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Lutte pour la reconnaissance, l’enjeu d’une éthique du care

EN ÉDUCATION ET EN SANTÉ

1. Soins infirmiers et quête de reconnaissance

1.3 Lutte pour la reconnaissance, l’enjeu d’une éthique du care

Il semble que le care puisse réellement constituer une réponse tangible à la quête de reconnaissance des infirmières. Certes le fait d’être formées à l’université, de faire des études de maîtrise ou de doctorat contribue à la légitimité à l’identité infirmière, mais cela ne doit pas être la seule condition. Il s’agit de reconnaître l’activité du care au quotidien, dans le plus intime du cœur de métier, dans les méandres d’une déchéance que la société ne veut voir et qui pourtant fait partie intégrante de la vie. Le care est une éthique qui met l’humain au centre et lui donne sa juste place.

Déjà au XIXe siècle, Nightingale (1860) soulignait l’importance du caring, comme part du soin que l’infirmière pouvait et devait assumer, cette part au service de la relation à l’autre, dans sa vulnérabilité. Mais il s’agit là d’une part très peu visible et peu glorieuse en comparaison aux prouesses médico-techniques. Le care ainsi vu n’est autre que « le souci de l’autre incarné [qui] représente le "sale boulot" des professionnels de santé à la fois parce qu’il apparaît comme profane et donc peu professionnel, mais aussi parce que ceux qui s’adonnent à ces tâches n’en tirent pas de reconnaissance sociale » (Rothier Bautzer, 2012, p. 132).

Valoriser les soins techniques revient à dévaloriser les soignants du quotidien et, dans un même temps, la profession qui finit par perdre des territoires essentiels du soin (Rothier Bautzer, 2012). La légitimité des infirmières réside dans la contribution au bien-être du patient, pas uniquement sur le plan curatif, mais dans une visée de confort et une posture d’accompagnement. Considérer le patient comme sujet de soin et non objet de soin, c’est le voir dans sa globalité, avec son environnement. Certes, comme l’explique la psychologue Carol Gilligan (2008), le care s’élabore dans le cadre de relations qui relèvent en grande partie d’une forme de dépendance. Et ces relations s’incarnent dans une sollicitude mise en acte, selon une autre philosophe, Joan Tronto (2009), qui développera largement la notion de care dans sa portée sociale et politique. Le

care recouvre les notions d’attention, de souci de l’autre, de responsabilité et réfléchit les

relations bien au-delà du seul horizon des soins, mais comme responsabilité sociale vis-à-vis de nos contemporains (Tronto, 2009).

Il convient de sortir de la seule visée curative comme source de réussite et de reconnaissance professionnelle. La reconnaissance ne doit pas être dépendante de compétences techniques hyperspécialisées, d’autant plus qu’un petit nombre seulement d’infirmières réussissent à s’émanciper en investissant le milieu universitaire par la formation et la recherche. Elles s’éloignent ainsi des soins et laissent les autres à leurs soucis quotidiens au risque de les disqualifier involontairement. Mais elles vivent surtout un glissement identitaire en perdant de vue l’élément central de la pratique infirmière. En effet, « la négligence du care repose toujours sur un manque de connaissance et donc de reconnaissance de ce qu’il requiert » (Rothier Bautzer, 2013, p. 49). La priorité accordée au cure ou au care relève finalement d’un « problème moral d’attribution de valeur » (Rothier Bautzer, 2012, p. 130), l’espoir de succès sur la maladie place dans l’ombre la dimension éthique de la relation à l’humain. L’enjeu éthique crucial qui se dessine derrière cette considération du soin n’est autre que l’humain vis-à-vis de lui-même. La crise morale que traversent les soins traduit la crise morale d’une société en perte de repères, qui oscille entre un désir de maîtrise et de toute puissance, d’un côté, et la considération de l’humain dans sa plus profonde vulnérabilité, de l’autre. Lévinas (2006) rappelle l’importance de placer cette vulnérabilité au premier plan de l’idéal professionnel pour ne pas perdre le sens de la vie elle-même.

Valoriser la dimension éthique du soin, c’est prendre en considération toute la composante relationnelle sans laquelle celui-ci n’est qu’une suite d’actes désincarnés. Loin d’être obsolète ou dégradante, cette pratique s’oppose à la réification qu’Axel Honneth (2007) considère comme l’un des principaux obstacles à la reconnaissance, en faisant advenir la réciprocité qui se matérialise par un lien de confiance. Nous sommes en face d’une confiance qui ne recherche pas avant tout la guérison, mais la reconnaissance de soi et de l’autre comme humains capables de vivre une normalité malgré la pathologie (Canguilhem, 1966) et de se co-construire mutuellement. La posture du soignant invite le patient à la confiance et c’est ce qui rend possible le développement de l’autonomie du patient. L’injonction moderne à l’autonomie qui relève sans doute plus largement d’une instrumentalisation vers l’auto-gestion de la maladie que d’une

volonté réelle de promouvoir l’émancipation du malade, ne peut être simplement imposée, sans que la confiance ne soit présente comme prérequis indispensable à l’alliance thérapeutique.

Dans son chapitre intitulé « De la dissymétrie de la réciprocité », Ricœur (2004) évoque largement, en faisant référence à l’absolu du « Visage » de Levinas, la responsabilité qui incombe à celui qui lui fait face, en raison de cette dissymétrie et de sa vulnérabilité. Le lien d’humanité qui les unit est un lien qui s’oppose à la réification au sens d’Honneth (2007), c’est-à-dire à une relation totalement désinvestie d’émotions et de sentiments. Au-delà même de la relation binaire, Honneth cherche à démontrer que le développement d’une société juste et bonne au sens aristotélicien du terme, ne peut voir le jour qu’en ayant comme épicentre la reconnaissance de la dignité de chaque individu. C’est ce que les formations en soins infirmiers tentent de transmettre. Mais comment concilier un enseignement porté par une éthique du soin foncièrement altruiste, alors que les soignants ne sont pas reconnus dans leur activité principale au service du patient ?

Il convient d’analyser les pratiques de soin qui gardent cette considération du sujet comme une éthique de référence inviolable, et c’est là que doit focaliser la formation. L’éducation thérapeutique du patient peut être une des pratiques de soin conformes à cette éthique et c’est pour cette raison qu’elle constitue un terrain de recherche et de développement de première importance.

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