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clinique transculturelle

I. 2 2 Culture et clôture.

Reconnaître la variable culturelle au sein d’une pratique clinique, c’est aussi s’interroger sur la fonction psychique de la culture. Mais quel sens donner à ce mot ? Son acception est vaste et ses définitions multiples. Intégrée au processus d’humanisation, la culture s’inscrit dans une pensée universelle puisqu’elle est ce qui fonde l’humanité. Envers de la nature, loi et règle du groupe, elle est cette grille de lecture du monde qui lui donne sens et le rend prévisible.

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Des travaux récents à propos de l’efficacité des psychothérapies incitent à penser que le processus en œuvre dans la psychothérapie peut permettre la constitution d’un nouveau milieu interne différent de ceux dont il est issu (Blanchet, 2002 b).

Fonctionnant à la manière d’un filtre76 elle permet aux membres des groupes d’appréhender la réalité évitant ainsi de les laisser en proie à des sentiments de perplexité et de frayeur. Le monde échappe ainsi au hasard (Nathan, 1989a).

Devenir un être de culture, c’est assurément pour l’individu avoir la possibilité de trouver une place au sein d’une organisation sociale mais c’est aussi acquérir une structure complexe en même temps qu’émerge le processus de la structuration psychique. Ces deux processus – structuration culturelle et structuration psychique - sont co-émergeants (Devereux, 1970) et sont redondants au sein du psychisme ; cette redondance assurant à l’individu un sentiment de cohérence et de cohésion.

Extérieure à l’individu, la culture est aussi ce que chacun intériorise en lui pour appréhender le monde au cours de sa construction. Elle est alors culture vécue (Nathan, 1986b).

Ce cadre culturel interne qui n’est au fond que la traduction des « modalités d’inscription d’un sujet dans l’univers culturel et de la manière dont l’individu le perçoit, le sent et l’habite » (Moro, 1998, p.14) prend appui sur le cadre culturel externe.

La culture vécue est le lieu de l’intériorisation progressive par l’individu du cadre culturel

externe. Elle s’actualise au cours du développement de l’enfant77 et s’appuie sur un processus

d’enculturation78 . Ce processus répond à plusieurs objectifs. Le premier est de rendre les

événements de vie intelligibles. Le second consiste à fabriquer des êtres conformes au groupe et à son identité. Le troisième vise enfin à assurer la pérennité du groupe en transmettant, de génération en génération, un modèle ou plus exactement des invariants propres à la culture. Ainsi, au-delà des variations liées au principe d’évolution des cultures considérées comme des systèmes ouverts et soumis de ce fait à des fluctuations, le maintien d’un noyau stable est assuré. L’identité et la cohésion du groupe sont ainsi préservées.

En venant au monde, le bébé humain trouve sa place dans une famille. Cette famille est elle- même inscrite dans un univers culturel défini à la fois par un système de parenté, des règles d’alliance et de filiation et par un système culturel de représentations.

Ce cadre culturel et les différentes caractéristiques de l’échange qu’il suppose participent au processus de délimitation culturelle de l’individu, autrement dit assure sa clôture.

76 La langue qui est avant tout considérée comme un système d’échange généralisé assure également cette fonction de filtre. 77

Winnicott (1971) a envisagé le premier stade de la constitution du soi comme le temps de la séparation non-moi – moi. De cette séparation émergera l’espace potentiel, cette aire hypothétique qui exi ste entre le bébé et sa mère - ou une partie de sa mère - pendant la période où il cesse d’être confondu avec ell e. Cet espace sera rempli par la créativité, le jeu de l’enfant. Ces premières expériences de jeu sont celles où l’enfant exerce sa capacité à utiliser des symboles et l’am èneront à l’expérience culturelle e n introduisant au cours du dév eloppement des éléments culturels. Cette expé rience culturelle, prolongemen t des phénomènes transitionnel s, repose sur « la tradition dont on hérite » (Winnicott, ibid., p.137) et fait à l’intérie ur de l’espace potentiel, le l ien entre le passé, le présent , le futur mais aussi entre le dedans et le dehors.

Cette fonction de délimitation et de clôture spécifique à l’être humain (Nathan, 1986b) repose sur des mécanismes d’adaptation sociale – l’identification et l’introjection - mis à la disposition de l’individu au cours de l’enfance (Ferenczi, 1950). Dans un premier temps, le recours aux mécanismes d’identification et d’introjection permet l’intégration automatique de tout être ou chose, de toutes les expériences vécues par l‘enfant à la culture du groupe interne. Cette dernière en énonçant des modèles de comportement façonne les rôles et les statuts de chacun au sein du groupe. Cette construction se parachève avec l’émergence d’un autre processus, la projection, qui consacre la naissance de la personnalité individuelle. Le système

devient alors clos. « Les individus et les objets nouveaux sont par conséquent

automatiquement assignés au groupe externe et à sa culture » (Devereux, 1972, p. 262).

Ce processus est capital dans la construction de la personnalité car faire l’expérience d’appartenir à un groupe clos permet également à l’individu de « penser qu’il existe d’autres sujets, clos comme lui, et avec lesquels il est possible de communiquer » (Nathan, ibid., p.24). Etre un individu clos et appartenir à un groupe fermé sont en effet les deux conditions à remplir pour entrer dans un système d’échange généralisé.

D’autre part, cette fonction de délimitation et de clôture de la culture est sous l’étroite dépendance de l’homologie qui existe entre les structures culturelle et psychique qui

contiennent les mêmes éléments de base. Ces structures sont régies par des processus79et des

catégories identiques liées au-dedans et au dehors, au latent et au manifeste. En dehors de leur homologie structurale, elles exercent par ailleurs la même fonction d’organisation du réel en l’ordonnant et le codant. Mais si l’une – la culture- opère un travail de codage au niveau d’un groupe, l’autre – l’appareil psychique – opère au niveau individuel.

Face à un événement survenu, un travail de comparaison se met en place entre les deux systèmes assurant alors à l’individu une clôture de son fonctionnement psychique (Ibid.). Ces allers-retours comparatifs permettent alors d’établir des frontières, des lignes de partage

entre le dehors et le dedans. Ces lignes de séparation sont essentielles à un bon

fonctionnement psychique. Leur absence ou leur défaut sont le plus souvent en lien avec une perte de fonctionnalité du cadre culturel et sont à même de provoquer un état de confusion psychique.

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La culture à l’image de l’appareil psychique fonctionnent en effet de manière associative et « établissent entre tous les éléments des connexions logiques basées sur la comparaison (analogie, opposition), sur des mécanismes spécifiques de regroupement d’éléments (condensation, déplacement), sur des constructions d’équations complexes liant logiquement des éléments hétérogènes » (ibid., p.23)

Cette question de la délimitation renvoie à celle de la différenciation des espaces à travers des

catégories de type conscient – inconscient ou encore dedans-dehors80 mais en même temps,

une limite n’a jamais la même valeur d’un individu à un autre.

En effet, s’il est peut être facile sur un plan topologique de délimiter à partir d’une courbe fermée ce qui est dedans – à l’intérieur de la courbe – de ce qui est dehors, autrement dit à l’extérieur de la courbe, il n’en est pas de même sur le plan psychique d’un individu à un autre.

En effet, ce qui est dedans pour un individu peut-être dehors pour un autre. Si le « je » est la frontière entre un dedans et un dehors (Devereux, ibid.), il constitue une frontière variable d’un individu à un autre, d’un temps à un autre.

Cependant même si cette frontière est fluctuante, elle permet de distinguer l’individu de son milieu et aide à sa structuration et son orientation. Elle délimite un territoire dont les limites peuvent varier en fonction des poussées de l’intérieur et de l’extérieur.

Ce couple « dedans-dehors » assure donc une fonction de structuration et de délimitation des espaces à la fois physique et psychique tout en servant également de matrice à d’autres couples antagonistes qui prendront sens au sein d’une culture donnée.

Il existe ainsi à l’intérieur de chaque culture des modèles qui vont définir notamment des critères de normalité, de marginalité ou d’anormalité assurant ainsi une fonction de délimitation mais aussi de détermination des conduites. Ces modèles définissent à la fois des types de conduite mais aussi d’inconduite (Linton, 1936). Autrement dit, à l’intérieur de chaque société, une des fonctions de la culture est de définir une façon « normale » d’être normal ou anormal.

De par cette fonction de délimitation et de clôture, il est possible d’envisager le système culturel non pas dans un rapport d’externalité au fonctionnement psychique mais comme étant partie prenante dans la construction intrapsychique (Nathan, 1989a).

Mais au-delà de cette fonction de délimitation, entre intérieur et extérieur se dégage à partir de ce processus un autre concept qui est celui d’enveloppe. Si cette notion d’enveloppe découle directement de la séparation des mondes interne et externe ou encore perceptif, elle illustre également les échanges existants entre les espaces délimités. Les objets et les actes des mondes sont alors pris dans un réseau d’échange et de liaison.