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Des combinaisons multiples : l’exemple de l’accès à la noblesse

2 Les logiques d’accession, pérennisation et évolution à la cour de France

2.3 Évolutions individuelles et familiales

2.3.2 Les facteurs d’ascension sociale

2.3.2.1 Des combinaisons multiples : l’exemple de l’accès à la noblesse

Selon Antoine Furetière, le noble est « celuy qui est eslevé au dessus des roturiers par sa naissance, par ses charges ou par la faveur des Princes ». Furetière précise ensuite ces distinctions :

« Les vrais Nobles sont les Nobles de race, de sang, d’extraction. Les nouveaux Nobles sont ceux qui ont esté annoblis par leurs charges, par leurs emplois, & particulièrement par les militaires. Les Nobles par lettres, sont ceux qui ont obtenus lettres du Prince pour joüir du privilège des Nobles534».

Nous avons relevé quatre exemples d’individus dont l’anoblissement535 s’apparente à cette dernière catégorie, la seconde étant plus spécifiquement décernée aux représentants de l’autorité royale dans l’exercice d’une charge administrative ou militaire.

Cette noblesse que l’on peut qualifier de faveur prend tous les attributs des deux précédentes noblesses. Les lettres de noblesse s’appliquent en effet non seulement à l’officier mais également à son épouse et aux enfants nés de légitime mariage, que ceux-ci soit hommes ou femmes.

534 Furetière, Dictionnaire (…), op. cit., t. 2, NOBLE, non paginé.

535 Un cinquième ne nous intéresse que de façon relative car concerne le père de Claude-François Rameau2-6, le musicien Jean-Philippe Rameau, qui n’était pas garçon ordinaire. Remarquons que l’anoblissement concerne également l’ensemble de sa famille. A.N., MC/ET/XLVI/533, 23 septembre 1788, inventaire après décès : Mention de l’anoblissement de son père Jean-Philippe

Rameau en mai 1764 : « Permettons audit sieur Rameau et à ses enfants, postérité, descendans, de porter des armoiries timbrées, telles qu'elles seront réglées et blazonnées par notre amé et féal conseiller en nos conseils, le sieur d'Hozier, juge d'armes de France, et ainsi qu'elles seront peintes et figurées dans ces présentes, et dont le règlement est ci-annexé sous le contre-scel de notre chancellerie, avec pouvoir et liberté de les faire peindre, graver et insculpter, si elles ne le sont déjà en tels endroits de leur maisons, terres et seigneuries que bon leur semblera, sans que, pour raison de

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Louis-Jacques Binet4-3 est anobli en juillet 1718 par lettres patentes et obtient en août le règlement de ses armoiries536. À la date de l’anoblissement, il exerce encore les fonctions de garçon ordinaire, tout en exerçant simultanément les charges acquises successivement que nous avons déjà évoquées. La démission de son poste de garçon ordinaire a lieu en décembre 1718537, Louis-Jacques devenant premier valet de garde-robe. L’anoblissement coïncide par ailleurs avec une ascension fonctionnelle et financière538. Les gages de premier valet de garde-robe s’élèvent à 825 livres et 3434 livres d’appointements. On ajoute à cette somme 1750 livres, ainsi que l’avantage d’être nourri pendant son service de quartier à la table des premiers valets de chambre.

Jacques-Antoine Basire5-4 est quant à lui anobli en 1757539 et à l’instar des brevets de gratifications évoqués dans un chapitre antérieur, les lettres d’anoblissement s’apparentent à la consécration de l’ensemble d’une famille. Elles soulignent ainsi dans l’attribution de la dignité la constance de l’état de garçon ordinaire des Basire « dont les pères et ayeuls ont été successivement revêtus depuis 1650 ».

La force du réseau familial des Basire qui s’est combinée à celle des Anthoine par le mariage du grand-père Laurent avec Louise-Gabrielle Anthoine est certainement un atout supplémentaire. De même, l’un des oncles de Jacques- Antoine Basire est Barthélémy Cochu, frère de Joachim Cochu, contrôleur de la

tout ce que dessus ledit sieur Rameau, ses enfants, postérité et descendans, puissent être tenus de nous payer et à nos successeurs Roys ».

536 Chaix d’Est-Ange, op. cit., t. IV, p. 290. Nous n’avons pas trouvé ces lettres de noblesse dans les papiers du secrétariat de la maison du roi pour les années 1718, 1719 et 1720.

537 A.N., O1 62, f. 274, 08.XII.1718, retenue sur démission du s. Bachelier et f. 276 v°, 11.XII.1718, brevet d'assurance.

538 État de la France, op. cit., année 1718, p. 197. 539 A.N., O1 101, f. 625, X.1757.

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machine de Marly. Barthélémy épouse Madeleine-Françoise Basire en 1703540, sœur d’Antoine Basire5-3 et acquiert la charge de conseiller secrétaire du roi541.

Enfin, les deux derniers exemples concernent précisément la famille Anthoine. Cette récurrence indique la constance de la bienveillance royale, les brevets d’anoblissement s’adressant à une vingtaine d’années d’intervalle aux frères Jean et François Anthoine, soulignant ainsi une reconnaissance exceptionnelle et continue de deux rois consécutifs.

Jean Anthoine2-2, l’aîné des frères a déjà quitté sa fonction de garçon ordinaire en janvier 1704542 lorsqu’il est anobli, et exerce la fonction de porte-arquebuse du roi.

Son frère François Anthoine2-3, est anobli en 1723543 « en reconnaissance des services, ainsy que ses pères et ayeuls (...) et les preuves qu'il nous a donné de

540A.D. des Yvelines, BMS 1168922, f. 48. Les témoins sontFrançois-Gaspart Antoine prêtre docteur et abbé des abbaye de grandchamps, Louis-Antoine Bazire écuyer garçon ordinaire de la chambre du roi frère de la mariée, Joachim Cochu contrôleur de la machine, frère du marié, Georges Dumontier officier du roi, Jean Antoine écuyer porte-arquebuse du roi, François d'Escouboé officier de feue madame la Dauphine, Estienne Du Ruzé contrôlleur des bâtiments de Saint-Germain-en-Laye.

541 A.N., MC/ET/LXV/507, 19 aout 1717 Extrait de l’inventaire fait à la requête de Magdeleine Françoise Basire veue du sieur Barthélémy Cochu écuyer conseiller secrétaire du roy en son grand Conseil.

542 A.N., O1 48, f. 22v-24, I.1704. Le brevet est confirmé en 1724 (Newton, La petite cour (…), op. cit., p. 73, note 4. « Ayant toujours eü attention à la fidélité et à l’assiduité de ceux qui ont eu l’honneur de nous servir en qualité de nos officiers domestiques, nous avons pris plaisir a eslever et distinguer par des marques d’honneur ceux qui s’en sont rendus dignes par leur bonne conduitte. C’est dans cette vüe que considérant les services de notre cher et bien amé Jean Antoine nostre Porte arquebuse qu’après nous avoir servy, aynsi que ses père et ayeuls les Roys nos prédécesseurs dans des charges de nostre Chambre dont nous n’avons accoutumé d’honorer que ceux en qui nous prenons une entière confiance, il nous auroit jusques à présent donner toutes les marques d’un bon et fidel officier, tant dans la dite charge de Porte arquebuse que dans la commission que nous luy avons donné pour l’inspection des chasses en la capitainerie de St Germain en laye, lesquels services, voulant récompenser en faisant passer a sa posterité les marques de la satisfaction que nous en avons, à ces causes, et autres à ce nous nommans de nostre garce specialle, pleine puissance et Authorité Royale, nous avons le dit Jean Antoine anobly et anoblissons par ces présentes signées de nostre main, ensemble ses enfans et postérité masles et femelles nez et a naistre en legitime mariage et du titre et qualité de noble, les avons décoré et décorons ; voulons et nous plaist, qu’ils soient a l’avenir tenus censez et reputez nobles en tous actes, lieux et endroits, tant en jugement que dehors, et qu’ils se puissent dire et qualifier Escuier et parvenir a tous degrez de chevalerie, acquérir, tenir et posséder tous fiefs et terres nobles de quelque titre et qualité qu’elles soient, et jouïr de tous les honneurs, prérogatives, privilèges, franchises, libertez, exemptions et Immunitez dont jouissent les autres nobles de nostre Royaume, et ceux qui sont issus d’ancienne et noble race (…) ».

543 A.N., O1 67, p. 151-153, III.1723 : « Lettres de noblesse, en reconnaissance des services, ainsy que ses pères et ayeuls (...) et les preuves qu'il nous a donné de bons et fidèles offices, tant dans la dite charge de garçon de notre chambre, que dans celle de porte-arquebuse, joints aux services que nous a aussi rendus Dorothée de Saint-Hilaire sa femme dans la charge de notre première femme de

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bons et fidèles offices » dans l’exercice des charges de garçon ordinaire et de porte arquebuse. Les qualités de son épouse y sont associées en tant qu’ancienne première femme de chambre du dauphin, et qui à la date des lettres d’anoblissement est au service de la Chambre du roi.

L’accès à la noblesse se fait encore ici l’écho d’une reconnaissance de qualité de service et plus encore, de la fidélité aux maisons royales.

Ces marques de faveur peuvent s’expliquer par l’enchaînement de parcours des différents offices. On remarque que les frères Anthoine sont au cœur de la Chambre du roi ce qui implique un service quotidien favorisant l’intimité. La charge de gouverneur des petits chiens n’est pas aussi anecdotique que son intitulé pourrait le laisser présumer. Les États de la France544 soulignent le goût du roi pour ses

chiens, qu’il aime nourrir lui-même dans ses cabinets chaque soir après le petit coucher, et cela en présence du porte-arquebuse qui en prend soin :

« Il ne reste plus dans la chambre que le premier valet de chambre et les garçons de chambre (…) Après ce petit coucher SM entre dans son cabinet, y êtant encore quelque temps sans se coucher. Comme le roy aime assés les chiens, pour se divertir, il leur donne quelquefois luy même à manger : & le sieur Antoine Porte-Arquebuse, qui a soins de ces chiens de la chambre, se trouve là présent ».

Là encore, le réseau familial n’est peut-être pas étranger au parcours personnel de l’officier. Jean Antoine contracte successivement trois alliances. La première en 1664545 avec Henriette-Françoise Monsigot, la seconde en 1705546 avec

chambre, après l'avoir esté du Daufin notre père (...) nous avons le dit François Antoine annobli et annoblissement par ces présentes signées de notre main, ensemble ses enfants, postérité mâles et femelles né et à naistre en légitime mariage (...) ».

544 États de la France, op. cit., année 1687, p. 243.

545 A.D. des Yvelines, BMS 1168918, 13.V. 1664, paroisse Saint-Germain-en Laye : témoins Gaspard Monsigot, marchand bourgeois de Paris, père de la mariée ; Jean Anthoine, noble homme, huissier de chambre du roi ; Georges Legrand seigneur des Alluets, conseiller du roi, prévôt juge ; Charles Guignard commissaire en la prévôté de Saint-Germain ; Denis Planson prêtre chapelain chapier de l’église de Saint-Germain-en-Laye; André Guignard, prêtre docteur en théologie et principal du collège royal de Navarre, oncle du sieur Antoine du côté maternel.

546 A.D. des Yvelines, BMS 1168923, f. 77-77V, 30.VI.1705, mariage de Jean Anthoine et Françoise Berthelot, dont le père est Honorat Berthelot, sieur de la Rabellerie et la mère Marie Bertin : « Avec la permission de Louis Antoine cardinal de Noailles (…) fille de défunt Honoré Berthelot écuyer capitaine de la volière du château neuf de St Germain, et de damoiselle Bertin, (…) en présence de François Antoine officier de la chambre du roi, frère du marié François Descomboe, officier de Mesdames beau-frère du marié, François Berthelot, prieur de ? frère de la mariée ; Jacques-Louis Binet officier de la chambre du roy, concierge capitaine de la volière du château neuf de St Germain, beau-frère de la mariée, Pierre Trusson officier ordinaire de la chambre de Mgr le duc de Berry, aussy beau-frère de la

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Françoise Berthelot et enfin en 1719547 avec Anne Courdoumer. Seules les deux dernières alliances présentent un maillage dense entre familles commensales, Henriette-Françoise Monsigot étant issue de la bourgeoisie marchande parisienne. En revanche, ce premier mariage met en valeur un réseau implanté à Saint-Germain qui combine les officiers de la prévôté représentés par la branche maternelle du marié, les Guignard et les Legrand, aux officiers commensaux du roi en la personne de Jean Anthoine, huissier de la Chambre et oncle du marié. Jean Anthoine2-2 s’implante lui aussi à Saint-Germain en devenant concierge et garde-meuble de l'hôtel de la Chancellerie de France à Saint-Germain-en-Laye dès février 1672548, le département de la surintendance des bâtiments du roi lui ouvrant également le poste d’inspecteur au domaine des chasses en cette même capitainerie549.

La seconde alliance révèle des liens avec la famille Binet. La sœur de Françoise Berthelot, Louise550 est en effet mariée à Louis-Jacques Binet4-3, garçon ordinaire de la Chambre, que nous avons déjà évoqué au sujet de son anoblissement en 1718. On remarque également lors de ce second mariage, la présence d’officiers commensaux de la Maison du roi, de la Maison de Mesdames et de la Maison du duc de Berry, présence qui illustre parfaitement le rayonnement des familles à la cour. Les attaches familiales avec les Binet se confortent de nouveau avec le dernier mariage. La mère d’Anne Courdoumer, Marie-Louise-Anne Binet, est la sœur de Louis-Jacques Binet4-3. Le père de la mariée est quant à lui garçon ordinaire du Dauphin, et lors du baptême de son fils Louis en 1675551, le garçonnet

mariée, Antoine Basire écuyer garçon ordinaire de la chambre du roy neveu du marié, Pierre Bertin concierge du château neuf de St Germain ».

547 A.D. des Yvelines, BMS 1168924, f. 65, 20.VIII.1719.

548 A.N., O1 16, f. 53, 05.II. 1672 ; et f. 238, 23.IV.1672, provisions et mention de survivance auprès de son fils Jean-Marc Antoine.

549 Mention dans les lettres d’anoblissements, A.N., O1 48, f. 22v-24, I.1704.

550 A.D. des Yvelines, BMS 1168920, f. 92-92v, 12.V.1682, mariage de Jacques-Louis Binet et Louise Berthelot de la Rabellière.

551 Archives communales de Saint-Germain, acte de baptême pièce 153, GG 11, liasse A, registre 1675 : « Ce jourd’huy cinquiesme fevrier mil six cent soixante et quinze, ont esté supplées les ceremonies du baptesme en la chapelle du chateau vieil de ce lieu par monseigneur Jacques Benigne Bossuet, ancien evesque de Condon et precepteur de monseigneur le Daulphin, à Louis, aagé de deux ans, ondoié à Paris par mons. l’abbé Dupons avec la permission de monseigneur l’archevesque de Paris, filz d’honorable homme René Courdonner, garçon de la chambre de monseigneur le Dauphin, et de Marie Louise Anne Binet, ses pere et mere, le parein tres haut et tres puissant prince Louis de Bourbon, dauphin de France, la mareine haute et puissante dame Marie de Montosier,

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est ainsi honoré de la présence du Grand Dauphin alors âgé de quatorze ans à la date du baptême, ainsi que de celle de son précepteur Jacques-Bénigne Bossuet.

Le faible nombre d’anoblissements confirme la remarque de Sophie de Laverny552. La commensalité n’est pas le « moteur de l’anoblissement » mais « seulement le vecteur ». Elle « n’anoblit jamais de façon collective ses détenteurs. (…) Les officiers civils anoblis le sont uniquement à titre particulier (…) ».

Les facteurs d’ascension sociale pour l’exemple de l’accès à la noblesse sont étroitement liés à la proximité du service avec le prince et le déroulé de carrière. L’influence du réseau familial a certainement son importance même si l’intuition n’a pu être confirmée par des sources incontestables.

Mais on peut par ailleurs, s’interroger également sur un autre facteur d’ascension sociale résultant non de la dynamique interne d’une famille mais des lieux d’exercices des familles d’officiers.