• Aucun résultat trouvé

2 Les logiques d’accession, pérennisation et évolution à la cour de France

2.2 Stratégies employées et rayonnement des familles pour une continuité à la cour

2.2.2 Des alliances réfléchies garantes d’une stabilité à la cour L’importance du rôle des parentèles dans le choix des stratégies d’alliances

2.2.2.1 Le mariage entre droit et coutume

L’une des conditions pour assoir un bon contrat de mariage (Annexe 3416) est la réévaluation du brevet de retenue ou brevet d’assurance.

C’est ce que fit Antoine Balligant de Saint-Quentin en 1720417, en demandant l’obtention de 10 000 lt de plus sur le brevet déjà accordé avant son mariage deux ans auparavant. Le brevet d’assurance, généralement affecté en cas de décès du futur titulaire pour assurer à sa famille une base d’acquisition par le nouveau nommé, est ici demandé pour servir de base dans les négociations des épousailles. Le montant est ainsi affecté « à la dot et douaire de la demoiselle Binet l'une des femmes de chambre de sa Majesté » qu’Antoine Balligant s’apprête à épouser, concrétisant ainsi l’alliance de deux familles de commensaux dont l’un des membres sert à la chambre en qualité de garçon ordinaire.

« Aujourd'huy, 6 may 1720, Le Roy étant à Paris Antoine Baligant de Saint Quentin l'un des garçons ordinaires de sa Chambre a très humblement représenté à sa Majesté qu'en luy accordant 30 000 lt d'assurance sur le prix de la charge par brevet du 13 décembre 1718 elle l'avoit spécialement

414 Cordier Jean, La famille sainte, où il est traité des devoirs de toutes les personnes qui composent

une famille, Paris, 1644, dans Daumas (Maurice), op. cit., p. 57.

415 Furetière, Dictionnaire (…), op. cit., 1690, CHARGE, non paginé.

416 Voir également en Annexe 3 les transcriptions de divers contrats de mariages de la famille Filleul qui posent les enjeux des parties contractantes en termes de dot, de douaire et de succession. 417 A.N., O1 64, f. 122, 06.V.1720, brevet d’augmentation d’assurance.

134

affecté au payement de pareille somme qu'il devoit au s. Binet pour partie de la recompense de la ditte charge, et comme il a remboursé cette somme au dit Binet suivant sa quittance passée devant Bouron et son confrère le 30 avril dernier, il supplioit sa Majesté de vouloir bien luy augmenter le dit Brevet d'Assurance et luy permettre de l'affecter à la dote et douaire de la demoiselle Binet l'une des femmes de chambre de sa Majesté qu'il est sur le point d'épouser, a quoy ayant esgard et voulant favorablement traiter le dit St Quentin et la dite Binet, Sa Majesté de l'avis et a déclaré et déclare, veut et entend que si le dit Antoine Baligant de Saint Quentin vient à se démettre ou à décéder en possession de la dite charge de garçon de sa Chambre, celuy qui sera agrée pour la remplir soit tenu de payer comptant la somme de 40 000 lt que Sa Majesté veut et ordonne être spécialement et par préférence et tous créanciers, mesme a ses héritiers, affectée et hypotéquée aux dote et douaire qui seront stipulés par son contrat de mariage avec la demoiselle Binet, voulant qu'aucunes provisions ne puissent estre expédiées de la dite charge qu'en raportant préalablement quitance des dits 40 000 lt conformément au présent brevet que pour assurer de sa volonté sa Majesté a signée de sa main et fait contresigner ».

Le neveu d’Antoine Balligant, François Balligant4-8 obtient quant à lui, un brevet de 30 000 lt en 1765418. La somme est traditionnellement affectée à son épouse Françoise-Nicole Bocquet mais n’est pas « comptée dans les prises et conventions matrimoniales, cette grâce êtant un pur effet de la libéralité de Sa Majesté ». Cette mention est à rapprocher de la remarque de Charles Loyseau419 qui rappelle que les offices pourvus avant mariage n’entrent pas en communauté de biens pendant le mariage420, ce qui est ici le cas pour François Balligant, déjà pourvu de la charge de garçon ordinaire avant son mariage en 1745.

Mais « Si au contraire, le mari a acquis l’office des deniers communs, & le revend pendant que la communauté subsiste, le prix qui en provient, appartient à la communauté421 ».

418 A.N., O1 109, f. 106v-107, 20.V.1765, brevet d’assurance.

419 Loyseau, op. cit., p. 374 : « il a eté jugé par infinis arrets, que les offices, dont le mary estoit pourveu avant le mariage n’entrent en communauté ». Ces dispositions concernant les offices et le mariage convenant « aussi bien aux offices non vendus, qu’aux vénaux ».

420 On a ainsi pu vérifier que les individus issus du monde de la commensalité se marient après avoir obtenu la charge en survivance.

421 Denisart (Jean-Baptiste), op. cit., t. 2, 1776, p. 314. La jurisprudence civile accorde cependant une toute autre lecture : cf Guyot, op. cit,. p. 396, sect. I, n. 5 : « si le mari avoit obtenu durant la communauté un brevet de retenue sur l'office acquis durant la communauté, ce brevet de retenue seroit, suivant beaucoup d'auteurs, un effet de la communauté, et les héritiers de la femme devroient avoir leur part dans la somme qui seroit payée par le successeur à l'office ».

135

Dans notre cadre d’étude, les contrats de mariage des officiers relèvent de la coutume de Paris. L’une des principales distinctions concerne la qualité des biens et leur appartenance en communauté ou non. Le choix a son importance car détermine les implications financières en matière de dettes. Ainsi, si la mise en communauté est décidée, les dettes mobilières que chacune des personnes a contractées avant le mariage sont réputées communes. Elles doivent par conséquent :

« (…) être payées des effets de la communauté, c’est-à-dire sur les meubles, sur les fruits de leurs immeubles, & sur leurs conquêts422, qui composent la masse des biens de leur communauté, parce que comme a elles en jouissent en commun, elles doivent aussi payer toutes les charges en commun423».

La veuve est également tenue de payer la moitié des dettes mobilières faites par l’époux avant le mariage et lors de ce mariage.

Notons que les offices de la Maison du roi ont un statut particulier au regard des biens en communauté. L’office « reste au mari sans pour ce payer aucune indemnité à la communauté424». Cela signifie en substance que si le mari survit à sa femme, l’office lui demeure sans qu’il doive acquitter les héritiers de sa femme d’une quelconque indemnité425.

Au regard de l’époux, la coutume de Paris garantit ses droits mais cela est-il suffisant pour expliquer la nette préférence d’un choix pour la communauté dans les quelques contrats dépouillés ? Quel avantage la fiancée retire-t-elle d’être en communauté et qu’en est-il de la défense de ses intérêts ?

Le Traité de Mr Duplessis ancien avocat au Parlement sur la coutûme de Paris426, apporte quelques précisions. L’auteur remarque en premier lieu que

« La coutume de Paris ne met point de distinction entre les nobles & les roturiers, elle veut que toutes les successions directes se partagent d’une même manière, entre quelques personnes, &

422 Les conquêts étant les biens acquis par les époux durant leur mariage

423 Estienne Le Semelier, Conférences ecclésiastiques de Paris sur le mariage où l'on concilie la

discipline de l’église, avec la jurisprudence du royaume de France, établies et imprimées par ordre de SE Monseigneur le cardinale de Noailles, Archevêque de Paris, nouvelle édition, tome quatrième,

Paris, chez les frères Estienne, 1767, p. 57. 424 Bourjon, op. cit., p. 323.

425 Bourjon, op. cit., p. 338.

426 Duplessis Claude, Traité de Mr Duplessis ancien avocat au Parlement sur la coutûme de Paris,

donnez au public sur le manuscrit de l’Auteur, plus correct et plus ample que toutes les copies qui ont parû jusqu’à présent (…), Paris, Gosselin, 1699, p. 392.

136

dans quelque famille que ce soit, illustre ou basse ; parce que la nature n’a point mis de différences entre les hommes, qu’elle a faits tous égaux427»

D’un point de vue général, cinq espèces de biens entrent en communauté : en premier lieu, les meubles avant mariage ainsi que « tous les meubles et effets mobiliers qui échéent à chacun des conjoints pendant le mariage». Puis les acquisitions faites pendant le mariage ou conquêts, mais aussi les acquêts ou biens immeubles donnés aux conjoints. Entrent également en communauté les « jouissances & revenus » des biens immeubles.

La coutume de Paris protège effectivement les droits de la future épouse. En cas de défaut de paiement de la dot promise par l’épouse, le douaire n’est pas remis en cause, la coutume stipulant l’indépendance de ces deux engagements :

« En effet, le défaut de paiement de dot, n’affoiblit pas le motif que la loi a eu, dans l’établissement qu’elle a fait du douaire en faveur de la femme428 ».

De plus, l’époux n’est pas maître des biens propres de sa femme. Par bien propre, on entend ce qui s’oppose aux conquêts et aux acquêts, c’est-à-dire « héritage qui est venu par succession du père ou de l’ayeul, & qu’on n’a point acquis par son industrie429».

On devine à travers les différents traités consacrés aux alliances, l’enjeu des familles face à la constitution des alliances. Le choix des conjoints s’entend comme la mutualisation de biens personnels acquis par les générations précédentes au prix d’une réflexion accomplie. L’édification de la famille demeure concomitante au maintien des patrimoines430. Les garçons ordinaires de la Chambre ne dérogent pas à cette mise en place.

Examinons quelles sont les stratégies engagées spécifiquement par les familles pour pérenniser leur présence à la cour.

427 Duplessis Claude, op. cit., p. 174. 428 Le Semelier, op. cit., p. 727.

429 Furetière, Dictionnaire (…), op. cit., t.2, PROPRE, non paginé.

430 A.D. des Yvelines, BMS 1168926, 09.XI.1735 fol 82 : L’exemple des enfants de Laurent Basire illustre l’implication des familles dans les alliances. Antoine et Louise-Gabrielle Basire s’oppose au mariage de leur frère Joseph Basire, Les raisons ne sont pas exprimées, mais la mainlevée par sentence de la prévôté suggère le règlement d’une affaire financière. Joseph a 60 ans tandis que sa fiancée est âgée de 34 ans.

137