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D U LIEN TECHNOLOGIQUE AU LIEN SOCIAL

1.3 Appropriation sociale des TIC

1.3.2 Structures sociales émergentes

1.3.2.5 Les communautés d’apprenants

La communauté d’apprenants existe dans un contexte éducatif (Laffe-rière, 2000 et 2006 ; Henri et Pudelko, 2006 ; Bothorel et Marquois, 2006). Elle est formée par des élèves de la même classe ou d’une même année. Elle n’est pas pérenne puisqu’elle suit la durée d’un cours, d’un projet pédagogique ou d’une année (Henri et Pudelko, 2006, page 115). La créa-tion de la communauté naît de l’intencréa-tion d’un enseignant de favoriser l’apprentissage par l’action, les projets collaboratifs ou toute pédagogie favorisant le processus de participation de l’élève (débats, conflits socio-cognitifs identifiés dans la section 3.3.1). De cet élément apparaît tout le paradoxe des communautés d’apprenants.

Elle ne peut être confondue avec les autres communautés, comme le souligne Henri et Pudelko (2006) car elle répond à des objectifs pédago-giques bien définis dans les programmes scolaires officiels. Elle est créée artificiellement par l’enseignant dans un but didactique.

D’où sa spécificité par rapport aux autres communautés : elle se doit d’émerger d’elle-même (être auto-organisée comme toutes les autres com-munautés), or, elle est intentionnellement créée par l’enseignant. Elle est un artefact31. La période d’activité ainsi que la nature des tâches péda-gogiques sont prédéterminées par le concepteur du cours donc selon sa propre logique. Les membres ne sont pas « recrutés » par les pairs. De nombreuses caractéristiques des communautés en ligne ne sont donc pas applicables aux communautés d’apprenants. Peut-on d’ailleurs parler de communauté ? Ou comment faire émerger une communauté d’apprenants

31Le dispositif de formation en tant qu’artefact doit favoriser la création de situations d’apprentissage de façon intuitive. Ceci n’est pas sans rappeler les caractéristiques du lien technologique, artefact et intuitif évoqué dans la section1.2.

dans un contexte éducatif composé de contraintes (dates, tâches, membres etc.) ? A quelles conditions ce contexte peut être le plus authentique pos-sible pour faire émerger la communauté entre élèves qui se doit d’être auto-organisée ?

Cela pose la question du rôle de l’enseignant-tuteur. Jusqu’où doit-il ré-organiser le contexte éducatif et son dispositif d’enseignement ? S’il fixe trop de règles, elles risquent de ne pas laisser libre cours à la créativité des élèves, et s’il n’en donne pas assez, les élèves risquent de ne pas com-prendre les tâches et de ne rien apcom-prendre.

En d’autres termes, comment organiser le passage d’un réseau social à une communauté d’apprenants, de la façon la moins artificielle possible ?

Une autre question vient complexifier les propos. Celle de l’évaluation. Pour favoriser la construction identitaire d’une communauté, nous avons identifié que les membres doivent participer, partager des valeurs dans un lieu « virtuel » bien concret (répertoire ou application partagé (voir la sec-tion 1.3.2.4)). Par contre, nous pouvons nous interroger sur l’observation des membres qui consultent les répertoires ou applications partagés, mais qui n’y contribuent pas forçément (les communications peuvent se dérou-ler par téléphone, chat etc.). La difficulté pour l’enseignant est de prendre en compte ces communications non formalisées dans le cadre d’un cours. Le paradoxe réside dans le fait que ce sont souvent ces liens informels forts en négociation de sens et chargés d’affects qui sont constitutifs de l’émer-gence d’une micro-culture (Audran et Daele, 2006). Comment gérer ces interactions ? Doivent-elles être contrôlées, encouragées ou encore répri-mandées dans un cours en ligne ? L’évaluation des communautés d’appre-nants est ainsi complexe. Faut-il chercher à évaluer la participation de

ce-lui qui n’est qu’un « observateur » ? Le problème est accentué par la mise à distance. Si dans une classe, un enseignant peut interpeller un élève, à distance en revanche, il n’a aucun moyen de vérifier sa contribution si elle n’est pas écrite (tout au plus, l’enseignant peut trouver des statistiques de connexion aux différents outils). Comment optimiser la participation

« spontanée et intentionnelle » des élèves pour faire émerger la commu-nauté ?

Pour favoriser une communauté virtuelle d’apprenant, Bothorel et Mar-quois proposent des critères pratiques d’émergence de communauté d’ap-prenants (2006, page 6).

Il est nécessaire de :

– Pouvoir se situer par rapport aux autres apprenants (avancée dans le parcours de formation)

– Recréer les caractéristiques d’une classe en présentiel (promiscuité) – Réduire le sentiment d’isolement

– Résoudre des problèmes techniques liés à l’utilisation d’outils et de services via Internet

– Se motiver

– Consolider l’apprentissage

– Partager les connaissances et les compétences

– Se réunir pour être reconnu de l’organisme de formations (institu-tionnalisation, souci de visibilité, de reconnaissance)

– Devenir une promotion d’étudiants – Travailler en groupe.

Ces caractéristiques semblent pourtant génériques. Allons-nous pou-voir être plus précis suite à l’analyse de notre étude du terrain ?

1.4 Synthèse

Nous pouvons considérer le lien électronique comme un lien de « com-munalisation » (Weber, 1964, page 352). Le lien électronique constitue le nécessaire lien faible du processus d’apprentissage social qui permet la construction et la pérennisation de liens sociaux forts dans la réalité vir-tuelle et /ou la réalité physique.

1. Le lien technologique compose la toile, le web. Il est artificiel, conçu par la main de l’homme. Mais il constitue le lien faible (pour para-phraser Ferrary et Pesqueux (2004)) pré-requis pour pérenniser du lien fort entre individus. Cet artefact (lien technologique) est ainsi intuitif. Il ouvre la voie, au delà de l’interactivité machinique qui se limite aux fonctionnalités des logiciels et de la machine numérique, à l’interactivité intentionnelle et à un espace de signification et de com-munication partagé (composé de signes comme les textes, les images et.). C’est entre autre par le lien social que l’interactivité intention-nelle s’intensifie et se décuple (voir le cas du web art).

2. Le lien technologique est ainsi potentiellement porteur de lien social médiatisé par les outils de communications instrumentés. En effet, la proximité physique n’est plus une des seules conditions nécessaires à l’engagement émotionnel et à la socialisation des individus. Une nouvelle génération d’utilisateur est capable de vivre sa socialisa-tion dans un espace virtuel (par exemple les sites de mise en réseau, de jeux en réseau, de Web Art) dans lequel le lien technologique peut être « porteur d’engagements émotionnels et de phénomènes sociaux au même titre que la vie sociale traditionnelle » (Ferrary et

Pesqueux, opcit). La nature des échanges en ligne peut tendre vers un lien social fort, voire une culture de partage et le développement d’une identité commune. D’où les concepts de micro-culture (Au-dran et Daele, 2006) et de retribalisation (McLuhan, 1964) conjuguées au mode virtuel.

3. Des structures sociales qui existaient dans la réalité physique émergent alors dans la réalité virtuelle : les réseaux sociaux et les communau-tés en ligne (elles-mêmes divisées en quatre types : la communauté d’intérêt ou d’intérêt finalisé, la communauté de pratique et la com-munauté d’apprenants (Henri et Pudelko, 2006)).

4. Le débat qui oppose « lien faible » et « lien fort » n’est pas recher-ché, dans la mesure où ils constituent deux dimensions « interagis-santes » d’une même réalité sociale à laquelle appartiennent les indi-vidus. La place de chacun des deux liens sera à étudier dans l’étude du terrain comme deux vecteurs complémentaires de l’information et de la communication.

5. Dans un contexte éducatif, la communauté d’apprenants est à re-chercher si l’objectif formel d’une situation pédagogique est l’ap-prentissage social (Henri et Pudelko, 2006). Mais le paradoxe de la commmunauté d’apprenants réside dans le fait que son émergence est « planifiée » par l’enseignant-tuteur dans un but didactique (à travers des dates, des activités, l’imposition des membres par classe ou année). Elle est construite artificiellement alors qu’elle doit émer-ger de l’activité de ses membres et être auto-régulée (comme les sys-tèmes organiques vivants).

Quelles résonances peuvent avoir ces réflexions dans une démarche empirique ? C’est l’objet de notre deuxième section. Notre terrain d’étude est le CERAM Sophia Antipolis, école de commerce dans l’Enseignement Supérieur dans le sud de la France.