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U N CADRE CONCEPTUEL DIALOGIQUE

3.3 Vers une communauté apprenante

3.3.1 Le lien d’altérité

3.3.1.3 L’acte de signification partagé

« De ce point de vue, on pourrait reprendre cette idée classique de l’interactionnisme, avancée par Schütz, selon laquelle des signifi-cations partagées, préalablement données pour chacun, sont requises pour communiquer. Mais à une condition : celle de regarder la com-munication comme la transformation et le développement réel des significations requises. Comme l’indiquait Vygotski, les hommes ne communiquent les uns avec les autres par les significations qu’à pro-portion du développement des significations. (Béguin & Clot, 2005, page 2) »

Cette condition, le développement des significations, est considérée par Bender (1998) comme la génèse du dialogue et de l’action partagée :

« Le dialogue est non seulement possible, mais nécessaire juste-ment quand les hommes ne partagent pas les mêmes significations. Ce que nous partageons n’est pas aussi intéressant que ce que nous ne partageons pas. (Bender, 1998, page 193) »

De ce fait, la diversité des positions au sein de groupes d’individus peut constituer un moteur du développement de leurs activités. Apprendrait-on autant de ce qui est différent que de ce que l’Apprendrait-on partage ?

« L’action suppose la conscience partagée non seulement d’une communauté de signification mais aussi de la différence de sens dont chacun investit ces significations. (Beguin, 2004, page 193) »

Pour Bakhtine (1993), l’incompréhension est à l’origine de la compré-hension elle-même et le conflit moteur du développement de la commu-nication. Contrairement à Blumer (1969), par exemple, pour qui, affectée d’une incompréhension, la communication est ineffective et la formation de l’action conjointe bloquée.

Pour Vygotski (1985), le rôle du partenaire social est abordé selon un autre point de vue : il n’est plus seulement l’élément contribuant à désta-biliser et à mettre en question, il est une source sur laquelle prendre appui pour résoudre la tâche avant d’y parvenir seul. Sa « loi fondamentale du développement » est la suivante : la maîtrise de chaque procédé se réalise à deux reprises, une première fois à l’intérieur de l’activité sociale, et une seconde au cours de l’activité individuelle. La théorie de Vygotski (1985) s’appuie ainsi sur l’interaction sociale qui a un rôle central dans l’actuali-sation des potentialités cognitives de l’enfant et dans l’appropriation des significations sociales par l’individu.

Reste une question : qu’est-ce qui amène un individu à tirer ou non profit des ressources de la situation pour les intégrer à ses propres cadres de pensée ? Sans doute la construction d’une inter subjectivité (Wertsch, 1979 ; Morin, 2001). C’est grâce à cela que l’enfant pourra intégrer les res-sources à sa propre pensée. Morin (2001) précise que la compréhension avec l’autre ne peut émerger que de l’inter subjectivité.

« Le sujet émerge au monde en s’intégrant dans l’inter subjecti-vité. Elle est le tissu d’existence de la subjectivité, le milieu d’exis-tence du sujet, sans lequel il dépérit.(...)C’est la possibilité de compré-hension qui permet de reconnaître autrui comme autre sujet. (Morin, 2001, page 83) »

Cette notion d’intersubjectivité a également été étudiée par Bruner (1995, 1999). Il apporte toutefois une connotation supplémentaire en l’intégrant dans une réalité culturelle, historique et sociale. Bruner commença son in-tervention au colloque inaugural de l’Institut Ferdinand de Saussure (qui s’est tenu à Genève et fut intitulé Sémiotique des cultures et sciences cog-nitives) en disant : « Mon thème est l’intersubjectivité humaine - ce dont elle dépend, comment elle se développe, et surtout, comment elle affecte les processus sémiotiques au centre de notre vie culturelle médiatisée »6. Il renoue ainsi avec le projet qu’il avait élaboré il y a quarante ans avec Piaget (décrire formel-lement les significations que l’être humain crée au contact du monde et émettre des hypothèses sur les processus en œuvre dans cette création), en réinvestissant la scène de l’intersubjectivité. Pour Bruner, l’objet de la psychologie devait être la construction contextuelle et culturelle des si-gnifications7 En effet, la construction des significations a un lieu privilé-gié d’actualisation : l’interaction humaine. Interaction qui se déploie dans un monde médiatisé par des signes et par des artefacts. Sa psychologie culturelle ne s’intéresse pas au comportement, mais à l’action, fondée sur l’intentionnalité, ou, plus précisément, à « l’action située » (op. cit., page 34) (action située dans un ensemble culturel et dans les interactions réci-proques des intentions des participants).

C’est donc la conduite en tant qu’elle est action créatrice, dynamique de productions artefactuelles, qui est au coeur de l’attention du

psycho-6Traduction de « My topic is human intersubjectivity - what it depends upon, how it deve-lops, and above all, how it affects the semiotic processes central to our culturally mediated way of life »(Bruner, 1999).

7Après une période où le sujet d’étude (la signification) a été envisagé dans son rap-port monadique au monde en oubliant qu’il n’est en raprap-port au monde que dans des situations où d’autres humains sont présents et jouent un rôle capital.« Petit à petit l’ac-cent s’etait déplacé de la signification à l’information, et de la construction de la signification au traitement de l’information » (Bruner, 1991, page 20).

logue. On retrouve les caractéristiques du Faire œuvre que nous avons évo-quées chez Meyerson (section 3.2.1.2). Ceci n’est pas un hasard. Bruner précise sur Meyerson « Sa conception des œuvres me paraît particulièrement stimulante » . Ce « monde d’œuvres » constitue l’histoire du fonctionnement psychologique des êtres humains (Bruner, 1996, page 201). Oeuvre qui per-met l’ancrage de la cognition dans le rapport homme-monde, dans l’inter-action homme-homme et dans le mouvement constructif en esprit et maté-rialité. Et cette conduite ou action, processus de production (de symboles ou d’artefacts) s’organise dans un processus d’objectivation dont parle Meyerson (1995), et de l’instrumentalisation dont parle Vygotski (1985). Nous pourrions conclure cette section sur cette phrase empruntée à Bras-sac (2004) dans un de ses cours8 : « Meyerson veut analyser les œuvres, Vy-gotski réclame l’étude des instruments et Bruner s’attache aux processus cognitifs intersubjectifs en train de se faire ».

En synthèse, nous retiendrons pour la suite de notre recherche : une communauté ou un réseau d’apprenants, a fortiori en ligne, seront consti-tués d’échanges et communications instrumentées par les outils technolo-giques à condition qu’il y ait développement des significations partagées (qu’il soit heureux-lors d’un partage ou malheureux, lors d’une incompré-hension), de conflits socio-cognitifs, et d’actions intersubjectives proche du processus de Faire œuvre. Ces significations partagées pourraient no-tamment être observées par les rites d’interaction mis à jour par Goffman (1974), dont les échanges « réparateurs » (Goffman, in Nizet 2005, page 46) ayant un haut pouvoir rituel (voir la section1.3.1).

Étudions désormais les théories de l’apprentissage social qui ont été

8Cours à l’Université de Nancy téléchargeable en ligne sur http ://www.arco.asso.fr/downloads/Archives/Ec/Brassac.pdf

étudiées dans le cadre des communautés virtuelles.