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clinique transculturelle

II. 2 2 Etres comoriens

Aux îles de la lune, le panthéon des madjini est varié et tire sa richesse des différents apports de civilisation au cours du temps. Ce panthéon s’appuie sur une cosmologie qui pense l’univers en lien avec deux royaumes, celui d’ici-bas, duniani et celui de l’au-delà, kiyama. Ce dernier monde est celui du paradis et de l’enfer et est occupé par des êtres suprêmes et divins. Il y a d’abord Dieu, puis les anges, malaïka.

Le monde d’ici-bas a aussi ses propres occupants et les madjini, eux, sont résolument de celui-là. Ils sont nombreux et reconnaissent de multiples appellations. Certains sont rauhans. Ce sont dit-on les plus nobles. Ils sont arabes et musulmans et viennent de la Grande Comore. Figures de pureté, ils aiment le blanc, sont très pieux et font régulièrement le pèlerinage à la Mecque. Durant les mois du ramadan et du hadj, ils sont donc indisponibles et ne peuvent être consultés. Ces madjini musulmans sont valorisés et sont perçus comme les moins dangereux parce qu’il est possible de négocier avec eux en invoquant le nom d’Allah.

D’autres en revanche, à la différence des rauhans, ignorent l’islam, allant même à l’encontre de ses préceptes. Infidèles, païens, inaccessibles par la prière, ils sont les plus violents et les

actions et dit : nul parmi les humains ne peut vousdominer aujourd’hui, et je suis votre soutien ». Toutefois, lorsque les deux armées se rencontrèrent, et que Satan vit les anges descendrent du ciel, il se sauva. « Mais lorsque les deux groupes furent en vue l’un de l’autre, il tourna les deux talons et dit : « je vous désavoue. Je vois ce que vous ne voyez pas, je crains Allah et Allah est dur en punition » (Boudjenou, 1994, p.).

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Au sens de « mamlouk » : possédé, au sens où l’on possède, l’on est « propriétaire (melk) » d’un terrain ou d’une maison (Nathan, 2000). Le « melk » se présente alors par un individu au moment des transes.

plus craints. Ils viennent d’Afrique – somali - de Madagascar - trumba et patrosi et obligent leur siège à transgresser les règles établies de la vie.

Le monde de la nature aux Comores a aussi ses êtres, les mwanaïssa. Ils sont à l’image de petits lutins et ceux qui les ont vus, les décrivent couverts de poils avec les pieds à l’envers et un côté du corps plus développé que l’autre. Ceux qui les rencontrent les chassent en leur jetant des pierres. Rusés et malins, ils ne peuvent posséder les humains mais attendent d’eux cependant des offrandes (Bouffart, 1999).

Si la forêt est peuplée d’êtres, la brousse l’est tout autant. Les masera la fréquentent. Il n’est pas bon de les rencontrer car ils ont mauvaise réputation. Ils sont dangereux et occasionnent souvent des troubles proches de la folie. De toute évidence, aucune négociation avec eux n’est possible et il convient de les chasser.

Les madjini, aux îles de la Lune, ce sont aussi d’autres êtres plus agressifs, les shetwan, reconnus ailleurs comme Satan. A l’allure humaine, ils sont debout devant la porte avec des yeux rouges exorbités, des pieds de bouc et une grande queue. Leur attaque rend malade et est source de profonds désordres. Souvent alors sous leur influence, le jour et la nuit se confondent et les êtres effrayés par leur vision perdent la parole et leur âme.

Les madjini sont partout, habitent les corps mais aussi les territoires les plus reculés de

l’espace naturel. Les fumées montantes du Karthala95 sont le signe de leur présence et chaque

variété de paysages détermine une catégorie d’esprits. Chacune de ces catégories s’organise par cercles concentriques autour des villages et les plus inquiétantes d’entre elles sont celles qui sont le plus éloignées des espaces domestiques. La forêt est ainsi un lieu particulièrement craint et les rencontres qu’on peut y faire ne laisse rien présager de bon.

Alliés de la nature et de hommes, les madjini sont, dans leur répartition interne, hiérarchisés à l’image de la société comorienne. Cette hiérarchie est idéologique et renvoie au double mouvement de civilisation qui a marqué l’archipel des Comores. Les uns sont expression du monde bantu, les autres du monde arabe. Projection de la société des humains, ils reproduisent dans leur univers la bipolarisation de la société comorienne. Organisée autour de deux groupes antagonistes d’origine ethno-culturelle différente, cette bipolarisation de la société formalise une disqualification du monde bantou au profit du monde arabo-shirazien et est fortement ancrée dans les mentalités. Elle agit comme facteur de différenciation sociale dans un monde fortement ambivalent autour de sa double origine et où il convient davantage de revendiquer son affiliation au monde arabo-musulman que de montrer une quelconque attirance vers un monde considéré comme kafir (Chouzour, 1994). Cette attitude témoigne du

refoulement à l’œuvre concernant la part africaine constitutive de l’identité comorienne et se retrouve agissante dans certaines paroles maternelles autour des enfants.

 Observation n°2

Salima est arrivée récemment à la Réunion. Son fils Kamal, tout comme elle, ne va pas bien. Le choix de venir dans cette nouvelle île n’en était pas un. Il s’est imposé parce que des enfants de Salima vivaient ici avec leur père, mais celui-ci est brutalement décédé. Alors parce que ceux de ses enfants qui grandissaient ici n’ont pas voulu retourner sur la terre de Mayotte, c’est elle qui est venue. La décision est douloureuse mais que faire, elle n’a pas le choix. Il y a là comme un sacrifice. Son arrivée ici s’est de plus doublée de la séparation d’avec le père de Kamal qui ne voulait pas qu’elle parte. Kamal et sa mère sont tristes.

. . .

Mère : Quand je regarde Kamal, je suis encore plus triste. Psy : Qu’est-ce qui vous rend triste ?

Mère : Quand je le regarde, j’ai l’impression que son père est là. C’est comme s’il était à la maison. Il ne voulait pas que je parte.

Psy : Vous êtes partie et votre mari vous manque. C’est cela qui vous rend triste quand vous regardez Kamal ?

Mère : Oui, c’est le seul de mes enfants qui lui ressemble. Il est blanc comme lui. Psy : Blanc, son père est m’zungu ?

Mère : Non, c’est un indien96.

Psy : Ce que je comprends alors c’est que Kamal est un enfant métis. Mère : Oui, fini les enfants noirs . . .

 Cette phrase est arrivée sans détour. A sa façon, cette mère vient ainsi de mettre en

mots le clivage latent97 qui existe en chaque homme et femme comorien face aux deux parts

constitutives de son identité ; la part africaine étant considérée comme noire et impure et la part arabe considérée en revanche comme blanche et pure. Alors que l’Afrique est plus que mêlée au destin du peuple comorien, elle se voit disqualifiée par l’idéologie arabo-islamique dominante. Cette rupture entre les mondes traduit « une grave crise de l’identité, caractérisée

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On entend par cette appellation un homme d’origine indo-pakistanaise de confession musulmane installé à Madagascar. 97 La langue comorienne véhicule également ce clivage. Tous les mots à connotation négative sont d’origine bantou ( mudu : noir ;

mdjinga : sauvage, ignorant ; mshendzi : nègre ; kafirri : mécréant, ennemi de dieu) et concerne le groupe bantou. Les mots à connotation

positive sont quant à eux d’origine arabe (mwarabu : arabe ; musta’arabu : arabisé, civilisé ; mweu : blanc, beau ; islam : soumis à Dieu.) et concerne le groupe arabe. Cette dichotomie se retrouve également au niveau des noms portés par les djinns ; les masera autrement dit les africains ont des noms à résonance bantoue alors que les rauhans portent eux des noms arabes : « Djabir, Abubakar » … (Chouzour, ibid..).

par le refus d’une négritude évidente au profit d’une arabité en grande partie illusoire et

fictive98, du moins pour la majorité de la population » (ibid., p.65).

Mais qu’ils soient africains ou arabes, rejetés ou au contraire recherchés, les madjini ont le même pouvoir : celui de mettre les vies en désordre, de rendre malade et de provoquer l’infortune.

II. 3. Les « désordres associés »

La survenue d’un désordre est fondamentalement l’expression d’un déséquilibre des relations entre les forces des mondes en présence. La maladie des hommes et des femmes participe de

cette logique et atteste de la présence d’un être dans le corps99.

S’il se dit que les madjini rendent malades, leur influence dépasse parfois le strict cadre du corps humain. Au-delà des corps, c’est parfois un groupe qui est mis à mal. Parfois encore, ce sont les lieux où la vie se déroule qui peuvent être troublés.