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2 Les logiques d’accession, pérennisation et évolution à la cour de France

2.2 Stratégies employées et rayonnement des familles pour une continuité à la cour

2.2.1 Les manifestations du bien servir comme conséquences de la bienveillance royale

2.2.1.2 Brevets de gratification et brevets de pension

L’année 1723 voit deux brevets édités au mois de mars en faveur des Basire. Le premier brevet est attribué à Antoine Basire388 mais concerne également sa

383 Mention dans A.N., MC/ET/XXXIII/591, 24.IX.1772 « d'un terrain vague situé à Choisy le roi d’environ 129 toises, de forme carrée ayant face sur le grand chemin en avenue qui conduit de Vitry à Choisy, borné à droite par la rue St Nicolas du Côté de l’orient ». Ce terrain avait été cédé en 2 parties par le roi par brevet du 8 septembre1755 et du 30 septembre1756.

384 A.N., O1 109, f. 186 v°- 187, 08.IX.1765 : « le roy étant à Versailles désirant traiter favorablement le sieur Thomas Filleul concierge de son château de Choisy et luy donner une nouvelle marque de sa bienveillance, sa Majesté luy a accordé et fait don d’une place à bâtir au nouveau village de Choisy (…) ».

385 A.N., O1 100, p. 254-256, op. cit. 386 A.N., O1 100, p. 254-256, op. cit.

387 Certificat mentionné dans Inventaire après décès A.N., MC/ET/CXII/899, 20.II.1813 : « certificat du 31.XII.1779 attribué par Charles-Claude de Flahaut de la Billarderie d'Angiviller, directeur et ordonateur des bâtiments du roi, portant sur la jouissance d'un terrain coté 32, appelé le chantier de l'étendoir, faisant face à l'avenue menant à Villeneuve le roi de 26 toises environ de longs [...] ».

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famille, les fruits récoltés de la qualité de son service rayonnant sur l’ensemble de sa famille.

« Sa majesté a voulu donner à Antoine Basire l’un des garçons de sa chambre, une nouvelle marque de la satisfaction qu’Elle a de ses services, non seulement en augmentant la pension dont il jouit, mais encore en l’assurant après sa mort, sa veuve si elle lui survit, et à ses enfants, à cet effet Sa Majesté à accorder et fait don au dit Antoine Bazire de la somme de huit cent livres de gratification annuelle, Veut et ordonne qu’il en soit payé par chacun an sa vie durant sur ses simples quittances, par les gardes de son Trésor Royal (…) et après son décès à Laurent, Joseph ; Emée, Louise et Catherine Bazire ses enfants (…) ».

Le second brevet389 attribue 500 livres tournois de gratification annuelle « en faveur de … Bazire fils pour survivance de … Bazire son père, l’un des garçons de la Chambre de S. M. ; en considération de ce qu'il fait le service depuis 17 ans sans aucun appointement ». Ce brevet ne précise pas les prénoms mais ne fait aucun doute sur les bénéficiaires en raison des dates d’activités recensées dans d’autres actes. Il s’agit d’Antoine Basire, survivancier dès 1681390, et de son fils Jacques- Antoine, lui-même en survivance en 1706391 et sans rétribution depuis ces longues années, l’usage des survivances étant précisément de conserver aux résignants fonction et émoluments de la charge.

Un dernier cas, évoqué ici en raison de sa particularité, concerne une quittance notariée signée des garçons de la Chambre. Ces derniers reconnaissent avoir reçu de la caisse des Menus-Plaisirs en la personne du premier valet de chambre du roi Pierre Forest, la somme de 10 000 livres en louis d’or. Les garçons ordinaires se partagent ainsi 2 000 livres, l’acte daté de l’année 1643392 nommant

388 A.N., O1 67, p. 183-184, 08.III.1723. Brevet de 800 lt. 389 A.N., O1 67, p. 190, III.1723, brevet de 500 lt.

390 A.N., O1 25, f. 81v, 06.III.1681, survivance.

391 A.N., O1 50, f. 87, 18.VIII.1706, survivance sur la démission d’Antoine Bazire son père.

392 A.N., J//906, pièce n°55, 24.V.1643, Mandement et quittance des cinq garçons de la chambre 10 000 livres ; A.N., J//906, pièce n°56, 13.VI.1643. Testament de Louis XIII, quittance notariée desdits garçons de la chambre : « En la présence des notaires garde note du roy [?] sous signés Charles Dufresny dit Rivière, Jacques Anthoine dit La Plante, Gilles Tourtillière, Jehan Tiffène dit Danobis fils et Jacques Bicourt tous garçons de la chambre du roy, demeurant à Paris ont confessés avoir [eu ?] [?] comptant de Pierre Forest, écuyer, conseiller et premier valet de chambre du roy ayant la charge des Menus Plaisirs de feu Roy dernier [décédé ?] la somme de 10 000 livres en louis d’or doubles et simples [des] deniers [des] dicts Menus Plaisirs qui estoient en mains du dicts Pierre Forest au jour du

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expressément les sieurs Charles du Fresny, dit Rivière ; Jacques Antoine dit Laplante ; Gilles Tourtillière ; Jean Tiffènes dit Danobis fils et Jacques Bicourt.

Cet acte est singulier en raison de sa résonance affective. Les deux mille livres sont en effet allouées par le défunt roi Louis XIII dans son testament « et ce pour les gratiffier en quoy quelle leur a faicte par son état et ordonnance de dernière vollonté du douziesme jour de may dernier qu’elle a signé de sa propre main ». Pour le roi de France, il s’agit donc ici de contribuer une dernière fois au bien-être de ses commensaux en leur alléguant une somme importante, et de surcroît non en monnaie de compte mais en monnaie métallique, garantissant de fait une sécurité pécuniaire. Pour les commensaux, c’est la marque d’une récompense à leur fidélité envers la personne royale, gage d’une considération ouvertement déclarée et qui prend une dimension d’autant plus importante qu’elle est testamentaire.

La bienveillance royale peut également s’estimer avec la distribution des brevets de pensions, distincte de la logique de rétribution ordinaire. Il faut d’ailleurs noter la diversité des usages des brevets de pensions, distribués pour des raisons différentes. On a pu distinguer trois types d’attributions chez les garçons ordinaires. Les brevets sont allégués comme récompense selon la définition de Furetière393, en guise de retraite394 ou d’assurance.

[décès] et sa deffuncte Majesté qui est a chacun desdug les nommés deux mil livres et ce pour les gratiffier en quoy quelle leur a faicte par son état et ordonnance de dernière vollonté du douziesme jour de may dernier qu’elle a signé de sa propre main et faict contresigné par Monseigneur de Bonvilliers seigneur de Chavigny conseiller secrétaire d’Etat et de son commandement et suivant l’ordre donnée au dit sieur sous le vingquatrième jour du mois de may dernier par monseigneur l’éminentissime cardinal Mazarin. Le dit seigneur de Chavigny et le révérend père Denis de la compagnie de Jésus confesseur de sa dicte [?] deffuncte Majesté et pareillement nomméz pour l’exécution du dit estat et ordonnance de dernière vollonté de laquelle somme de 10 000 livres [pour] [les dicts] Rivière Anthoine Tourtillière Tiffènes et Bicourt chacun a son égard le soin [???] pour coutans en quittance [?] le dict sieur Forest et tous [?] fait chez Beauvais l’un des notaires soussigné l’an mil six cent quarante trois le treizième jour de juing et ont signés … ».

393 Furetière, Dictionnaire (…), op. cit., t. 2, PENSION, non paginé : « appointemens que le Roy ou les Princes donnent à ceux qu’ils veulent récompenser, ou gratifier393 », les appointements précise le même auteur se résumant par des « pensions ou gratifications annuelles que le Roy accorde par brevet et pour un temps incertain, & se paye au Trésor Royal ».

394 Laverny (Sophie de), op. cit., p. 190. Le brevet de pension peut aussi être allégué à ce que nous pourrions assimiler aujourd’hui à une retraite. Sophie de Laverny rappelle que « le domestique du roi touche généralement à sa démission » une pension que nous pourrions assimiler aujourd’hui à une retraite. Le brevet de pension est ainsi allégué pour la subsistance du commensal.

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Les brevets de pensions ont été accordés à des âges compris entre 32 ans et 78 ans, la majorité des brevets accordant une somme de 600 livres tournois, et cela toutes périodes confondues. Cette somme semble être le montant médian accordé également pour d’autres charges éminemment plus convoitées395. Pour les deux premiers types, on relève ainsi les cas de Jacques Binet en 1698396, de Jean- Charles Tortillière en 1704397, de François Antoine en 1712398, de Louis-Bertrand Magontier en 1701399 puis de son fils en 1733400 pour les mêmes sommes de 600 livres tournois de pension sur le Trésor royal. Seul Marc-Antoine Balligant de Saint- Quentin ne bénéficie que de 500 livres tournois en 1750401. Un brevet sort néanmoins de l’ordinaire en raison du montant élevé de la somme alléguée. Il s’agit d’un brevet de pension de 1200 lt « en faveur de Laurent Bazire402 garçon ordinaire de la Chambre du roi en considération de ses services ». Bien que non précisée, la somme élevée laisse suggérer une faveur de nature familiale à l’instar d’autres exemples. Laurent Basire était alors âgé de 59 ans en 1693, et on peut aisément supposer l’utilisation du brevet de pension pour assurer la subsistance de son épouse.

Parfois, on accorde en sus du brevet de pension un brevet d’augmentation. La stabilité des gages sur l’ensemble de la période étudiée requiert des ajustements de

395 Cf. Pauline Lemaigre-Gaffier, op. cit., p. 420-421, au sujet de Le Noir de Cindré, intendant des Menus-Plaisirs.

396 A.N., O1 42, f. 247, 01.XII.1698, brevet de 600 lt. de pension en considération de trente ans de service. Date de naissance inconnue à la date du brevet de pension.

397 A.N., O1 48, f. 96v, 12.VI.1704, « Brevet de 600 lt de pension pour Jean-Charles Tortillière garçon de la chambre du Roy ». Est âgé de 32 ans à la date du brevet de pension. Jean-Charles Tortillière s’est marié sept ans auparavant, il ne s’agit donc pas d’un brevet lié à ses fiançailles.

398 A.N., O1 56, f. 185, 22.XI.1712, « brevet de 600 lt de pension en faveur de François Antoine fils garçon de la chambre du Roy ». Est âgé de 66 ans à la date du brevet de pension.

399 A.N., O1 44, f. 527v, 20.X.1701, brevet et ordonnance de 600lt de pension pour Bertrand Magontier garçon ordinaire de la chambre. Est âgé de 49 ans à la date du brevet de pension.

400 A.N., O1 77, f. 28v, 26.II.1733 : « brevet de 600 lt de pension sur le Trésor royal pour Magontier garçon ordinaire de la chambre du Roy ». Est âgé de 44 ans à la date du brevet de pension.

401 A.N., O1 94, f. 90, 29.IV.1750, « brevet de 500 lt de pension en faveur de Marc Antoine Baligant de Saint-Quentin garçon de la chambre du Roy et l’un des écuyers de la bouche de sa Majesté en considération de ses anciens services à commencer du 26 mars ». Est âgé de 76 ans à la date du brevet de pension.

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rémunérations, d’autant plus que les mutations monétaires403 sont régulières ainsi que l’inflation générale. En 1724404, François Antoine reçoit un brevet de 200 livres tournois. Le brevet marque la continuité de service entre le défunt roi et le roi en exercice, dans un même souci de témoignage de satisfaction :

« Sa Majesté s’étant fait représenter le brevet du 22 novembre par lequel le feu Roy auroit acordé à François Antoine le fils l’un des garçons de sa chambre, six cens livres de pension en considération de ses services, sa Majesté voulant aussi lui témoigner la satisfaction qu’Elle a de son zèle et de son assiduité, lui a accordé par augmentation deux cens livres pour avec les dits 600 livres lui faire à l’avenir huit cens livres par chacun an dont sa Majesté veut qu’il jouisse sa vie durant ».

Un troisième type de brevet de pension tient lieu d’assurance. Il peut être attribué au garçon ordinaire et à des membres spécifiques de sa famille, nommés dans le brevet. C’est notamment le cas d’un brevet au montant bien supérieur à la majorité des autres exemples relevés. Le brevet est accordé en faveur de Jean- Charles Tortillière et de ses enfants405 pour la somme de 1 200 livres tournois. Il s’agit pour le sieur Tortillière d’un second brevet, le premier ayant été accordé en 1704. Là encore, cette faveur se justifie par les services rendus par le commensal. Le roi prend alors sous sa protection l’officier et sa famille en accordant une somme payable chaque année, que les héritiers - ici quatre filles - pourront recevoir après le décès de leur père. Ce brevet a ici une fonction charitable, les quatre enfants ayant perdu leur mère Marguerite Thierry, le mois précédent406.

Le brevet de pension peut également prendre la forme d’une assurance, lorsqu’il est accordé aux promises des commensaux. Il s’agit plus précisément de faire passer le brevet accordé au commensal du roi, sur la tête de sa future épouse

403 Cf. Wailly, op. cit., pour les tableaux concernant les variations de la livre tournois.

404 A.N., O1 68, f. 200-201, 20.IV.1724, brevet d’augmentation de 200 lt. Est âgé de 78 ans à la date du brevet de pension.

405 A.N., O1 67, f.175, 02.III.1723, Brevet de 1200 lt de pension en faveur du sieur Tortillière et de ses enfants. « (…) et après son déceds Antoinette-Marie-Madeleine ; Charlotte-Sophie ; Françoise- Adélaïde ; et Françoise-Julie Tortillière ses filles par égale portion, ausquelles Sa Majesté a fait don, voulant qui la part de celles qui viendront à décéder, accroisse et Survivantes, et le tous à celle qui restera la dernière en estre pareillement alors payées suivant les Etats ou Ordonnances qui en seront expédiées (…) ».

406 A.D. des Yvelines, BMS 1080416, 01.II.1723, f. 8v, acte de sépulture de Marguerite Thierry, décédée le jour précédent.

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afin de lui garantir une pension annuelle « sa vie durant ». Le brevet de pension prend ainsi tout son sens dans l’établissement d’un mariage convenable.

Deux exemples illustrent ce mode d’attribution. Le premier cas concerne Jacques-Antoine Basire qui reçoit ainsi en 1742407 l’autorisation de « faire passer la pension de 500 lt. dont il jouit sur la tête de la veuve du sieur Antoine, huissier de la chambre du roi, qu'il veut épouser ». Un second exemple antérieur permet de mieux saisir les conditions d’attribution. Il s’agit du brevet de pension de Jean Antoine qui perçoit en 1719408 un brevet de 950 lt pour Anne Courdoumer. L’acte précise que le feu roi avait accordé en 1705 un brevet de 600 lt de pension à sa seconde épouse, Françoise Berthelot. L’attribution de cette forme de pension est néanmoins soumise à l’usage d’une remise à disposition du commensal en cas de décès de sa conjointe. Précisons également qu’à la date des deux brevets de pension, Jean Antoine n’exerce plus la charge de garçon ordinaire de la Chambre, mais celle de porte- arquebuse du roi. On peut regretter de ne pas avoir retrouvé le brevet de pension de sa première épouse dans les minutes du secrétariat d’État de la Maison du roi afin d’estimer les prix des brevets sur une période comprise entre 1664 et 1719, et de déterminer si les montants accordés sont dépendants des charges exercées.

407 A.N., O1 86, p. 41-42, 26.I.1742, brevet lui permettant de faire passer la pension de 500 l. dont il jouit sur la tête de la veuve du sr Antoine, huissier de la chambre du roi, qu'il veut épouser. Est âgé de 44 ans à la date du brevet de pension.

408 A.N., O1 63, f. 199-200, 10.VIII.1719 : « Aujourd’hui 10 aout 1719, le Roy estant à Paris, Jean Antoine son porte arquebuse luy a tres humblement représenté que le feu Roy luy avoit accordé par brevet du 3 juin 1705 pour Françoise Berthelot qu’il était lors sur le point d’épouser 600 lt de pension à prendre sur celle de 1200 lt quil luy avoit acccordé dès l’année 1688, à la charge que les dites 600 lt retourneroient au dit Antoine en cas de prédeceds de la dite Berthelot, ce qui est arrivé, et comme il a dessein d’épouser Anne Courdoumer a laquelle il désireroit assurer de quoy subsister ce qu’il n’est pas en état de faire, s’il plaist à Sa Majesté d’avoir pour luy en cette occasion la mesme bonté que le feu Roy en lors de mariage avec la ditte Berthelot, a quoy ayant esgard Sa Majesté (…) a déclaré (…) qu’Anne Courdoumer épousant Jean Antoine son porte arquebuze, jouisse sa vie durant de la pension accordée par le feu roy au dit Antoine par brevet du 1er mars 1688, réduite à 960 lt suivant l’article 4 de la déclaration du 13 janvier 1717, et qu’elle en soit payée par chacun an sur ses simples quittances par les gardes de son Trésor Royal ( …) sous les mesme condition de retour au dit Antoine porté au brevet du 3 juin 1705 en cas de prédeceds de la dite Courdoumer (…) ». Est âgé de 77 ans à la date du brevet de pension.

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Hors des soutiens financiers générés par le souverain, une autre sorte de protection se construit, cette fois initiée par la dynamique interne à chaque famille et mise en place par les stratégies matrimoniales.

2.2.2 Des alliances réfléchies garantes d’une stabilité à la cour