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U N CADRE CONCEPTUEL DIALOGIQUE

3.3 Vers une communauté apprenante

3.2.1 Actualisation de la puissance créative

3.2.1.1 Œuvre

Dans le dictionnaire Littré, Œuvre se définit comme le résultat sensible (être, objet, système) d’une action ou d’une série d’actions orientées vers une fin ; ce qui existe du fait d’une création, d’une production. C’est aussi un ensemble organisé de signes et de matériaux propres à un art, mis en forme par l’esprit créateur.

« De tous les actes, le plus complet est celui de construire. Une œuvre demande l’amour, la médiation, l’obéissance à ta plus belle pen-sée, l’invention de lois par ton âme, et bien d’autres choses qu’elle tire

merveilleusement de toi-même, qui ne soupçonnais pas de les possé-der. Cette œuvre découle du plus intime de ta vie, et cependant, elle ne se confond pas avec toi (Valéry, 1970, page 120). »

Une œuvre est ainsi une création intellectuelle intime susceptible d’être reproduite sur un support matériel.

Pour les juristes, la doctrine, dés le début du siècle dernier, a posé comme condition la matérialisation de l’œuvre, condition depuis reprise par la jurisprudence. Pour qu’une création devienne une œuvre, il faut qu’elle remplisse une seconde condition. Il s’agit de son originalité.

« Par originalité, il ne faut pas entendre ni inventivité, ni nou-veauté mais plutôt effort créatif. Sera considérée comme originale se-lon notre système juridique de droit civil une œuvre empreinte de la personnalité de son auteur. C’est l’existence de cette empreinte qui fait que l’auteur bénéficie sur son œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit exclusif d’exploitation. Valleteau de Moulliac, 2004 »

En utilisant le terme « œuvre », nous pensons immédiatement aux œuvres picturales, littéraires, musicales et autres productions artistiques. Tout comme Meyerson (1995), l’usage que nous faisons de ce terme renvoie de façon beaucoup plus large à toute réalisation humaine, tout résultat d’un travail, tout produit d’une activité qu’un sujet peut accomplir. Nous employons la notion de Faire œuvre pour signifier, cette fois-ci, le processus à l’œuvre.

3.2.1.2 Faire Œuvre

Si l’œuvre est la matérialisation de l’élan créatif ou du pouvoir de créa-tion sur un support, Faire œuvre peut être entendu comme la présence de cette puissance de créer qui est propre à l’individu. Il s’agit du processus

de création. Ce processus est d’ailleurs défini, par le dictionnaire Littré, comme l’action de donner l’existence, de tirer du néant ou action de faire, d’organiser une chose qui n’existait pas encore. Il faut coïncider avec l’acte créateur simple qui se donne, par le mouvement même de son effectua-tion, les moyens de sa réalisation.

« On comprendra alors que l’œuvre d’un grand peintre n’est pas un travail de mosaïque, laborieusement composé, morceau par mor-ceau (nous serions dans l’hypothèse mécaniste), mais une intention réussie que l’œil n’est pas un puzzle infiniment complexe, mais l’in-tention de voir se donnant l’organe de la vision. (Merleau-Ponty, 1964, page 7) »

Il s’agirait ainsi d’un processus individuel guidé par « l’intention réus-sie » (Merleau Ponty, op. cit.). Dans le domaine de l’Education, Donnay (1999) a employé la notion de Faire œuvre pour rendre compte des aspects émotionnels et affectifs liés à la conception et la création par les élèves d’un travail qui est le leur. La créativité, mot diffusé en 1946 par Debesse, de l’anglais « creativity », pourrait alors être une des conditions du Faire œuvre. Levy (1997) propose l’apprentissage comme processus de produc-tion de sens. Il se rapproche ainsi du concept du Faire œuvre. La mise en œuvre effective d’un savoir serait cette productivité sémiotique (virtuali-sation / actuali(virtuali-sation) qui est alimentée par les affects. Le sujet affectif se déploie hors de l’espace physique. Il se met hors là ; l’affect prend sens et s’actualise en « petite création, résolution de problème inventive » (Lévy, 1998, page 56).

Selon cette logique, dès qu’un acte créatif est produit, il y a virtualisa-tion puis actualisavirtualisa-tion des connaissances bien réelles chez l’apprenant.

Pestalozzi (1797) a employé la notion de Faire « œuvre par soi-même » dès la fin du XVIIIesiècle pour fonder sa doctrine en Suisse appelé « An-schauung » traduite comme « observation concrète » ou « perception des sens » par Kilpatrick (1951). Une des lois principales3qu’il a établi dans sa pédagogie centrée sur l’activité de l’enfant est la suivante : « La simplifica-tion élémentaire. Il faut retourner vers des éléments simples, aller jusque la racine, où elles ne contiennent rien d’étranger à l’intéressé, où il peut

« Faire œuvre de soi-même ».

Mais il pourrait également s’agir d’un processus initié par l’extérieur, l’autre, les médias. En effet, pour Meyerson (1995), cette intention,Faire œuvre, se réalise également à travers l’étude de l’environnement. Ce serait en partant de l’étude de l’effet de l’action humaine sur le monde, arte-facts continûment fabriqués et institutions incessamment élaborées, que l’on pourrait « atteindre » les fonctions psychologiques des œuvres.

« Les actes de l’homme ne sont pas seulement liés à ses propres actes et à ses propres états et acquisitions. Ils sont liés, toujours, à ceux des autres hommes selon une multitude de systèmes. (Meyerson, 1995, page 17) »

En fait, l’inscription de la conduite humaine dans le monde est profon-dément duale :

3Kilpatrick (1951, page 2) propose une traduction des autres lois de Pestalozzi comme étant les suivantes : La loi de l’induction (il faut partir de l’individu pour suivre le déve-loppement de sa force, sa dynamique depuis son origine) ; La loi de l’accomplissement achevé (il faut veiller à ce que la force atteigne son plein développement à chaque stade) ; La loi de la proximité (la force doit trouver à s’alimenter naturellement dans son envi-ronnement immédiat, l’apprenant doit avoir la possibilité d’y faire des expériences sen-sibles.) ; La loi de l’activité (la force ne se manifeste qu’à travers la mise en œuvre, la seule parole qui vaille est elle-même action pour se mettre en route car cette activité porte en elle une dimension d’accomplissement de soi) ; La loi de la reprise autonome (l’être hu-main doit avoir l’espace nécessaire pour aller à son propre chemin.

« En solidarité et en réciprocité, l’homme est continûment trans-formé par son action sur le milieu physique et sur le milieu social ; non simple façonnement de l’esprit par le milieu, mais va-et-vient répété et croisé, avec des points de plus ou moins grande stabilité. Esprit et milieu se façonnent ensemble ; à un environnement autre correspond un esprit quelque peu différent. (Meyerson, 1987, page 89) »

Cette insistance sur la mise en œuvre (au sens de mettre-en-œuvre) est continuellement travaillée comme rapport du sujet au monde.

« Ce qui se traduit dans les notions de travail, d’expérience, d’œuvre, c’est donc la participation de l’homme au milieu physique et social, avec tout ce que cette participation implique d’actions réciproques, et la construction par lui d’un monde, de mondes humains, mondes médiats : sa création. (Meyerson, 1987, page 70) »

Cette projection de l’intérieur vers l’extérieur est définie par Meyer-son comme une objectivation ; une activité d’objectivation plus précisé-ment caractérisée comme « tendance qu’a la pensée à extérioriser ses créa-tions, ou plus exactement à les considérer comme des réalités extérieures » (Meyerson, 1995, page 31). Le parallèle entre actualisation des apprentis-sages et actualisation du pouvoir de création semble ainsi pertinent, no-tamment dans le transfert des apprentissages à travers un processus de subjectivation et d’objectivation. L’approche du Faire œuvre semble ainsi dialogique. Nous la définissons comme une démarche individuelle cen-trée sur l’autonomie, l’action, qui se situe en proximité immédiate avec son environnement, le monde sensible composé des autres, des machines à interfaces sensibles, des signes en émergence, que ce soit dans le monde réel ou dans le monde virtuel.

« L’éducation, dans la vision courante, consiste à essayer de rendre l’enfant conforme au type d’adulte de la société à laquelle il appar-tient. Tandis que pour moi, l’éducation consiste à faire des créateurs, même s’il n’y en a pas beaucoup, même si les créations de l’un sont li-mitées par rapport à celles de l’autre. Mais il faut faire des inventeurs, des novateurs, pas des conformistes. (Bringuier, 1977, page 195) »

Nous proposons, dans la section suivante, une approche centrée sur la démarche individuelle de l’apprentissage afin d’en améliorer notre com-préhension -étant aussi fondamentale qu’une démarche collective. Les cher-cheurs en Sciences de l’Éducation et en Sciences cognitives nous invitent à éclairer quelques mécanismes de cet apprentissage introspectif sous l’angle des processus de construction de connaissances.