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2 Les logiques d’accession, pérennisation et évolution à la cour de France

2.2 Stratégies employées et rayonnement des familles pour une continuité à la cour

2.2.1 Les manifestations du bien servir comme conséquences de la bienveillance royale

2.2.1.1 Droits d’aubaine et dons de places

Nous avons mention de trois cas de droits d’aubaine pour Louis-Bertrand de Magontier en 1684366 et François Antoine. Le droit d’aubaine résulte de l’incapacité juridique de l’aubain ou étranger, à pouvoir tester afin de léguer ses biens à sa famille, ce depuis l’ordonnance de Charles VI en 1386 qui réserve au roi la succession des aubains en Champagne. Le jurisconsulte Jean Bodin, explique ainsi que :

« Le privilège le plus remarquable du citoyen par rapport à l’étranger est sa capacité à rédiger un testament et à disposer de ses biens selon le droit coutumier, ou de les léguer à ses proches. L’étranger ne dispose ni de l’un ni de l’autre, et ses biens reviennent au seigneur du lieu où il est décédé367  ».

La cession de ce droit royal à des commensaux est donc particulièrement révélatrice de la bienveillance du prince même si l’on ne peut présumer de l’intérêt

366 A.N., O1 28, f.145v, 1684, biens de Georges Benise.

367 Citation extraite de l’article de Sahlins Peter, « Sur la citoyenneté et le droit d'aubaine à l'époque moderne. Réponse à Simona Cerutti », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2008/2 (63e année), p. 385-398. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-2008-2-page-385.htm, d’après

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financier du droit d’aubaine. On peut cependant s’interroger sur la nature même de ces actes qui révèlent sans conteste que les détenteurs ont joui d’une bienveillance royale sortant de l’ordinaire.

François Antoine bénéficie en 1686368 d’une première attribution de bien d’un ressortissant lombard. Huit années plus tard369, un certain Jacques Antoine, garçon de la Chambre est mentionné pour un don d’aubaine des biens du nommé Gerfrut370. Mais Jacques Antoine décède en 1677371, le droit d’aubaine a donc plus certainement bénéficié au fils cadet de Jacques. Son fils aîné Jean, démissionne en effet de sa charge de garçon ordinaire pour son frère François en novembre 1677372. Une autre manifestation des bienfaits du roi se traduit par des dons matériels de terres ou de lieux à bâtir, parfois dans les villes proches de la cour mais aussi en province.

Ainsi en 1686 Laurent Basire bénéficie d’un don de place à bâtir « scize au parc aux cerfs, laquelle aura sa principale entrée sur la rue des Tournelles contenant 21 toises de profondeur sur 11 toises de large373 ».

La famille Binet accumule également plusieurs dons sur trois générations. Georges Binet est le premier en 1771374 à obtenir des terres en Bretagne « en considération de ses services et pour lui donner moyens de les continuer ». Quatre ans plus tard, c’est au tour de Jacques de recevoir les terres de « Plumangat, Tuignat, Pagat, Valquerton et Vaucouleurs situées en Bretagne375».

Le petit-fils, Georges-René Binet de Sainte-Preuve obtient quant à lui des places à Versailles, rue des réservoirs. Terrain, remise et écurie lui sont affectés par brevet en août 1717376. Il obtient ensuite neuf ans plus tard un second terrain377 qui jouxte la remise rue des réservoirs. À l’époque, il n’est déjà plus garçon ordinaire de

368 A.N., O1 30, f. 160v, 08.V.1686, biens de François Vadet, lombard. 369 A.N., O1 38, f. 335 v°, septembre 1694.

370 Aucune mention d’origine, la graphie du nom est par ailleurs incertaine. 371 A.D. des Yvelines, BMS 1168919, 176v, 20 mai 1677, acte de sépulture. 372 A.N., O1 21, f. 264, 19.XI.1677.

373 A.N., O1 30, f. 423v, 30.XI.1686, brevet de don de place à bâtir. 374 A.N., O1 15, f. 38, 16.I.1671, brevet de don de terres.

375 A.N., O1 19, f. 32 v°, 31.I.1675, brevet de don de biens.

376 A.N., O1 61, f. 125-125V et 155, 17.VIII.1717 et 27.VIII.1717, brevet de don de places à bâtir. 377 A.N., O1 70, f. 7, 11.I.1726, brevet de don de place à bâtir.

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la Chambre mais exerce la fonction de premier valet de Garde-Robe du roi depuis 1718.

Sa parenté avec madame d’Étiolles, future marquise de Pompadour lui vaut des courtisans une suspicion d’ascendance auprès du roi que l’intéressé dément. Luynes explique en effet que « les discours que l'on tient sur Mme d'Étioles, parente de Binet et son amie, pourraient faire juger que Binet aurait un crédit assez considérable ; il prétend que ces discours sont bien injustes378». Le sieur Binet obtient en 1751379 un brevet de don d'un terrain à Versailles sur la butte de Montbauron, donnant sur l'avenue de Paris ; il y fait élever un corps de logis à l'italienne par l’architecte de Marne.

Mais c’est sans doute la famille Filleul qui demeure la championne de don de places à bâtir, accumulant entre 1751 et 1765 des terrains à Choisy. Thomas Filleul est alors concierge et garde-meuble du château de Choisy-le-Roy. Chaque brevet de don reprend la formule suivante, «°Le Roy (…) voulant donner au sieur Thomas Filleul, concierge de son château de Choisy une nouvelle marque de la satisfaction qu’elle ressent de ses services, sa Majesté lui a accordé et fait don d’un terrain°(…)380°». En 1753381, nouvelle marque de satisfaction, le roi accorde un second terrain, puis encore un troisième en 1756382, cédé en deux parties383. Enfin, un dernier acte daté de 1765384 semble clôturer cette profusion de brevets.

378 Luynes (Charles-Philippe d'Albert, duc de), Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV

(1735-1758), publiés sous le patronage de M. le duc de Luynes par MM. L. Dussieux et E. Soulié,

Paris : Firmin Didot frères, fils et Cie, t. VI, 1861, p. 418-419, lettre du 22 avril 1745. 379 A.N., O1 95, f. 336, 16.X.1751, brevet de don d’un terrain.

380 A.N., O1 95, p. 129, 25.IV.1751, don de place à bâtir. « Le roy (…) voulant donner au sieur Thomas Filleul, concierge de son château de Choisy une nouvelle marque de la satisfaction qu’elle ressent de ses services, sa Majesté lui a accordé et fait don d’un terrain sis au dit Choisy dans l’emplacement destiné à faire le nouveau village que Sa Majesté a dessein d’y établir, lequel terrain se trouve compris au plan général de distribution déposé au greffe des bâtiments de Sa Majesté sous la cotte 27 contenant 215 toises superficielles environ de forme régulière ayant 10 toises de largeur à chacun des bouts, l’un d’eux faisant face à la rue du potager de sa majesté, l’autre tenant au sieur de Gilet et chacun des deux cottés de 21 toises 3 pieds, un desquels tient au sieur d’Estissac, l’autre au sieur Pillot, auxquelles personnes pareilles places ont été aussy accordées, le tout conformément au dit plan, pour par le dit sieur Filleul ses hoirs ou ayant cause jouir user faire et disposer du dit terrain à perpétuité et en toute propriété ainsy qu’il avisera bon et comme chose à luy appartenante à condition néantmoins d’y bâtir suivant les alignements simetries et décorations qui luy seront prés cittés par les officiers des Bâtiments de sa Majesté ».

381 A.N., O1 97, f. 280-282, 27.X.1753, don de place à bâtir. 382 A.N., O1 100, p. 254-256, 30.IX.1756, don de place à bâtir.

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Toutes ces marques de bienveillance sont néanmoins à mettre en relation avec la volonté royale d’établir « un nouveau village de Choisy ». Les brevets de don de places à bâtir sont également réglementés par l’ordonnance du 22 mars 1671. Le commensal s’engage

« à bâtir suivant les alignements cimetries et décorations ordonnées par les officiers des bâtiments du Roy, de rendre les bâtiments faits et parfaits dans les temps fixés par les ordonnances du 22 mars 1671 et autres concernant les dons de places en construction de bâtiments à élever (…), et en outre de payer au domaine de Sa Majesté le droit de cens sur le pied de 5 deniers par arpens au deffaut desquelles conditions le présent brevet sera nul385 ».

Dans ces cas précis, le brevet permet à l’officier d’en « jouir à perpétuité en faire user et disposer comme il avisera bon386», contrairement au certificat qui en 1779 conditionne un prêt de longue durée mais potentiellement soumis à réquisition selon le bon vouloir du prince :

« Le sieur Baugé et ses héritiers ont le droit d'élever des baraques d'après les alignements symétriques pressentis par les officiers des bâtiments du roi, aux conditions de rendre places nettes à la première réquisition, sans pouvoir en prétendre aucune indemnité387».