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2 Les logiques d’accession, pérennisation et évolution à la cour de France

2.1 Étude des ascendants : l’accès à la cour

2.1.2 Profil type ou singularités des trajectoires ?

2.1.2.2 Protections et solidarités

Solidarités familiales

Les solidarités sont très présentes sous l’Ancien Régime. L’hospitalité est accordée partout en France dès qu’une lettre d’introduction est produite. Les parentèles familiales ou amicales s’entraident : un cousin éloigné, la connaissance avérée même par un lointain parent est suffisante pour accueillir au sein du foyer le visiteur, pour une heure ou quelques jours.

L’étude des huit familles permet de saisir qu’une partie des garçons ordinaires de la Chambre est issue de parents commensaux, au sens élargi de la parentèle. Père, mère, oncle ou tante. C’est le cas des Saint-Quentin, des Magontier, des Filleul et sans doute aussi des Binet même si le lien avec les familles déjà installées n’a pas été établi avec certitude.

On remarque qu’au sein de l’ensemble des familles des garçons ordinaires, seuls les Magontier apportent une preuve irréfutable d’illustration de solidarité familiale.

Il s’agit d’un acte notarié351 déjà évoqué qui mentionnait l’origine géographique de la famille. Cette pièce permet par ailleurs de mieux cerner l’esprit d’entraide qui anime une famille à l’époque moderne. En 1648, Jean Magontier, père de notre

350 Cette hypothèse est à associer à la tournure psychique façonnée par une vision rassurante de l’intemporalité de la royauté.

351 A.N., MC/ET/CXXI/13, 16.VII.1648. Obligation par Bertrand Magontier, hasteur de la Bouche du Roi à Jean Magontier, écuyer de la bouche du Roi. S'obligent solidairement à rembourser le sieur Amet Tissier bourgeois de Paris, de la créance de 400 livres tournois.

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premier garçon ordinaire, contracte devant notaire une obligation solidaire de remboursement concernant un loyer à Paris. Le texte fait apparaître la fonction de son oncle prénommé Bertrand, déjà implanté à la cour en tant que hâteur de la bouche du roi :

« Sont comparus Bertrand Magontier hasteur de la bouche du roy demeurant ordinairement à Saint Yrieyes en Limousin, étant de présent en cette ville de Paris, logé rue Saint Denis en la maison […] paroisse Saint-Germain de l'Auxerrois, Jean Magontier écuyer de la bouche du roy son nepveu, demeurant ordinairement à St Yrieix et estant aussi de présent à Paris logé rue […] en la maison »

Jean Magontier se serait ainsi installé à Paris, accueilli par son oncle Bertrand, qui illustre ainsi un exemple de solidarité familiale, oncle qui lui fournit ensuite la place de hâteur de Cuisine Bouche en 1641. On estime qu’il commence son activité aux alentours de 1641, en raison de lettres de vétérance352 qu’il obtient en 1682, l’année 1641 étant certainement celle de démission de son oncle Bertrand.

En dépit de cette unique pièce, deux autres familles suggèrent leur arrivée en raison de la place de leurs belles-familles respectives. Il s’agit des familles Basire et Saint-Quentin. Rappelons que lorsque Laurent Basire devient garçon ordinaire de la Chambre aux alentours de l’année 1664, son père Paul, alors officier du duc d’Orléans est installé à Saint-Germain dès 1638, date de son mariage avec Germaine Fogerou. Le grand oncle de Germaine, Yves Fogerou, est déjà implanté en cette même ville353 en 1628, mais nous ignorons sa profession.

Concernant les Balligant, nous ignorons comment ils en sont venus à officier pour le service du duc d’Orléans. On peut cependant supposer que le père d'Antoine Balligant aurait été introduit à la cuisine bouche par son beau-frère Antoine Langot, ce dernier étant officier de bouche de Monsieur entre 1670 et 1699 puis commis de la chambre aux deniers de Philippe d'Orléans en 1701, avant de devenir contrôleur de la Maison d'Orléans en 1702354.

352 A.N., O1 26, f. 210, 13.VII.1682, lettres de vétéran pour Jean Magontier, hâteux de Cuisine Bouche servant depuis l’année 1641, à Versailles le 13e Juillet 1682.

353 A.D. des Yvelines, BMS 1170615, 28.III.1628, f. 77, acte de baptême de Nicolas Fogerou, né de Yves Fogerou et de Anne Foubert.

354 Mention des charges sur un site de généalogie qui ne produit pas ses sources. Antoine Langot se marie en 1670 à Anne Lavechef Duparc dont le père est jardinier du roi (A.D. des Yvelines, BMS

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Hypothèses de protection

Il semble difficile et illusoire de voir dans les témoins de baptêmes ou de mariages des liens indéfectibles et nécessairement sources d’appui dans le monde de la commensalité. Si un « lien de sang ou d'alliance, surtout lointain, n'implique pas nécessairement sympathie, soutien réciproque ou unité de vues355», on peut néanmoins avancer des hypothèses d’amitiés dans la présence des témoins de baptêmes ou de mariages.

Il reste cependant très difficile de deviner parmi la masse de connaissances les personnes ayant vraiment favorisé des protections. L’acte de mariage passé en juin 1627356 entre Charles Dufresny et Françoise Paris suggère une hypothèse. Assistent à la cérémonie Charles Fournier, valet de chambre ordinaire du Roi mais également deux premiers valets de chambre de Louis XIII en les personnes de Martin de Soppite et de Henry de Beringhen, qualifiés d’amis.

La qualité d’« amis » est une terminologie récurrente dans les actes et semble de façon générique décrire tous ceux qui n’appartiennent pas à la parenté. On pourrait également expliquer la présence de Beringhen et de Soppite en raison d’une simple civilité tenant au lien hiérarchique. Mais cela serait oublier que le service des premiers valets de chambre s’effectue à l’année et que la présence conjointe des deux officiers donne un indice en faveur d’une réelle marque d’attention. L’un d’entre eux est sans doute attaché à la famille Dufresny ou Paris, la présence du second résultant peut-être plus certainement d’une obligation de fonction. Rappelons que

5MI1872, 25. XI.1670, f. 435), puis en seconde noces à Françoise Marguerite Mongour (A.D. des Hauts de Seine, BMS, E_NUM_SEV_BMS_8, 01.VI.1699, f. 8v, vue 97/145)

355 Frostin (Charles), Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV : Alliances et réseau d'influence sous

l'Ancien Régime, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2006, citation extraite du compte-rendu

de Thierry Sarmant, https://www.persee.fr/doc/simon_0409- 8846_2007_num_35_1_1437_t1_0104_0000_2

356 A.N., MC/ET/LI/482, 11.VI.1627 d’Antoine Baligan de Saint Quentin.

356 A.N., MC/ET/XXX/251, 15.X.1731, contrat de mariage entre François Anthoine et Marie-Anne Dadolle.

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Martin de Soppite est allié par sa sœur Marie aux Le Tonnelier357, tandis que le premier écuyer « vieilli dans les intrigues » selon Saint-Simon358 « avait formé l’union d’Harcourt avec le chancelier ». La sentence est d’ailleurs fort bien résumée par Emmanuel Le Roy Ladurie359 qui situe Beringhen « à l’une des articulations d’amitié importante, dans le réseau Maintenon : il cousine avec Huxelles, il sert de trait d’union entre le maréchal d’Harcourt et le chancelier Pontchartrain ».

François Moureau360 rappelle également le passage de Charles d’Alençon qui rapporte l’intérêt bienveillant du roi Louis XIV pour Dufresny :

« Son esprit vif et agréable, plût à ce prince, qui l’employa pendant ses Campagnes en diverses occasions, et toujours avec succès ; de manière qu’en donnant simplement l’essor à son imagination naturellement tournée à la gayté et aux idées singulières, il gagna les bonnes grâces du roi et se trouva comblé de bienfaits, qui joints à son bien de patrimoine, rendirent bientôt sa situation opulente ».

Nous n’aurons pas autant de chance pour tenter de percer des protections autres que familiales pour Gilles Tortillière, n’ayant pas trouvé son acte de baptême. Le baptême de Laurent Basire361 voit des témoins non identifiés à ce jour. Les actes relatifs à la famille Saint-Quentin ou Binet362 sont trop tardifs pour le sujet des protections des ascendants. Quant à la famille Filleul, une source secondaire363 avance l’hypothèse que Thomas Filleul serait issu d’un fils d’un compagnon de Henri IV.

357 François Le Tonnelier, seigneur de Conty, conseiller au grand Conseil (1612), secrétaire de la Chambre et du Cabinet du roi (1624), maître des requêtes (1633), intendant et commissaire en Limousin (1638), avait épousé Marie de Soppite en août 1613.

358 Saint-Simon (Louis de Rouvroy de), Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon sur

le siècle de Louis XIV et la Régence, collationnés sur le manuscrit original par M. Chéruel et précédé d’une notice par M. Sainte-Beuve de l’Académie française, Paris, Librairie Hachette, 1856, t. VII, p.

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359 Le Roy Ladurie (Emmanuel), Le territoire de l’historien, Paris, Gallimard, t. II, 456 p.

360 Moureau, op. cit., p.25, cite Alençon (Charles d’), Avertissement, dans Dufresny, Œuvres, Paris, 1731, t. I, pp. 11-12.

361 A.D. des Yvelines, BMS 1637-1644, 1168917, 22 janvier 1639. René Valet, sous argentier de la Petite écurie du roi, lien non identifié.

362 Nous connaissons en revanche les liens familiaux postérieurs au chapitre qui nous occupe, entre Binet de Sainte-Preuve et la marquise de Pompadour qui se trouve être sa cousine par alliance. Cf.

Lettres de madame de Pompadour, portrait d’une favorite royale, (dir. Cécile Berly), Perrin, 2014, p.

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Il est donc temps de se pencher sur l’étude des moyens employés par ces mêmes familles pour pérenniser leur présence à la cour. Une fois installée, la mise en place de stratégies n’a d’autre ambition que de soutenir le défi de la stabilité en utilisant tout moyen susceptible d’œuvrer en ce sens, de la simple survivance aux stratégies matrimoniales

2.2 Stratégies employées et rayonnement des familles pour