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U N CADRE CONCEPTUEL DIALOGIQUE

3.3 Vers une communauté apprenante

3.2.2 Processus individuels de construction de connaissances

3.2.2.2 A l’instant poétique

Pour appréhender le processus d’apprentissage comme acte de créa-tion, nous avons cherché à creuser la notion d’élan créatif. Certains philo-sophes, qui ont en commun d’être passionné d’art, ont cherché à décoder

l’acte créatif sous la notion de retentissement ou « d’instant » poétique. L’approche phénoménologique (Merleau-Ponty, 1964) et l’approche poé-tique de Bachelard (1957) sont énoncées dans ce sens. Ce cadre d’intelli-gibilité nous permet d’approfondir notre compréhension des processus à l’œuvre dans la création de sens.

Merleau Ponty a cherché à découvrir « quelle science secrète anime le peintre » dans son ouvrage « L’oeil et l’esprit ». La notion d’instant se traduit par « maintenant », et il décrit le processus d’apprentissage comme suit :

« Au moment décisif de l’apprentissage, un « maintenant » sort de la série des maintenant, acquiert une valeur particulière, résume les tâtonnements qui l’ont précédé comme il engage et anticipe l’ave-nir du comportement, transforme la situation singulière de l’expé-rience en situation typique et la réaction effective en une aptitude. (Merleau-Ponty, 1964, page 135) »

Pour Merleau Ponty (1964), à partir de ce « moment », le comportement se détache de l’ordre de l’en soi et devient la projection d’une possibilité qui lui est intérieure (subjectif)4. L’acquisition de l’apprentissage résume les tâtonnements qui l’ont précédée. Ces tâtonnements peuvent être en-tendus comme des instants poétiques qui habitent le processus du Faire œuvre.

La notion d’instant est très présente dans l’oeuvre de Bachelard à la fin de sa vie.

« L’instant poétique est donc nécessairement complexe : il émeut,

4Pour Merleau Ponty, il est impossible de penser objectivement le monde, les objets, autrui. « Toute vue est perspective » (1964).

il prouve-il invite, il console- il est étonnant et familier. Le but, c’est la verticalité, la profondeur ou la hauteur ; c’est l’instant stabilisé où les simultanéités, en s’ordonnant, prouvent que l’instant poétique a une perspective métaphysique. (Bachelard, 1932, page 104) »

Lorsqu’il traite le thème de l’éducation ouverte, Bachelard signifie que l’esprit de finesse est suggeré par tout acte créatif. C’est pourquoi il prône une phénoménologie de l’imagination. Car elle rend la création possible. Comment inventer sans imaginer ? A la fin de sa vie, dans son ouvrage

« La poétique de l’espace », il décrit les « finesses d’intimité » (1957, page 53) de la poésie dans la quête de transformation de soi. Cette « enquête phénoménologique sur la poésie » distingue la poésie qui nous offre des images sur du papier de l’acte poétique.

« L’acte poétique est une image soudaine, la flambée de l’être dans l’imagination. (Bachelard, 1957, page 2) »

Bachelard (1957) prône ainsi une phénoménologie de l’imagination, c’est-à-dire une étude du phénomène de l’image poétique quand l’image émerge dans la conscience comme un produit direct du cœur, de l’âme, de l’être de l’homme saisi dans son actualité. Selon lui, l’éclat d’une image, dans l’instantanéité du retentissement résonne d’échos.

« Et l’on ne voit guère à quelle profondeur ces échos vont se ré-percuter ou s’éteindre. Dans sa nouveauté, dans son activité l’image poétique a un être propre, un dynamisme propre. Elle relève d’une ontologie directe. (Bachelard, 1957, page 54) »

La similitude avec le déclenchement des processus d’apprentissage est réel. L’apprentissage a un dynamisme propre, il résonne, émerge, naît dans

la même instantanéité, dans son actualité. Il est un acte créatif, un ins-tant où l’on comprend. Une différence fondamentale cependant entre la création de l’image poétique par le poète et la création de situations d’ap-prentissage par le pédagogue réside dans la propriété de l’image. Dans sa simplicité, elle n’a pas besoin d’un savoir.

« Elle est le bien de la conscience naïve. (Bachelard, 1957, page 4) » Ce qui n’est pas souvent le cas dans une perspective éducative. Le pé-dagogue se situe dans une logique de développement des savoirs inten-tionnelle et initie souvent une image symbolique qui a besoin de savoirs préalables, donc de réflexivité. Le pédagogue peut-il ainsi initier le Faire Œuvre chez ses élèves ? Une intention « simple » qui s’accompagnerait d’un « égal oubli du savoir » ? Quoi de plus paradoxal pour un pédagogue ou un enseignant qui se situe dans une relation didactique au savoir... Si le pédagogue enseigne, il appartient à l’élève d’apprendre et d’éprouver, dans le style de la phénoménologie de Minkowski (1995), le retentisse-ment, en tant qu’actualisation de l’élan créatif. Il nous est apparu alors que cette subjectivité ne pouvait pas être comprise, en son essence, par les seules références objectives. La phénoménologie, en tant que considé-ration du départ de l’image poétique, de l’élan créatif, de l’impulsion de la simplicité, peut nous aider à restituer la subjectivité des apprentissages. La tâche semble complexe car les subjectivités ne peuvent être déterminées une fois pour toutes. Elles sont variables et infinies.

Bachelard (1957) propose donc de dépasser les résonances sentimen-tales et les subjectivités avec lesquelles nous recevons l’œuvre (qui dis-persent selon lui), pour privilégier le retentissement qui appelle à un ap-profondissement de notre propre existence. Dans la résonance, nous

en-tendons le poème, dans le retentissement, nous le parlons, il est nôtre. Le retentissement opère un virement de l’être. Nous ne sommes plus les mêmes, c’est cela Faire œuvre dans l’apprentissage. Apprendre pour gran-dir, évoluer. C’est dans ce saisissement de l’être, qu’il y a création poé-tique jusque dans l’âme du lecteur, du spectateur ou de l’apprenant. C’est après le retentissement, nous rappelle Bachelard (1957), que nous pour-rons éprouver des résonances, répercutions sentimentales ou rappels du passé.

Ces différentes approches de l’apprentissage comme production de sens, Faire œuvre, représentent cependant ses faiblesses d’un point de vue mé-thodologique (Ardoino, 1980).

« Le souci de cohérence ne risque-t-il pas de conduire à la séche-resse du formalisme tandis que la quête du sens et le respect de la complexité se caractériseront par le manque de rigueur ? Le savoir doit-il être écartelé entre ces limites extrêmes : devenir incohérent ou insignifiant ? (Ardoino, 1980, page 128) »

Il est vrai que nous touchons les limites des théories en Sciences de l’Education, même si l’approche phénoménologique de Bachelard nous a ouvert vers « l’ère poétique » (op. cit., page 13) dans lequel il situe ce siècle. En synthèse de ce chapitre, nous pouvons affirmer que le terme ap-prentissage est ainsi riche et contradictoire à la fois. Nous l’avons cerné par le processus du Faire œuvre, certes poétique, mais qui reste à « bor-dure floue »(Changeux, 2002). Il est cependant possible de Faire œuvre, ensemble. La source extérieure d’inspiration prend une dimension essen-tielle. Elle serait à la charnière du regard intérieur de l’apprentissage et du monde extérieur composé d’objets, de circonstances, de l’autre. Étudions à

présent l’apprentissage collectif et la place de la communauté apprenante dans le processus du Faire œuvre.

3.3 Vers une communauté apprenante

Afin de mieux cerner la notion de « communauté apprenante » dans les espaces numériques du savoir, nous proposons tout d’abord de reve-nir aux fondements théoriques de l’apprentissage social à travers la com-préhension du lien d’altérité, des conflits socio-cognitifs (Doise et Mugny (1981) ; Perret-Clermont, (1981)), du statut social du fonctionnement hu-main (Vygotski, 1985) et des actes de signification partagés (Béguin et Clot, 2005). Les travaux de Bruner (1996, 1999) seront évoqués pour son étude de l’homme situé socialement et culturellement, donc potentielle-ment dans une communauté. Dans un second temps, nous étudierons la dialectique participation/réification à l’œuvre dans le développement des communautés (Wenger, 1998).