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D U LIEN TECHNOLOGIQUE AU LIEN SOCIAL

1.3 Appropriation sociale des TIC

1.3.1 Le lien social médiatisé par le lien technologique

1.3.1.1 Le lien social, définition et dynamique

Le terme de lien social, au cœur de notre problématique, est polysé-mique. C’est un mot qui apparaît dans de nombreux discours (philoso-phique, sociologique, économique, politique, psychologique). Nous tente-rons de lui attribuer notre propre définition en regard du contexte d’étude qui est le notre.

Si l’on se réfère à une approche sociologique classique, le lien social pourrait être défini comme un ensemble de forces (analysant des rapports dynamiques), de caractéristiques (décrivant des traits) ou de mécanismes (étudiant les interactions) qui permettent de relier les individus entre eux et, simultanément, de rattacher chaque individu à une collectivité. Le lien social décrit le mode selon lequel un individu invente en même temps qu’il reproduit son intégration dans les groupes auxquels il participe. Sous cet angle, les théories de la sociologie classique méritent un détour pour ap-préhender quelle place occupe le lien social dans la compréhension des phénomènes sociaux. Pour Durkheim (1977) ou Simmel (1979) - habituel-lement qualifiés de pères fondateurs - la problématique centrale consiste à s’interroger sur le fait que les hommes vivent ensemble et tissent des relations entre eux qui peuvent prendre la forme d’un groupe, d’une com-munauté ou d’une société. Imprégnés de la pensée positiviste, ces socio-logues recherchent les facteurs d’ordre et de cohésion des relations qui s’établissent entre les hommes : l’équilibre social ou encore « la cohésion sociale » constituant l’hypothèse de base partagée. Le lien social entre les individus s’appuie sur les similitudes qu’ils peuvent reconnaître de façon

plus ou moins intuitive.

Cet équilibre dépend de deux ordres de variables. En premier lieu, la cohésion des rapports établis entre les membres d’un groupement humain définit la nature du lien social. En second lieu, la cohérence et la stabilité des représentations collectives circonscrivent les caractéristiques du lien moral.

Sur cette base commune, des analyses singulières permettent d’appré-hender la construction de la structure sociale : les interactions individuelles dans le groupe (Simmel, 1979) ou le rôle de la conscience collective dans la constitution du lien social (Durkheim, 1977). Les travaux réalisés par ces sociologues convergent vers un constat qui associe un type de société (traditionnelle ou moderne) à un type de structure sociale (communauté ou société) dans laquelle se différencient les relations sociales.

Goffman (1974), dans la lignée de Simmel, s’interroge plus spécifique-ment sur les interactions en face à face dans les cadres naturels -par op-position à artificiels. Son approche micro-sociologique nous apporte de nombreux éléments de compréhension sur les interactions sociales. Tout d’abord, sur son objet d’étude, les propriétés rituelles des personnes. Celles-ci sont faites « des regards, des gestes, des postures que chacun ne cesse d’injec-ter, intentionnellement ou non, dans la situation où il se trouve » (1974, page 7). Son autre objectif est de révéler l’ordre comportemental qui existe en tout lieu fréquenté, public, semi-public ou privé grâce à l’analyse ethno-graphique. Il en appelle ainsi à une « sociologie des circonstances » (op cit). Il place la notion de « l’engagement » au coeur des interactions. L’en-gagement est défini comme le fait de « maintenir une certaine attention in-tellectuelle et affective, une certaine mobilisation des ressources psychologiques »

pour l’objet officiel de l’interaction (cité par Nizet et Rigaux, 2005, page 38). La double composante de la règle fondamentale de l’interaction vise ainsi soi-même et autrui. Se constituent des « les rites d’interaction » qui sont définis comme des actes formels et conventionnalisés par lequel un individu manifeste son respect et sa considération envers un objet de va-leur absolue, à cet objet ou à son représentant (Nizet et Rigaux, 2005, page 34). Les rites sont notamment composés des « échanges réparateurs ». Ces derniers sont fondamentaux dans le cadre des actions quotidiennes. Les formes que prennent les échanges réparateurs « sont hautement rituali-sées » (Nizet et Rigaux, 2005, page 46). Ils sont constitués de relations in-terpersonnelles « excusez-moi, je vous prie » ou de l’échange de cadeau, de carte de visite etc.

Dans notre contexte propre aux échanges virtuels, nous devons nous ré-interroger sur la nature des rites d’interaction et des échanges répara-teurs. Sont-ils de même nature à distance comme en face à face ? L’ordre social, qui génère l’interaction selon Goffman (à travers les rites et des règles), est-il différent dans les situations de travail en face à face et à dis-tance ?

Avant d’étudier les particularités du lien social médiatisé par les outils informatiques, il convient de préciser une dernière approche sociologique qui met à jour la dynamique du lien social. L’analyse dynamique du lien social qui tisse les relations interpersonnelles a été étudiée par le socio-logue Granovetter (1973).

La force d’un lien représenté par un arc entre deux individus, est une combinaison de la quantité de temps passé ensemble, de l’intensité émo-tionnelle et de l’intimité d’une relation, et des services réciproques qui

ca-ractérisent ce lien (les liens sont supposés positifs et symétriques). Comme le soulignent Degenne et Forsé (1994, page 128), à cette liste pourrait être ajoutée la multiplicité des contenus des échanges entre personnes. Du point de vue statistique qui est prédominant dans l’approche sociologique de Granovetter (1973) et de ses successeurs, un lien fort peut être aussi ca-ractérisé par la mesure de la fréquence des interactions qu’il permet. Les liens forts sont alors ceux dont la fréquence des interactions est au-dessus de la moyenne, alors que les liens faibles sont ceux dont la fréquence est au-dessous.24Pour Granovetter, les liens forts ont tendance à devenir tran-sitifs25. De ce fait, la multiplication de l’interaction entre deux individus a tendance à faire croître les interactions avec les autres agents qui ont un lien avec l’un, l’autre, ou les deux de ces individus. Dans ce cas, la transiti-vité des liens forts tendra à se développer. Si les liens forts ont tendance à devenir transitifs, le risque est plus grand si l’information se trouve confi-née dans de petits groupes d’individus. En conséquence, il est peu pro-bable que l’information circule (ou circule rapidement) au-delà de ces pe-tits groupes relativement isolés. Face au problème de la tendance à la tran-sitivité des liens forts, la force d’un lien faible vient de ce qu’il sert de pont entre deux groupes26.

24Cette approche statistique est limitée. Un lien fort, porteur d’amitié, peut se concré-tiser en très peu de liaison. Dans ce cas, la fréquence de l’interaction n’est pas forcément proportionnelle à la force des liens.

25Sous certaines conditions, il est possible de montrer que lorsqu’un lien fort lie deux individus, toute tierce personne liée par un lien fort à l’un de ses deux individus, est susceptible de développer un lien avec l’autre.

26Un pont est une arrête dans un graphe qui constitue le seul chemin possible pour réunir deux sommets (deux individus). Selon Granovetter, le problème est que dans les grands réseaux sociaux, il est peu probable qu’un lien particulier constitue le seul chemin réunissant deux individus. C’est ainsi que l’on crée la notion de pont local (le plus court chemin, autre qu’un lien fort, pour aller d’un individu à l’autre du réseau social). Ils sont ainsi souvent plus nombreux. C’est pourquoi la suppression d’un lien faible engendre alors en moyenne une réduction plus importante dans les probabilités de transmission que celle d’un lien fort. Un message peut atteindre un plus grand nombre de personnes

Toutes ces analyses sont aujourd’hui re-questionnées dans le contexte particulier du lien social médiatisé par les machines numériques. Deux types de discours semblent se dégager sur la médiation humaine27 prise en charge par l’interactivité des logiciels et des machines.