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Le cumul de charges, marque de faveur et nécessité familiale

2 Les logiques d’accession, pérennisation et évolution à la cour de France

2.2 Stratégies employées et rayonnement des familles pour une continuité à la cour

2.2.3 Le cumul de charges et la survivance ou l’assurance de perdurer à la cour

2.2.3.1 Le cumul de charges, marque de faveur et nécessité familiale

Une marque de faveur

Jacqueline Boucher469 rappelle les circonstances de la mise en place des cumuls de charges. Louis XIV a contrario des efforts entrepris par son prédécesseur, qui avait tenté de réduire le nombre des offices, utilise la distribution de charges et d’offices pour consolider les liens de patronage :

« Sous Louis XIV, il sembla plus opportun d’utiliser ce que d’aucuns appelaient abus pour multiplier le nombre des grâces dont le roi pouvait disposer. Dès juillet 1653, une déclaration, faite en son nom, rappelait que les officiers domestiques avaient pleine jouissance de leurs charges, mais qu’elles restaient à la disposition du souverain. Louis XIV, systématiquement, organisa la vente et l’échange de charges de sa maison et de celles de ses proches et octroya, comme autant de faveurs, des survivances et des brevets de retenue sur le prix de vente éventuel des offices domestiques. Ces procédés aboutirent à des cumuls de charges et emplois, en dépit de l’ordonnance de Blois, jamais observée d’ailleurs, qui les avait interdits. En 1682, sur 1.219 charges d’officiers de la maison étroite du roi, 49 étaient détenues par 23 personnes ».

Précisons par ailleurs que l’ordonnance de Blois avait été rendue suite aux doléances des États-Généraux assemblés à Blois en novembre 1576 et visait particulièrement les charges importantes censées récompenser la noblesse. L’argument évoqué dans l’ordonnance était d’ailleurs de sensibiliser à la meilleure distribution des grâces royales comme le stipule le texte :

« Et afin que nous ayons moyen de récompenser notre noblesse, et que plusieurs ne puissent ressentir de nos libéralités et bienfaits : nous avons déclaré et déclarons que nous n’entendons par ci- après qu’aucun puisse être pourvû de deux estats charges et offices, mêmement des estats de grand maistre, maréchal ou admiral de France, grand chambellan, grand maistre de l’artillerie, général des galères, grand écuyer, colonel de gens de pied, gouverneur de province : lesquels nous avons déclaré

468 A.N., MC/ET/XCIV/67, 05.II.1682, contrat de mariage. 469 Boucher (Jacqueline), op. cit., p. 365.

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et déclarons incompatibles, et ne pouvoir estre tenus à l’avenir conjointement par une même personne, quelque dispense qui en puisse estre obtenue de nous470 ».

On comprend ainsi que dans ces conditions, le cumul de charges est une marque de bienveillance royale et contribue à fidéliser l’officier. L’accumulation de charges est par ailleurs étroitement liée à la transmission de la charge, le cumul de fonctions étant rationalisé et permettant au chef de famille de transmettre une seconde charge au cadet des fils ou parfois à son gendre, positionnant ainsi l’enjeu des charges au centre des préoccupations stratégiques des familles.

Les charges au cœur des stratégies de subsistance des familles

La famille Binet471, installée à Saint-Germain-en-Laye, mérite notre attention en raison d’une source évoquant les tractations autour d’une charge.

Il s’agit de l’un des Binet, et plus particulièrement de Georges-René Binet de Sainte-Preuve4-5.Ce dernier est mentionné capitaine de cavalerie en 1717472. Il entre au service de la Chambre en qualité de garçon ordinaire d’avril 1702473 à décembre 1718474, puis devient premier valet de garde-robe en survivance à la même date475. Il se démet de cette charge en novembre 1735476 pour entrer au service du dauphin en qualité de premier valet de chambre. En 1726477, lors d’un brevet de don de terrain

470 Isambert (François-André ), Jourdan (Athanase-Jean-Léger ), Taillandier (Alphonse-Honoré),

Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789 : contenant la notice des principaux monumens des Mérovingiens, des Carlovingiens et des Capétiens, et le texte des ordonnances, édits, déclarations, lettres patentes, règlemens,... de la troisième race, qui ne sont pas abrogés, ou qui peuvent servir, soit à l'interprétation, soit à l'histoire du droit public et privé (…), Paris : Plon Belin-Leprieur, juin 1829, t. XIV, n° 103 (art. 267), p. 440 : Ordonnance

registrée au parlement de Paris le 25 janvier 1579, et en la chambre des comptes le 2 mars 1580, n° 103 (art. 267), p. 440.

471 On se reportera en annexe 5 pour l’ensemble des choix de carrières de cette famille. 472 A.N., O1 61, f. 155, 27.VIII.1717, brevet de don de place.

473 A.N., O1 46, f. 54 V° et 55, 17.IV.1702, survivance sur démission de Jacques Binet son père.

474 A.N., O1 202, f. 43v, 12.X.1718, demande de démission agrée. Voir également A.N., O1 62, f. 280, 12.XII.1718, retenue de garçon ordinaire de la chambre pour le sieur Baligan de Saint-Quentin sur la démission des sieurs Binet père et fils.

475 A.N., O1 62, f. 275 v°, 10.XII.1718.

476 A.N., O1 80, p. 28-30, 20.I.1736, lettres de vétérance (bien qu’il n’ait pas servi les 25 ans requis) précisant qu’il s’est démis de la charge le 28.XI.1735 à cause de son service auprès du Dauphin. 477 A.N., O1 70, f. 7, 11.I.1726, brevet de don de place à bâtir.

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situé rue des réservoirs, il est cité comme exerçant les charges de maître de camp de cavalerie, lieutenant des villes et château de Châtillon. Cette accumulation de charges n’est pas démentie en 1747, Binet étant mentionné sur le contrat de mariage de son fils478 « mestre de camp de cavalerie, gouverneur de la tour de Cordouan et de l'ancienne volière de Saint-Germain-en-Laye, lieutenant de roi à Châtillon-les- Dombes, premier valet de chambre du dauphin, contrôleur de la maison de la dauphine ».

Plus curieusement, la course aux charges de la Maison du roi aboutit à une négociation. En 1750479, les terrains donnés par le roi rue des réservoirs sont l’objet d’une étrange tractation de rachat par le domaine donnant lieu à un brevet de 2400 lt pension, « le Roi voulant indemniser le sieur Binet Premier valet de Chambre du dauphin de deux terrains joignant l’un à l’autre situés au-dessous des Réservoirs480». Le brevet stipule que le versement annuel sera réglé « jusqu’à ce que Sa Majesté ait bien voulu accorder au dit sieur Binet une charge dans sa maison d’un revenu à peu près égal à la pension ou d’une autre grâce équivalente auquel cas la dite pension sera pour lors éteinte ». On peut supposer que le brevet de gentilhomme ordinaire du roi obtenu en juillet 1754481 comblera la demande de Georges-René Binet4-5, ce dernier réunissant les charges de maître de camp de cavalerie et premier valet de chambre du Dauphin à la date du brevet.

On perçoit ici sans surprise, comment la charge demeure au cœur des stratégies de subsistance des familles. Mais faut-il voir une corrélation entre cumul de charges et progéniture masculine à installer ? La question peut en effet se poser au regard des familles étudiées (voir Annexe 5). Les familles n’ayant qu’un fils à pourvoir semblent moins enclines au cumul de charges, mais nous nous garderons de tirer des conclusions, l’échantillon étudié ne pouvant à lui seul être suffisamment représentatif.

478 Lhuillier (Théophile), Une actrice du théâtre de madame de Pompadour, Madame Binet de

Marchais, Paris : Noel Charavay, 1903, p. 3. Cite le contrat de mariage chez Chomel, le 15 et 24 avril

1747, entre Gérard Binet fils de Georges-René Binet et Elisabeth-Josèphe de Laborde. 479 A.N., O1 94, f. 235 - 236, 16.IX.1750, brevet de pension.

480 En 1751, l’hôtel particulier de la marquise de Pompadour est érigé par l’architecte Jean Cailleteau sur les terrains cédés.

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La famille Anthoine incarne cependant l’exemple type de l’utilisation de la cumulation des charges et des survivances au service de l’extension du groupe familial. Le premier représentant du nom à obtenir la charge de garçon ordinaire est en effet à l’origine par ses fils de deux branches, l’une qui consacre sa fonction à la charge de garçon ordinaire et l’autre affectée à celle de porte-arquebuse. Cette dernière fonction apportera d’ailleurs la gloire à François Anthoine, tueur de la bête de Gévaudan482.

Il s’agit bien ici d’un exemple de stratégie familiale d’occupation des charges. Comme dans bien des familles, le père cumule plusieurs fonctions puis les cède à ses fils, l’enjeu étant de les établir et de les ancrer à la cour afin de s’enrichir du prestige d’une fonction curiale. Ces stratégies aboutissent à la construction par la continuité dynastique d’un maillage dense, conjugué au cumul de charges et à la survivance.