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Les familles Tortillière, Anthoine et Dufresny sous le règne de Louis

2 Les logiques d’accession, pérennisation et évolution à la cour de France

2.1 Étude des ascendants : l’accès à la cour

2.1.1 Origines géographiques et sociales des familles

2.1.1.1 Les familles Tortillière, Anthoine et Dufresny sous le règne de Louis

Famille Tortillière

La famille Tortillière, dont le patronyme comprend par ailleurs de nombreuses graphies259, exerce la charge de garçon ordinaire de la Chambre sur quatre générations successives. On ne sait que peu de choses sur cette famille, l’origine du nom étant attestée dans le Bas-Poitou et dans le Loiret, sans preuves directes de liens avec les Tortillière qui nous occupent. Le premier représentant du nom est Gilles Tortillière que nous savons actif dès l’année 1640. Il est en effet nommé avec le titre de sa charge, lors d’un règlement de procès260. L’acte précise également son lieu de résidence situé à Neauphle-le-Viel, qui à l’époque est encore placé sous domaine royal261. En 1676, Gilles Tortillière semble partager sa vie entre Neauphle et la rue Champfleury à Paris, paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois262, mais sa résidence principale est bien Neauphle-le-Vieil comme l’atteste son acte de décès

259 Coutellier (Z/1a/487, f. 145-146, année 1664) ; Tourtillier (Z/1a/487, f. 147, année 1677) ; Tortilliere (Z/1a/487, f. 149-150, pour suppléer aux années 1681-1682). Les États de la France des années 1663

1665 1669 consignent le patronyme La Tortillière avant d’adopter celui de La Tourtillière en 1677, puis La Tourtillière en 1682. Enfin, entre 1686 et 1736, ce sont les La Tourtelière qui apparaissent dans ces mêmes États, avant d’apparaître en 1749 sous la graphie la Tortelière. C’est cependant la forme Tortillière qui est retenue dans le mémoire en raison des signatures des actes par les intéressés. 260 A.N., MC/ET/XXXIX/72, f. 237, 26.IX.1640, transaction pour régler un procès : « Transaction entre Nicolas Quillet, prêtre demeurant au Collégiale de Bayeux, rue de la Harpe, paroisse Saint-Séverin, ayant les droits des héritiers de Isaac Montinyt, prêtre, chapelain de Saint-Jacques de l'Hôpital, et Gilles Tourteliere, garçon ordinaire de la chambre du roi donataire des biens de Nicolas Laurent demeurant à Neaufle le Vieil près Montfort Lamaury pour régler un procès [le dit Nicolas Quillet prétendait qu'une somme de 2600 livres avait été signé par le déffunt Montinyt au dit Laurent Niveau, (...) il auroit fait appel au prévost des marchands ».

261 Pénicaut, Emmanuel, Faveur et pouvoir au tournant du grand siècle : Michel Chamillart, ministre et

secrétaire d’État de la guerre de Louis XIV, Paris : Champion, Genève : Droz, 2004, p. 74-75, note

96 : « Le 20 mai 1693 (...), Le contrôleur général Ponchartrain avait échangé avec le roi sa terre de Marly contre la seigneurie de Neauphle-le-Château, qui jouxtait le comté de Pontchartrain ». Les terres de Neauphle-le-Vieil étaient réunies à celle de Neauphle-le-Château.

262 A.N., Y//231, f. 314, 24.I.1676, notice n° 374, « Gilles Tourtillière, garçon de Chambre du Roi, demeurant ordinairement à Neauphle-le-Vieux262, près Montfort l'Amaury, actuellement logé à Paris, rue Champfleury, paroisse Saint-Germain l'Auxerrois : donation sous certaines conditions à Henri Charles, sieur du Boullay de moitié des sommes qu'il pourra lui faire rentrer dans ce qui lui est dû par les sieurs Chassepoux, père et fils ».

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en novembre 1684263. Gilles Tortillière prend part au service notamment avec le sieur Anthoine.

Famille Anthoine

Jacques Anthoine apparaît dans les actes aux alentours de 1643264, et exerce sa fonction jusqu’en 1677265, date de son décès. Il est ainsi le premier représentant d’une longue lignée à la tête de la charge de garçon ordinaire qui perdure durant cinq générations jusqu’en 1767, couvrant ainsi cent vingt-quatre années de service auprès du roi. Son prénom n’est pas certifié, les Étatsde la France le gratifiant du prénom Jean266 tandis qu’Yvonne Bezard le présente sous le prénom Jacques267. Ce sont d’ailleurs les travaux d’Y. Bezard, qui portent sur la charge de porte- arquebuse que la famille Anthoine exerçait par ailleurs, qui vont nous éclairer sur les origines paysannes de cette famille.

« " Né au lieu de la Lobe, dit Mazarin, situé près de l'abbaye de Ligny, à une lieue de Rethel " (…), [Jacques Anthoine] avait su s'introduire auprès du royal enfant et conquérir les faveurs du maître, qui le garda auprès de lui jusqu'à son dernier jour. (…). Ses descendants, qui établirent plus tard leur généalogie, disent seulement qu'il s'attira " la bienveillance de Louis XIII, dès l'enfance de ce roi, qui lui a fait plusieurs bienfaits de temps en temps, savoir la charge de garçon de la Chambre de Sa Majesté et ensuite celle des chiens de la Chambre de ce roi. Par ces deux charges, assidument auprès de Louis XIII, il a toujours servi Sa Majesté, tant en dedans qu'au dehors du royaume, tant à la guerre qu'au mariage de ce roi "268».

263 A.D. des Yvelines, BMS 1MIEC141, 01.XI.1684, acte de sépulture avec mention du décès le 30.X.1684, à Neauphe-le-Vieil près Montfort l’Amaury.

264A.N., J//906, Pièce n°56, 13 juin 1643. Quittance notariée.

265 Jacques Anthoine est mentionné dans les comptes de la cour des aides pour l’année 1677 (A.N.,Z/1a/486, f. 147, Jacques Antoine et Jean Antoine son fils en survivance). Yvette Bezard pensait qu’il avait démissionné en 1650 au profit de Jean ANTOINE, son fils aîné (Revue de l’Histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, Bezard (Yvonne), op. cit., p.145, fas.2.). Cette apparente contradiction peut néanmoins s’expliquer si la démission s’entend par une survivance, Jacques Anthoine étant dès lors, toujours en activité en 1650.

266 Le prénom Jean est mentionné dans N. [Besongne Nicolas], Les États de la France, chez Pierre Trabouillet, Paris, 1677, p. 102. : « Le sieur Jean Antoine et son fils à survivance ».

267 Bezard (Yvonne), Les Porte-Arquebuse du Roi, dans Revue de l’Histoire de Versailles et de Seine-

et-Oise, Versailles : Dubois, 1924, p.142-174, fasc. 2.

268 Bezard, op. cit. L’historienne a recueilli les informations de Lucien Trinquand descendant des Anthoine : « Les citations sans référence sont tirées des papiers de M. Lucien Trinquand », sans

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Famille Dufresny

La famille Dufresny apparaît sous le règne de Louis XIII et étonne en raison du parcours de l’un des siens, auteur dramatique et personnage haut en couleur dont l’effronterie plaisante se détache de ses homologues. Cette famille occupe par ailleurs la charge de garçon ordinaire pendant une durée de cinquante-quatre ans, sur trois générations, entre 1627 et 1681. Son premier représentant à la tête de la charge est Charles Du Fresny, né vers 1602269 que l’on sait actif en sa fonction entre 1627270 et juin 1672271, date de sa mort. Son père s’appelle Daniel Du Fresny272 et est marchand demeurant à Loudun lorsqu’il marie son fils Charles Du Fresny en 1627. Sa mère se nomme Jeanne Naveau, sans autre précision de sa qualité.

François Moureau273 dans sa thèse consacrée à Dufresny, homme de lettres et petit-fils du personnage dont nous parlons, rappelle le mythe des origines de cette famille. Selon la tradition le jeune Charles serait le fruit des amours du roi Henri IV et d’une jardinière d’Anet. Cette assertion est rapportée dans les mémoires274 du cardinal Dubois qui, en 1714 rapporte un badinage entre le roi Louis XIV et le petit- fils de Dufresny :

« Henri IV, bon roi, assez peu regardant quand il s'agissait d'une femme, fût-elle vachère ou duchesse, coucha tout rustiquement avec une jardinière d'Anet : voilà comment Dufresny se trouva petit-fils de Henri IV, et Louis XIV ne doutait pas de cette origine : " Mon beau cousin, lui disait-il en sa jeunesse, vous aimez le jeu, le vin et les femmes (…) ". Dufresny portait sur sa face de véritables

doute le descendant de Denis-Nicolas Trinquand, huissier de la chambre du roi qui épousa le 23 février 1767 Élisabeth Marie Anthoine.

269 Date avancée en fonction du calcul de la majorité de Charles Du Fresny au moment de son mariage en 1627. Voir la démonstration de Moureau (François), Dufresny, auteur dramatique (1657-

1724), Klincksieck, Paris, 1979, p.15.

270 En activité le 11 juin 1627 (A.N., Y//167 - fol. 148, Notice n° 6845, 11.VI.1627, contrat de mariage, registres des insinuations (28 juin 1622-11 mars 1628).

271 Jal (Auguste), Dictionnaire critique de biographie et d'histoire : errata et supplément pour tous les

dictionnaires historiques (...), 2e édition corrigée et augmentée d'articles nouveaux, Paris, 1872,

p. 515. Auguste Jal avait consulté les registres paroissiaux de la paroisse Saint-Paul pour avancer la date de décès de Dufresny le 20 juin de l’année 1672.

272 A.N., MC/ET/LI/482, 11.VI.1627, Mariage de Charles Du Fresny, garçon ordinaire de la chambre et Françoise Paris.

273 François Moureau, Dufresny, auteur dramatique (1657-1724), Kliincksieck, Paris, 1979, p. 13-14. 274 Mémoire du Cardinal Dubois sur la ville, la cour et les salons de Paris sous la Régence, illustrés

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armoiries, c'est à dire le grand nez bourbonien de Henri IV ; ses yeux et son sourire étaient de famille, et il ne lui manquait que la barbe pour compléter la ressemblance ».

Sans pouvoir réellement attester des origines de Dufresny, les Mémoires de Dubois rappellent la familiarité bienveillante des échanges entre Louis XIV et notre personnage, que l’on peut expliquer tant par l’amusement de l’ascendance présumée que par le jeu complexe nourri par l’intérêt porté à une famille au service de la cour et celui dû à l’originalité d’un individu.

L’usage de cette filiation est par ailleurs largement véhiculé par de nombreux auteurs jusqu’au XIXe siècle275. François Moureau276 cite une lettre de la princesse Palatine datée du 6 mars 1721 mais aussi les commentaires de Charles d’Alençon277 en 1731. On peut ajouter également La partie de chasse de Henri IV278, comédie en

trois actes composée par Charles Collé en 1774, dans laquelle la scène XI de l'acte III reprend cette tradition :

« C'est dans Anet que l'on voit La belle jardinière Qu'un grand prince, à ce qu'on croit, Aime d'une manière Qu'avant deux ou trois mois, l'on prévoit Qu'elle deviendra mère ».

Dans un article ancien daté de 1921, Émile Magne279 faisait un compte-rendu de la publication de Jean Vic280 dans lequel celui-ci doutait de la filiation royale en raison du manque d’aisance de Charles Dufresny lors de son mariage avec Françoise Paris, conforté par le faible montant de la dot alléguée à sa future épouse.

275 Caraman, (Adolphe Riquet, comte de), Anet, son passé, son état actuel : notice historique sur les

personnages qui ont illustré son séjour (...), Paris : Benjamin Duprat, 1860, p. 120 : « Au nombre des

habitués du château d'Anet, du temps du duc de Vendôme, nous citerons encore Dufresny qui était né avec le goût des beaux-arts, qu'il cultivait avec succès dans toutes leurs branches. Fils d'une jarduinière d'Anet, il passait pour être le petit-fils de Henri IV, auquel il ressemblait ».

276 Moureau, op. cit., p. 14. L’auteur fait référence à la Correspondance de Madame, duchesse

d’Orléans. Trad. Par E. Jaeglé, Paris, 1890, t. III, p. 94.

277 Alençon (Charles), Avertissement, dans Dufresny, Œuvres, Paris, 1731, t. I, pp. 10-11.

278 Janin (Jules-Gabriel), Chefs-d’œuvre dramatiques du XVIIIe siècle ou Choix des pièces les plus

remarquables de Regnard, Lesage, Destouches, Beaumarchais, Marivaux, etc (...), Paris, 1872, p.

536. Une note précise que le grand-père de Dufresny était fils de la belle jardinière d'Anet et de HenriIV.

279 Magne (Émile), « Revue de la quinzaine », dans le Mercure de France : série moderne, juillet 1921, t. 149, n°554, p.435. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k201893c/f157.image.r=FRESNY

280 Vic (Jean), Charles Dufresny : amusements sérieux et comiques, Introduction et notes de Jean Vic, édit. Bossard.

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Le document mentionne une dot de 500 livres281. Ce contrat de mariage est passé par ailleurs en présence d’officiers du roi, membre de la Maison du roi et d’officiers de justice. On y trouve ainsi les noms et qualités de Charles Guillemeau, conseiller du Roi, et premier chirurgien de Sa Majesté et de Jacques Perreau, docteur régent en la faculté de médecine à Paris, qui se trouve être pour ce dernier, le beau-frère de la future épouse par son mariage avec sa sœur Marie Paris. La belle famille de l’époux se complète par Étienne Pierret, postulant à la charge de procureur, également beau-frère de Françoise Paris par son mariage avec sa sœur Charlotte. François Moureau282 note que Guillemeau est d'origine poitevine comme les Dufresny, originaires de Loudun.

2.1.1.2 Les familles Basire, Binet, Saint-Quentin et Magontier sous le