• Aucun résultat trouvé

2 Les logiques d’accession, pérennisation et évolution à la cour de France

2.3 Évolutions individuelles et familiales

2.3.1 Attractivité des diverses maisons, départements et services : une hiérarchisation mouvante et à niveau multiple

2.3.1.1 Des distinctions entre maisons

L’idée d’une prééminence de la Maison du roi sur les autres maisons royales est-elle incontestable au prisme d’une étude des sources matérielles ? L’examen du degré d’attractivité des officiers pour les diverses maisons royales peut-il s’apparenter à la mise en concurrence des aisons du roi et de la reine, du dauphin et des princes selon les époques ? Telles sont les questions évoquées dans ce chapitre.

L’attractivité vers les diverses maisons se pondère par plusieurs facteurs. La primauté de la maison royale sur ses consœurs peut sembler être incontestable mais demeure subordonnée dans une certaine mesure aux enjeux dynastiques. L’âge du roi et sa santé sont certainement des facteurs à prendre en compte dans les choix de carrière des commensaux, si tant est qu’il y ait un réel choix. Sans doute serait-il plus pertinent de parler d’opportunité. L’entrée dans une maison est en effet sujette à la reconnaissance du service effectué non seulement par l’individu mais également par les parentèles associées. S’y ajoute également la vacance de la charge, elle-même dépendante du décès du résignataire. Les possibilités d’évolutions restent donc rares et sont soumises à une dynamique qui mélange les facteurs extérieurs à la compétence personnelle.

Un domestique exerçant dans la Maison du Grand Dauphin place sans doute beaucoup d’espoirs dans les relations privilégiées qu’il tisse entre lui et le prince. Il

157

s’agit d’un pari sur les aptitudes à régner, même si ces considérations peuvent être ruinées par la brutalité des circonstances. On ne saurait rappeler le choc émotionnel lié aux décès498 successifs du Grand Dauphin en 1711 et de son fils le duc de Bourgogne l’année suivante, qui anéantirent à la fois les espérances calculées des clientèles liées à Meudon mais également dans une moindre mesure les espoirs de sa domesticité499.

La réflexion d’un officier sur la prévalence de la Maison du roi s’estime par rapport aux conditions privilégiées qu’elles accordent à ses officiers et les espérances quelles peuvent apporter à ces mêmes officiers. D’un point de vue théorique, la Maison du roi semble plus attractive que celle des princes car perdure après le décès du roi, comme le rappelle Charles Loyseau.

« La Maison du roy ne se rompt point, non plus que le roy ne meurt point en France ; ains, comme le royaume, aussi les officiers de la Maison du Roy sont transferez au successeur dès l'instant de la mort du predecesseur, pour ce qu'estans officiers publics [...] ils ne sont pas attribuez à la personne, ains à la qualité du roy500».

Loyseau rapporte que les « Maisons des Princes sont rompûes501 par leur mort », induisant par cette notion la vacance de fonction des commensaux des princes, a contrario de celle des officiers de la Maison du roi.

Mais l’intégration d’un officier dans une maison autre que celle du roi se mesure également sur les critères appréciatifs en fonction des différentes personnalités à la tête des maisons pressenties. Mathieu Da Vinha502 relève l’exemple de Beringhen dans les Mémoires de Marie Dubois, qui illustre les sentiments des officiers domestiques :

« Monsieur de Bellingant, premier vallet de chambre du Roy, ne se dédaigna pas d'estre aussy premier vallet de chambre de la Reyne, quoyque ce soit une charge sans fonction et sans

498 Ajoutons également les décès des héritiers de Louis dauphin de France et fils aîné du Grand dauphin. Les jeunes ducs de Bretagne et de Bourgogne succombent en 1712 à la même épidémie de rougeole qui décima leurs parents.

499 Rappelons que les officiers de la maison du dauphin sont en 1711 attachés à la maison du roi (cf. note 14).

500 Loyseau (Charles), Les Œuvres (…), op. cit., p. 235.

501 Loyseau (Charles), Les Œuvres (…), op. cit., p. 235 : « à la fin des obseques du Prince décédé, le Maistre d’Hostel rompt publiquement son baston ».

158

ordinaire et quy n'a que cent escus de gages, mais l'entrée chez la Reyne a un homme d'esprit est beaucoup ».

Et Marie Dubois de conclure par un sage adage « il fault tacher à ne donner jamais jalousie a son mestre, dont la plupart ne veille point que les affections soient partagées. Ils veillent que I'on soit tout à eux et Monsieur de Bellingant fut disgracié et n'est point reveneu qu'à la mort du Roy ».

En acceptant cette charge, Beringhen n’a pas pressenti le danger de déplaire à son roi qui s’empresse de le disgracier, le premier valet songeant plus certainement aux promesses de faveur en raison des usages avérés dans la Maison d’Anne d’Autriche. Deux garçons ordinaires de la Chambre appartenant à la Maison du dauphin et de la reine parviennent à obtenir des charges de valet de chambre à la Chambre du roi. Il s’agit respectivement du sieur Bonin de La Chesnaye en 1691503 et de Marin Tréheux en 1692504. Peut-être faut-il y voir une dynamique émanant de ces maisons.

La charge de garçon ordinaire de la Chambre ne semble pas provoquer tant d’émois. Charles Dufresny1-1 cumule sa charge de garçon ordinaire avec celle de fourrier de l’écurie de la reine obtenue en 1657 qu’il vend ensuite en 1660505. Dans ce cas précis, le roi ne semble pas irrité du cumul de charges. Sous le règne de Louis XV également, plusieurs membres adjoignent à leur charge celle d’une autre maison, annonçant soit un changement d’usage significatif, soit la marque d’une fonction moins encline à l’affect royal. C’est le cas de Charles-Auguste Tortillière3-4 qui en 1736506 est garçon ordinaire de la Chambre et maréchal des logis de la reine, mais également de François-Claude Antoine2-5 qui entre au service de la Chambre du roi entre septembre 1729507 jusqu’aux alentours de 1767508 tout en exerçant les fonctions d’huissier de la Chambre de la dauphine entre 1744509 et 1749510. Un

503 A.N., O1 35, f. 339, 19.XII.1691, retenue après démission de Nicolas Malvilain.

504 A.N., O1 36, f. 118v, 01.V.1692, retenue après décès par la mort de Charles de Reboul. 505 Moureau, op. cit. p. 22, note 3, d’après A.N., MC/ET/LI/550, 12.V.1660, traité de charge. 506 Newton William R., La petite cour (…), op. cit., p. 603, note 2.

507 A.N., O1 73, f. 415, 20.IX.1729, survivance « pour François-Claude Antoine, sur la démission de François Antoine son père », et A.N., O1 202, f. 44, 23.IX.1729, survivance accordée, sans mention du prénom.

508 A.N., O1 111, f. 361, 14.X.1767, retenue sur démission.

509 A.N., O1 88, p. 344, 20.XII.1744, retenue. Mention du quartier cité dans Newton, La petite cour, p. 418, ainsi que la source O1 3745B, f. 135.

159

troisième personnage, Jean Hugon de Masgontière1-5, cumule les charges de garçon ordinaire et de premier valet de chambre du comte de Provence en mai 1768511.

On relève par ailleurs les exemples de quatre garçons ordinaires qui renoncent à leur état pour entrer dans une autre maison. Charles-Auguste Tortillière 3-4 se retire du service de la Chambre pour rejoindre celle de la dauphine entre 1744512 et 1763513 dans l’exercice de la charge d’huissier ordinaire de la Chambre. L’État de la France514 stipule en 1749 les conditions de son traitement, « 300 l de gages, 400 l de récompense 722 l de nourriture, 300 livres pour un cheval & a part aux sermens ». Enfin, Georges-René Binet de Sainte-Preuve4-5 quitte également la Chambre du roi et sa fonction de premier valet de garde-robe en novembre 1735515 pour entrer au service du dauphin en qualité de premier valet de chambre. Là encore, le même État de la France516 précise que le sieur Binet reçoit

700 livres de gages et 4266 livres pour ses appointements, ce qui semble pour ce dernier cas être plus avantageux par rapport à la place précédente517.

Au regard de ces exemples, il serait donc hasardeux d’affirmer l’existence d’une hiérarchie au sein des maisons royales, les officiers conjuguant de multiples facteurs telles l’opportunité d’une vacance de poste, la proximité avec le prince ou encore des considérations plus pragmatiques à l’instar du montant des traitements.

511 A.N., O1 113,10.V.1768, p. 195, survivance de gentilhomme ordinaire du roi pour le sieur Louis- Henry de Magontier après démission du sieur de Montigny qui mentionne les qualités de son père Jean Hugon de Masgontière. Voir également Newton, La petite cour, services et serviteurs à la Cour

de Versailles, Fayard, p. 425, qui mentionne la source O1 3785 dossier 2. 512 A.N., O1 88, p. 343-344, 1744.

513 Newton, op. cit., p. 603, note 2.

514 L’État de la France, op. cit., année 1749, t. II, p. 353-354.

515 A.N., O1 80, p. 28-30, 20.I.1736, lettres de vétérance (bien qu’il n’ait pas servi les 25 ans requis) précisant qu’il s’est démis de la charge le 28.XI.1735 à cause de son service auprès du Dauphin. 516 L’État de la France, op. cit., année 1749, t. II, p. 345.

517 L’État de la France, op. cit., année 1736, t. I, p.304: « 825 livres par les thrésoriers de la Maison, 313 l d’appointemens au Trésor Royal, & leur ordinaire en argent, 1750 liv à la chambre aux deniers de chez le Roy».

160