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D U LIEN TECHNOLOGIQUE AU LIEN SOCIAL

1.3 Appropriation sociale des TIC

1.2.2 Interactivité des machines numériques

1.2.2.2 Les propriétés de l’œuvre ouverte

Eco (1965) définit les propriétés de l’ouverture d’une œuvre d’art comme suit :

« L’ouverture est basée sur une collaboration sensible et mentale du lecteur qui doit interpréter librement un fait esthétique déjà or-ganisé et doué d’une structure donnée (même si cette structure doit permettre une infinité d’interprétations). (Eco, 1965, page 15-40) »

L’attention à cette forme générale de « l’ouverture» apparaît claire-ment dans les œuvres d’art (Eco, Payerson7). On la retrouve également

7

Pour Pareyson (1992, page 204),« L’œuvre d’art (...) est une forme, c’est-à-dire un mouvement arrivé à sa conclusion : en quelque sorte, un infini inclus dans le fini. Sa to-talité résulte de sa conclusion et doit donc être considérée non comme la fermeture d’une réalité statique et immobile, mais comme l’ouverture d’un infini qui s’est rassemblé dans une forme. Les innombrables points de vue des interprètes et les innombrables aspects de l’œuvre se répondent, se rencontrent et s’éclairent mutuellement, en sorte que

l’in-dans la méthodologie critique de Barthes concernant la lecture d’un texte :

« Cette disponibilité n’est pas une vertu mineure ; elle est bien au contraire l’être même de la littérature, porté à son paroxysme. Ecrire, c’est ébranler le sens du monde, y disposer une interrogation indi-recte, à laquelle l’écrivain, par un dernier suspense, s’abstient de ré-pondre. La réponse, c’est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté mais comme histoire, langage et liberté changent infiniment, la réponse du monde à l’écrivain est infi-nie : on ne cesse jamais de répondre à ce qui a été écrit hors de toute ré-ponse : affirmés, puis mis en rivalité, puis remplacés, les sens passent, la question demeure... Mais pour que le jeu s’accomplisse (...) il faut respecter certaines règles : il faut d’une part que l’œuvre soit vraiment une forme, qu’elle désigne vraiment un sens tremblé, et non un sens fermé... (Avant-propos à Sur Racine, Paris, Seuil, 1963). »

Le principe de « l’œuvre ouverte » transforme ce qui n’était que faculté mentale chez Duchamp8, Eco (1965), Payerson (1992) (c’est le spectateur qui fait le tableau) en une faculté physique, fonctionnelle, avec l’interactivité numérique.

Le défaut d’interactivité de certaines œuvres (de type pictural) invite à un rapport traditionnel entre le spectateur et l’œuvre c’est-à-dire la pas-sivité, l’inaction (au sens physique du terme) du visiteur face à l’œuvre. Tandis que l’interactivité de certaines œuvres offre à l’utilisateur un accès à de nombreux et divers contenus et la possibilité, prévue et conçue par le

terprète doit, pour révéler l’œuvre dans son intégralité, la saisir sous l’un de ses aspects particuliers, et qu’inversement un aspect particulier de l’œuvre doit attendre l’interprète susceptible de le capter et de donner ainsi de l’intégralité une vision renouvelée».

8Marcel Duchamp (1887-1968) s’interroge de façon radicale l’identité de l’artiste et de l’œuvre d’art.

créateur, d’interférer sur le déroulement de l’œuvre. Ce dernier peut non seulement influer sur l’ordre des séquences mais aussi déclencher un évé-nement parmi d’autres dans un environévé-nement prédéterminé. Pour Cou-chot et Hillaire (2004) la technologie qui rend possible l’œuvre multimédia – le numérique - diffère fondamentalement des techniques de figuration traditionnelles de par son éventuelle interactivité. L’œuvre multimédia9a une potentialité qui lui permet d’aller plus loin que les œuvres tradition-nelles car, comme nous l’avons précisé, elle peut être soumise aux modi-fications, à la participation des visiteurs ou des utilisateurs. L’utilisateur est invité par le créateur à apporter sa touche personnelle à l’œuvre par exemple en modifiant certains éléments de la composition.

L’approche artistique s’est penchée depuis longtemps sur la remise en question de la supériorité revendiquée des intentions de l’artiste sur ses outils. La place de la technique dans le champ artistique a été de tout temps discutée (Couchot, 2004, page 19). Pour certains, les instruments utilisés sont accessoires, artefacts qui ne sauraient influencer les intuitions et les intentions supérieures de l’artiste. Pour Heidegger notamment, « la technique moderne » (à ne pas confondre avec la techné des grecs) est une menace pour l’homme « au plus intime de son essence » ; elle fait obstacle à « l’être là » (entendons à l’existence de l’homme et à son destin). Or, dans les périodes d’évolutions accélérées par la technologie, les artistes tentent de donner un sens aux outils, à partir des pratiques héritées.

9L’œuvre multimédia est caractérisée par la variété et la multiplicité des supports pour une seule et même création. Dans une acceptation plus récente, le terme multimédia s’en-tend non plus comme une multiplicité de supports mais plutôt comme celle des contenus rendus possibles grâce à la numérisation des informations. Il est alors souvent utilisé dans le langage courant comme un nom commun, synonyme de numérique. Voir la définition de l’oeuvre multimédia proposée dans la section1.2.3.4.

Aujourd’hui, Couchot et Hillaire analysent le rapport de l’art et des nouvelles technologies en ces termes :

« Entre création et diffusion, entre message et médium, il y va aujourd’hui d’un autre rapport, rendu plus évident encore par le fait que l’ordinateur est une machine de feed-back qui rétroagit sur l’ima-gination technique de l’artiste et ouvre à celle-ci des possibilités in-soupçonnées au départ de l’artiste lui-même. Ces interactions entre cerveau humain et le système informatique contribuent à lever la vieille opposition entre l’idée et la technique, celle-ci devenant à son tour, avec les technologies numériques, cosa mentale, ou machine de pensée. En ce sens, les technologies numériques constituent bien une rupture dans la vieille notion de technique, toujours très vivace dans notre vision de l’art, fondée sur le découplage de la fin et des moyens. (Couchot & Hillaire, 2003, page 20) »

Un changement de médium, de transmission, de conditions de récep-tion changerait la nature de l’œuvre10. Elle deviendrait même collective dans le cas du web art (voir section 1.2.3.4). Dans le web art, la création est ici tributaire des instruments qui lui donnent forme et sens. Les logi-ciels de dessin passent alors rapidement du statut « outil objet » au statut instrument. Les potentialités du réseau (connexion simultanée, circulation

10Cependant, les relations de l’art et de la technique posent de nombreuses questions (Couchot & Hillaire, 2003, page 35) : tandis que les frontières de la technique ne cessent de reculer, les frontières de l’art, elles aussi, semblent de plus en plus difficile à saisir. Le sens même de l’œuvre change : elle n’est plus candidate à l’éternité des chefs d’œuvre, mais soumise aux contingences du temps réel, à l’éphémère. Malraux avait déjà idée d’un musée imaginaire, reconnaissant au principe de la métamorphose le principe même de l’œuvre d’art. La « révolution numérique » s’inscrirait alors dans une continuité des mouvements artistiques avant garde et architecturaux du XXe Siècle. Le propre de l’art contemporain est de mettre l’art à la disposition de tous, en témoignent les « cadavres exquis » des surréalistes, les écoles artistiques comme le Bauhaus, les ateliers d’écriture de Ricardo Monserrat.

ininterrompue de messages écrits, navigation hypertextuelle et interacti-vité, transferts des documents sur un mode synchronique, association du texte au son, recherche indexée à des moteurs surpuissants etc.) font que le web art se distingue des autres disciplines. Il est très souvent évolu-tif, c’est-à-dire qu’il est toujours possible d’y apporter des modifications et des compléments. Entre le happening et l’art éphémère, ces œuvres se veulent plurielles et multiculturelles, basées sur le principe de proximité à distance, d’échange des informations, de coopération et de solidarité. Le web art réalise techniquement la participation du spectateur ou du co-auteur. Sans le co-auteur, l’œuvre demeure pure potentialité, ni morte, ni vivante, juste dans l’attente de son actualisation.

La parenthèse sur l’approche artistique se referme. Dans notre contexte, cela signifie que l’interactivité offre les moyens fonctionnels à l’utilisateur ou à l’apprenant de rétroagir sur le programme informatique et de compo-ser son « œuvre », parmi les hyperliens à disposition sur le réseau infor-matique. Étudions les potentialités de la navigation hypertextuelle dans un contexte éducatif.