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2 Les logiques d’accession, pérennisation et évolution à la cour de France

2.2 Stratégies employées et rayonnement des familles pour une continuité à la cour

2.2.3 Le cumul de charges et la survivance ou l’assurance de perdurer à la cour

2.2.3.2 La survivance, objet de contrôle des offices

La survivance représente l’une des manifestations les plus significatives de ces stratégies d’intégrations à la cour de France. Elle s’exprime comme la reconnaissance de la protection royale. Rappelons en effet qu’elle demeure un « Privilege que le Roy accorde à quelqu'un pour succeder à une charge, ou même pour l'exercer conjointement avec celuy qui en jouït483». L’accès à la survivance est en quelque sorte le couronnement de l’entreprise familiale.

Le roi participe pleinement à cette construction, Charles Loyseau484 rapportant que « lors qu'il se présentoit quelque bon office, quelque belle charge, quelque benefice, ou autre écheoite, qui fust propre aux domestiques, pour eux, ou leurs enfants, ils etoient preferez à tous autres competiteurs ».

482 François Antoine (1695-1771), cf. Yvonne Bezard, op. cit., p.161. 483 Furetière, Dictionnaire (…), op. cit., t. 2, SURVIVANCE, non paginé.

484 Loyseau (Charles), Les Œuvres de Maistre Charles Loyseau, avocat en Parlement. Contenant les

cinq livres du droit des Offices, les traitez des Seigneuries, des Ordres & simples dignitez, du Déguerpissement & Délaissement par Hypothèque, de la Garantie des Rentes, & des Abus des Justices de Village, Lyon, 1701, p. 233.

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Cette remarque est confirmée dans les faits, Sophie de Laverny485 mentionnant l’exemple de Marie Du Bois, valet de chambre du roi, qui rapportait en 1655 dans ses Mémoires la confidence de Louis XIV : « J'ayme mieux me servir des enfants de mes officiers que des autres (...) ».

Mais s’il semble qu’à partir du règne de Louis XIV, la survivance soit inscrite dans une normalité, elle demeure cependant l’objet d’une réflexion tout au long du XVIIe siècle. L’édit de Blois promulgué en mai 1616 et interdisant la transmission de l’office par la survivance en est l’illustration : « Nous déclarons que nous n’entendons donner à l'advenir aucunes survivances, ni réserves d’aucuns estats et offices, charges et dignitez, soit de nostre Couronne ou de nostre maison ou autres (...)486».

La maîtrise de l’accès aux offices est par ailleurs argumentée dans ce même texte par l’accès aux faveurs par le mérite afin « de récompenser la vertu et les mérites » de ceux qui auront fidèlement servi la personne royale. Cet argumentaire s’accompagne d’une légitimité supplémentaire, l’édit étant une réponse aux États- Généraux de 1614 et se présentant comme un « édit de pacification contenant des dispositions générales sur l’administration du royaume ».

Ainsi, les circonstances de la proclamation de cet édit sont posées en préambule, et évoquent un contexte politique fragilisé en raison « des grands maux et calamitez advenues par les troubles et guerres ». L’inscription d’un article sur les survivances487 montre combien la société d’Ancien Régime est en attente des réformes des modes de transmission des offices considérés comme marque de bienfaits de l’état souverain. Elle conditionne également la possibilité pour le pouvoir de réduire le nombre de privilégiés dans le cas d’une non-reconduction de l’office, la diminution du monde domestique pouvant participer au renflouement des caisses de l’état.

Moins de dix ans plus tard en février 1625, Louis XIII réajuste la situation en accordant de nouveau les survivances. Est-ce le signe de l’échec de l’application de

485 Laverny (Sophie de), op. cit., p. 95-96. Cite Marie Dubois, Mémoires, op. cit., p. 266.

486 Laverny(Sophie de), op. cit., p. 96, d’après Isambert, op. cit., article 13 de l'édit de Blois de mai 1616, t. XVI, n° 56, p. 87, édit de pacification contenant des dispositions générales sur l’administration du royaume en conséquence des états de 1614.

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l’édit de 1616 ou bien un réajustement lié aux circonstances politiques et économiques ? L’accès aux survivances reste encore un moyen utilisé par le pouvoir pour contrôler les offices en réduisant le nombre des commensaux488. Plus aucune résignation en survivance n’est acceptée, hors celle de père à fils.

Il semble qu’aux alentours de 1665, les survivances soient de nouveau étendues à d’autres membres de la famille : petit-fils, frère et neveu sont couchés sur l’État en tant que survivancier489.

Cette course au cumul de charges afin de permettre aux familles une implantation à la cour grâce aux survivances permet l’obtention d’emplois à des enfants parfois très jeunes. Partant du principe légiféré que « la survivance se donne du consentement de l’officier »490, la survivance en tant que mode de transmission permet ainsi de former l’enfant à l’esprit d’un service domestique. On voit ainsi Jacques Binet4-3 résigner en 1692 en faveur de son fils Georges-René, alors âgé entre sept et dix ans491. Quelques années plus tard en 1716, Charles-Auguste Tortillière3-4 n’a que cinq ans à la date de sa survivance492.

Mais les transmissions de père à fils s’éteignent parfois. C’est l’objet du point suivant qui concerne les ruptures de transmissions au sein des familles.

487 Outre cet article, on trouve également l’éviction des étrangers des offices de la couronne et des fonctions publiques, et la réattribution des offices et dignités aux officiers pourvus mais ayant été dépossédés. Isambert, op. cit., t. XVI, n°8 et n°9, p. 86.

488 Laverny (Sophie de), op. cit,. p. 96, d’après Pinson de La Martinière (Jean), Estat des officiers Domestiques & Commensaux des Maisons du Roy, de la Reine-Regente, de Monseigneur le duc d'Orleans, de Madame, de Mademoiselle, & de Monseigneur le Prince de Condé. Ensemble un extraict des Privileges et exemptions accordez aux Officiers Domestiques des Maisons Royales, depuis l’an 1288 jusques en 1648, Paris, 2 ed.: 1649 et 1650; « l’article 4 du reglement royal du dernier fevrier, 1625 », pp. 137-142.

489 Voir Annexe 1 : Charles Dufresny en 1665 (petit-fils), Antoine en 1677 (frère), Magontier en 1715 (neveu).

490 Loyseau, op. cit., p. 141-142.

491 Jacques Binet aura successivement trois fils prénommé Georges-René, attesté par les registres

paroissiaux suivants : l’un est né le 09.X.1685 (A.D. des Yvelines, BMS 1168920, 10.X.1685, baptême, Saint-Germain-en-Laye, f. 139) ; un second enfant est né le 26.XII.1686 (A.D. des Yvelines, BMS 1168920, 27.XII.1686, baptême, Saint-Germain-en-Laye, f. 24v) ; un troisième, né le 29 janvier 1688, est le seigneur de Sainte-Preuve qui suit (4-5). La survivance de garçon ordinaire accordée en 1692 a sans doute été attribuée à l’un des frères aînés de Georges-René Binet de Sainte-Preuve, sans que l’on puisse aujourd’hui savoir avec certitude de qui il s’agissait. En 1692, le jeune survivancier avait soit 7 ans soit 10 ans.

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2.2.3.3 Réflexions autour des cas de césures dans les transmissions