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Quelques propositions d’activités de formation qui permettent de réfléchir et de se situer par rapport à sa propre autorité dans la relation éducative

Quand on enseigne, on détient un mandat social spécifique : celui d’influencer le développement des élèves dans une certaine direction. Les orientations de l’éducation sont habituellement énoncées dans les politiques éducatives. Actuellement trois verbes d’action les expriment au Québec : instruire, socialiser, qualifier. Bien que des études en sociologie, en psychologie et en sciences de l’éducation montrent les difficultés, les écueils et les limites de la mise en œuvre de ces orientations, il reste que les politiques éducatives formulent un idéal vers lequel le système et ses intervenants doivent tendre.

Avec Prairat, nous avons mis en relief qu’il existe une différence entre l’influence éducative et l’influence manipulatrice dans l’exercice de l’autorité. Nous avons également eu recours aux deux termes latins qu’il a utilisés pour définir le pouvoir incarné par la personne en autorité : le potestas et l’auctoritas. De plus, nous avons montré que l’éthique professionnelle permet de distinguer le « pouvoir de » faire quelque chose pour autrui du « pouvoir sur » lui. Ces référents conceptuels nous fournissent des fondements pour des propositions d’activités de formation qui conduisent la personne à se situer par rapport à sa propre autorité dans la relation éducative dans le cadre d’activités de formation à l’éthique professionnelle.

Ces fondements signalent qu’il s’agit d’une formation qui comprend une dimension cognitive qui se rapporte à des savoirs, une dimension sociale qui comprend des savoir-faire relatifs à l’apprentissage du raisonnement professionnel et une dimension psychologique qui a trait au savoir-être et à l’affectivité de la personne de l’enseignant. Cette distinction en trois dimensions est sans doute un peu artificielle car, dans la réalisation des activités de formation, on touche souvent à ces diverses dimensions de manière simultanée.

Les étudiants en formation initiale à l’enseignement et les enseignants en formation continue que nous côtoyons entretiennent souvent des préjugés et des conceptions erronées sur le sens du terme autorité. Ils lui attribuent une forte connotation négative : l’autorité est un pouvoir qui s’exprime par la force, la répression et la contrainte. L’autorité et l’autoritarisme sont pris comme synonymes. C’est pourquoi l’une des premières démarches de formation consiste à clarifier le sens du concept d’autorité à l’aide de dictionnaires généraux et spécialisés et de la

documentation sur le sujet. Les étudiants remarquent alors que ce qu’ils considèrent comme du ressort de leur autonomie professionnelle n’est en fait pas si éloigné de la notion d’autorité.

Une fois le concept clarifié, nous pouvons entrer dans le vif du sujet : l’autorité du maître dans la classe et dans la relation éducative. Plusieurs thèmes peuvent être abordés pour comprendre dans quelle mesure l’autorité est inhérente à l’acte d’enseigner. On examine, par exemple, les fondements de l’autorité, sa légitimité qui provient des compétences professionnelles et du savoir à enseigner. On explore la responsabilité professionnelle dans la classe et à l’extérieur de la classe, le pouvoir et le devoir d’intervenir, d’encadrer et d’évaluer les apprentissages. Ce faisant, des questionnements ne manquent jamais de survenir. Basés sur des observations faites comme élèves, étudiants, stagiaires ou enseignants, sur leur propre expérience, sur des lectures ou encore sur des faits d’actualité, ces questionnements alimentent la réflexion et la discussion. Par cette démarche exploratoire, les étudiants mettent des mots sur des impressions et des perceptions, ils explicitent, commentent et analysent certains aspects de la pratique professionnelle et du sens que revêtent les gestes posés, ceux d’autrui et les leurs. La notion d’autorité leur apparaît dès lors de plus en plus liée à la responsabilité professionnelle, à leur propre responsabilité professionnelle et à leur propre manière de l’assumer.

Des extraits de textes significatifs de grands auteurs peuvent être analysés pour approfondir la réflexion, par exemple, l’allégorie de la caverne de Platon (2002), l’éducation bancaire de Freire (1982), la non-directivité de Rogers (2013), pour ne nommer que ceux-là. Non seulement le dialogue autour de ces textes stimule et marque les esprits, mais il suscite aussi l’intérêt par rapport à des dimensions critiques et autocritiques sur l’éducation, sur le sens de l’éducation et de l’école, sur leur propre vision des choses. Dans ces discussions, le stéréotype fort selon lequel on fait ce qu’on veut dans sa classe et qu’on est le seul maître à bord une fois la porte refermée est confronté à l’ancrage social et idéologique des composantes de la situation pédagogique et des encadrements du travail enseignant.

Un autre type de textes peut dès lors être convoqué, il est même demandé par les étudiants : les diverses lois et normes qui encadrent leur pratique professionnelle d’enseignement. Dans une société de droit où nul n’est censé ignorer la loi, une fois que la notion d’autorité légitime a été clarifiée, ces repères prennent tout à coup beaucoup de signification. En effet, quand les lois, les règlements, les normes et les repères professionnels sont analysés en relation avec des situations

concrètes, leur valeur et leur pertinence se révèlent. Leurs liens avec des valeurs personnelles, professionnelles et sociales ressortent également. Les normativités apparaissent alors comme des ressources qui peuvent être mobilisées lors de l’analyse de situations et la recherche de solutions à des problèmes.

La mise en perspective du rapport des situations aux normativités qui servent lors de l’analyse montre l’importance de la réflexion professionnelle au cours de la démarche d’autorégulation de l’agir. Or cette démarche est incarnée par une personne qui possède aussi des valeurs en propre, des aspirations, des désirs, des préférences. La personne doit pouvoir se reconnaître à la fois comme personne et comme professionnel, elle doit pouvoir trouver une cohérence interne entre sa personnalité et la façon de vivre sa vie professionnelle. Cette démarche, chacun doit la faire pour se comprendre et apprendre à vivre avec soi-même et avec autrui, à se respecter et respecter autrui. Le processus qui amène la personne à assumer sa propre autorité dans la relation éducative est constitué d’un amalgame de sensibilité, de capacité d’analyse et d’adaptation. Il s’agit là d’une vision optimiste de la personne et de sa possibilité de cheminer en vue d’assumer pleinement son rôle professionnel et son professionnalisme.

Une autre manière de considérer le rapport aux normes et aux règlementations dans la formation à l’éthique professionnelle, plus pessimiste cette fois, consiste à donner des exemples de comportements déviants qui ont été sanctionnés ou des exemples de poursuites judiciaires contre des praticiens. Cela amène les personnes à conclure qu’il y a des comportements acceptables et d’autres qui ne le sont pas dans l’exercice professionnel, et donc que les lois et les règlements doivent être respectés sous peine de sanctions. Il s’agit là d’un type de formation qu’on trouve davantage dans les formations à l’éthique professionnelle destinées au futurs membres et aux membres des ordres professionnels – ce qui constitue un ancrage professionnel significatif. Mais cette méthode est également utilisée en partie dans le cours d’éthique professionnelle offert à l’Université Laval que nous avons mentionné plus tôt. Parmi les lectures que les étudiants doivent faire, certaines ont trait à des situations qui se sont produites en classe ou en dehors de la classe au cours desquelles les comportements des enseignants ont donné lieu à des plaintes, des poursuites judiciaires, des procès et des jugements de la cour. Harvengt (2015) considère que ces cas un peu sensationnels marquent les esprits et mettent en évidence l’importance des normes pour éclairer les décisions d’agir des enseignants. Les situations que ces

cas décrivent portent sur de « réelles préoccupations de la profession enseignante comme la gestion de classe, la compétence pédagogique, l’autorité de l’enseignant ou encore la distance professionnelle » (Harvengt, 2015, p. 53).

Le recours à un corps de connaissances spécialisées et à des savoirs relatifs aux normativités est intéressant pour la formation à l’éthique professionnelle, mais il s’avère insuffisant pour le développement personnel et professionnel requis pour soutenir la capacité de s’autoréguler qui permet d’assumer son autorité en situation éducative. Le développement du raisonnement doit aussi être travaillé. Pour ce faire, les études de cas occupent une place importante dans les formations à l’éthique professionnelle parce que les professionnels sont constamment confrontés à des questions pour déterminer leur agir. En voici quelques exemples : Quelle action poser ? Pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ? Peut-on ou doit-on faire ceci ou cela ? Quelles conséquences peuvent être associées à telle ou telle action ? Quelles normes et quelles valeurs s’appliquent à la situation ?

Par le recours à l’étude de cas en classe faite en grand groupe ou en équipes de travail, l’étudiant est amené à reconnaître la complexité des situations qui se présentent en éducation et l’unicité des personnes concernées dans chacune des situations. Il développe des habiletés d’analyse et de communication avec ses pairs. De plus, il est conduit à se référer aux valeurs de sa profession de façon authentique. C’est ce qui permet de dire que l’étude de cas ou une de ses variantes comme le jeu de rôle participent à la formation de la personne du professionnel. Non seulement la personne s’approprie-t-elle des démarches propres à son domaine, mais elle est aussi amenée à cheminer vers un approfondissement de la connaissance de soi, de ses forces, de ses limites, de ses valeurs. Ce développement du savoir-être, nous semble-t-il, constitue une piste de formation qui soutient l’affinement de la sensibilité qui permet d’éprouver de l’empathie pour autrui, de prendre conscience de l’ampleur de son pouvoir comme professionnel et, en conséquence, de réfléchir à son autorité et aux limites de celle-ci dans la relation éducative.

Conclusion

Apprendre à assumer son autorité dans le cadre de la relation éducative revient, en quelque sorte, à accepter d’apprendre à être une personne fiable et digne de confiance dans ses relations avec les élèves. Cette manière d’être repose sur la compétence professionnelle qui comprend non seulement des connaissances, mais aussi la capacité d’analyser des situations, de considérer

diverses perspectives, de dialoguer, de réfléchir sur son agir. Le développement de cette manière d’être commence en formation initiale et devrait se poursuivre tout au long de l’exercice professionnel. Il s’agit d’un apprentissage de la sensibilité qui permet de percevoir l’humanité en soi et en autrui, apprentissage qui n’est jamais fait une fois pour toutes. D’ailleurs, une des grandes manifestations de la sensibilité, c’est de pouvoir reconnaître ses propres limites. Parfois, il s’agit même d’avoir l’humilité de dire, comme l’inspecteur Gamache du roman de Penny, « Je

ne sais pas. J’ai besoin d’aide. Je m’excuse […] J’ai tort » (2005, p. 193-194 2

), lorsque cela s’avère nécessaire. Pour un représentant de l’autorité légitime, qu’il soit policier ou enseignant, la capacité à dire une de ces phrases, lorsque cela est requis, exprime toute la différence qui existe entre incarner l’autorité et abuser d’autorité.

Références

Freire, P. (1982). Pédagogie des opprimés (traduit du brésilien), Paris, Payot.

Harvengt, D. (2015). « Les poursuites judiciaires et la jurisprudence comme balises éthiques en formation initiale », dans L.-A. St-Vincent (dir.), Le développement de l’agir éthique chez

les professionnels en éducation : formation initiale et continue, Québec, Presses de

l’Université du Québec, p. 45-62.

Jeffrey, D. (2015). « Enseigner l’éthique aux futurs enseignants », dans L.-A. St-Vincent (dir.),

Le développement de l’agir éthique chez les professionnels en éducation : formation initiale et continue, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 25-43.

Mukamurera, J. et M. Tardif (accepté). « Épanouissement professionnel, satisfaction au travail et intention de persévérance durant les premières années d’enseignement », dans L. Ria (dir.) (accepté), Former les enseignants au XXIe siècle, vol. 2, Professionnalité des enseignants

et de leurs formateurs, Bruxelles, DeBoeck [date de publication prévue mai 2016].

Penny, L. (2005). Still life, Londres, Sphere.

Platon (2002). La république (traduction inédite, introduction et notes par Georges Leroux), Paris, Garnier-Flammarion.

Postic, M. (1988). La relation éducative, 8e éd., Paris, Presses universitaires de France. Prairat, E. (2013). La morale du professeur, Paris, Presses universitaires de France.

Prairat, E. (2008). « Autorité », dans A. van Zanten (dir.), Dictionnaire de l’éducation, Paris, Presses universitaires de France, p. 32-36.

Renaut, A. (2006). « Un âge post-autoritaire pour l’éducation », dans L. Thiaw-Po-Une (dir.),

Questions d’éthique contemporaine, Paris, Stock, p. 1161-1173.

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Soit l’une des quatre phrases simples que l’inspecteur de la Sûreté du Québec Armand Gamache, personnage mis en scène par la romancière des Cantons de l’Est Louise Penny (2005), enseigne aux nouveaux policiers membres de son équipe.

Rogers, C.R. (2013). Liberté pour apprendre (traduit de l’américain), Paris, Duond.

Tanguay, D. (2006). « Permanence et épuisement de l’autorité », dans L. Thiaw-Po-Une (dir.),

Questions d’éthique contemporaine, Paris, Stock, p. 1151-1160.

Winnicott, D.W. (2006). La mère suffisamment bonne (traduit de l’anglais), Paris, Payot et Rivages.

Notice biographique

Docteure en philosophie de l’éducation et professeure titulaire en Fondements de l’éducation au Département de pédagogie de l’Université de Sherbrooke, France Jutras s’intéresse au rôle des valeurs personnelles, professionnelles et sociales dans le développement professionnel du personnel enseignant du primaire à l’université. Le cadre de référence de ses travaux de recherche se situe dans une perspective d’éthique appliquée et d’éducation à la citoyenneté.

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