieur du groupe, il y a du jeu, il y a de la variation » (. . .) C’est dans la

mesure où il y a de la place libre dans le système qu’élabore l’ethnologue, que le

psychanalyste peut disposer ses « pions » » (Lévi-Strauss, 1977, p.100).

Autour d’un objet d’étude complexe, il est alors parfois nécessaire de recourir à un double discours. Une pensée unique ne peut tout expliquer et trouve rapidement ses limites. Pour se préserver de ce risque, la pensée structuraliste s’est alliée à un autre discours. Des liens ont alors émergé entre des courant de pensée aux objets d’étude parfois éloignés.

Cette problématique depuis longtemps soulevée rejoignait en fait celle de certains qui cherchaient davantage à élaborer une théorie générale de l’être humain reposant sur plusieurs champs théoriques. Un autre homme allait s’atteler à la tâche.

 Devereux Georges 65

La pensée va subir sous l’influence de cet homme une profonde mutation et le modèle proposé sera celui du complémentarisme. A partir des faits observables tant sur les plans culturel que clinique, un postulat s’impose d’emblée : certains relèvent d’un double discours à

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Dans le sens où les sensations sont évacuées pour manipuler des concepts ou le sensible à l’inverse, ce ne sont pas des données abstraites mais celles fournies par l’expérience sensible quoi sont prises en compte.

la fois ethnologique et psychologique qu’il est « vain de tenter d’intégrer ces données de force dans le champ de l’une ou l’autre science pure » (Nathan, 1986b, p.24).

Si la logique d’un double discours s’impose, il lui faut cependant une méthodologie. Cette

dernière prendra appui sur le modèle physique du quanta66.

A partir de la description de ce modèle axé autour du principe de non simultanéité, il est admis que pour la compréhension d’un fait ou d’un phénomène relevant de deux discours, le principe de simultanéité ne peut parfois pas s’appliquer. Ces deux discours, s’ils ne peuvent être tenus simultanément sont en revanche complémentaires.

C’est dans cette notion de complémentarité, que l’originalité et la méthode de ce double discours se fondent. Se dégageant de toute approche comparatiste, la complémentarité devient méthode. Par rapport à un même fait, deux discours peuvent être désormais tenus.

Le passage de l’un à l’autre se trouve justifié par la question de la pertinence et de la rentabilité. Lorsqu’un discours ne devient plus pertinent pour le fait étudié, son seuil de rentabilité est atteint et justifie le changement de paradigme. » Le complémentarisme n’exclut aucune méthode, aucune théorie valables – il les coordonne » (Devereux, 1972, p.27).

Ce double discours autour d’un même objet place celui qui cherche dans une position de double et l’amène à explorer les limites, les frontières des champs explorés et non pas des champs délimités (Nathan,ibid.).

Les conditions sont alors réunies pour penser et résoudre le problème des concordances déjà depuis longtemps posé et envisager la culture et le psychisme comme des structures

homologiquestant du point de vue de leurs constituants que de leur structuration. Psychisme

et culture sont des doubles et contiennent les mêmes éléments de base et sont gérés par les mêmes mécanismes.

Cette relation d’homologie amène à penser que les formations décrites par la psychanalyse ont leur analogon dans l’univers culturel.

« Si les ethnologues dressaient l’inventaire exhaustif de tous les types connus de comportement culturel, cette liste coïncideraient point par point avec une liste également complète des pulsions, désirs, fantasmes,etc., obtenus par les psychanalystes en milieu clinique, démontrant par là simultanément, et par des moyens identiques, l’unité psychique de l’humanité et la validité des interprétations psychanalytique de la culture, deux points qui,

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Ce modèle s’appuie le principe physique de non simultanéité décrit par le physicien atomiste Niels Bohr, généralisation du principe d’indéterminisme d’Heisenberg. Ce principe affirme qu’il est impossible de déterminer simultanément et avec la même précision, la position et le moment d’un électron. En effet, plus la position de l’électron est mesurée avec précision – à un instant donné – plus la détermination de son moment devient imprécise et inversement. Tout se passe donc comme si c’était l’expérience à laquelle on l’assujettit qui force l’électron à avoir, soit une position, soit un moment précis. Donc, si l’explication d’un phénomène avec les outils d’un modèle explicatif est poussée trop loin, le phénomène disparaît.

jusqu’à présent, n’ont reçu qu’une validation empirique (...) Si tous les psychanalystes « dressaient une liste complète de toutes les pulsions et de tous les désirs et fantasmes mis à jour en milieu clinique, cette liste correspondrait point par point à une liste de toutes les croyances et de tous les procédés culturels connus, établie par les ethnologues » (Devereux,

ibid., p. 79).

Autour d’un même objet, la psychanalyse et l’ethnologie - aujourd’hui davantage

l’anthropologie - donnent deux points de vue différents renvoyant cependant à la même réalité et c’est de la différence des points de vue qu’émerge la compréhension, qui n’est pas la somme des points de vue.

Cette dualité des points de vue permet alors une approche à la fois du dedans et du dehors, liant au sein d’une même grille de lecture, le fonctionnement psychique de l’individu et la culture.

Il ne s’agit pas pour autant d’une approche dont l’objectif vise à la fusion interdisciplinaire, voire la confusion. Au contraire, « le complémentarisme n’est pas la confusion. Il permet l’obtention d’un faisceau d’indices qui possèdent leurs logiques propres » (Moro, 1994, p.97). Le passage par la logique du culturel doit amener à l’universel en chacun de nous mais en même temps, le maniement d’un double discours implique un travail à la frontière des champs définis, à l’interface de mondes.

L’interface des mondes devient alors le lieu de la rencontre avec l’autre différent. Simplement différent, tout simplement humain.

Ainsi peu à peu, les différences véhiculées par les modèles culturels sont devenues pensables autrement que sous le sceau d’une pensée universelle. Exposée au monde lors de sa découverte, la différence est devenue un objet de science fondant une nouvelle rationalité. L’ethnospy . . . est ainsi née : pensée de l’altérité, libre sans peur . . . mais douloureuse car tous ceux qui la pratiquent savent que l’autre différent est aujourd’hui encore par beaucoup craint et rejeté. Pensée sur la cité et sur les êtres qui l’habitent, elle est le lieu incontournable de demain.

I. 2. Ethno et Psy . . .

Ethno et psy . . . Ecrire l’histoire . . . Histoire en suspension née de la rencontre avec l’autre, à chaque fois recommencée. Parce qu’à chaque fois, à chaque nouvelle rencontre, le temps et le monde se suspendent. Sur quelle terre le navire va-t-il cette fois-ci accoster ? Quelle cargaison sera alors déchargée ? D’où vient-elle ?

 Observation n°1

. . . Le grand- père était venu des Indes, du Gujerat. Une nuit, il était parti de Porbandar à bord de son grand voilier et avait affronté l’océan. Les vents de la mousson soufflaient fort et le bateau avançait vite. Tant mieux, la marchandise allait pouvoir être rapidement livrée et les hommes plus tôt rentrés. C’était à priori un voyage comme les autres, un voyage sans histoire.

Sauf que Mohamed ne savait pas que ce soir là, son destin allait basculer, que le voyage le mènerait sur d’autres rivages qu’il ne connaissait pas et qu’il imaginait à peine. Il savait bien qu’au large des côtes, certains marins s’aventuraient vers d’autres mers et d’autres terres qu’il ne connaissait pas mais lui, lui, il partait de Porbandar et revenait à Porbandar.

Porbandar aller-retour, c’était ce qu’il avait encore imaginé pour cette fois-ci mais c’était sans prévoir que la terre, que la terre qui l’avait vu naître s’éloignerait à jamais . . . Le vent soufflait et tous les hommes étaient occupés à baisser les voiles quand soudain un grand feu de lumière éclaira le ciel. Les marins eurent peur, très peur.

Les marins pensaient que la fin du monde était venue . . . Toutes voiles dehors, le bateau erra sur l’océan. Combien de temps, personne ne s’en souvient mais un jour, la terre était là. C’était une nouvelle terre . . . Mohamed était arrivé à Ngazidja. Aller simple sans retour pour Porbandar …Aujourd’hui, on se souvient encore de son histoire.

Mohamed n’est plus de ce monde mais on s’en souvient à chaque fois que les rauhans viennent visiter sa fille, Kadjidja.

Les rauhans, Kadjidja les a hérités de son père. Il les avait ramenés de l’océan . . . et les rauhans aujourd’hui lui font voir le monde. . .

Cette histoire comme tant d’autres s’est racontée à la consultation de psychothérapie transculturelle.