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4. Quelques constats 1 Une réponse à un besoin

4.6 Une expérience constructive et positive

Le dispositif mis en place offre un cadre structuré et propose de nombreuses ressources aux étudiants : ressources en ligne, travail entre pairs au sein des trios, accompagnement par les amis critiques, encadrement des professeures, interactions avec les pairs en présentiel et dans le cadre des forums. Il accorde une place majeure à l’évaluation formative, ce qui transparaît aussi dans

les modalités mises en place pour l’évaluation finale, elle-même potentiellement source d’apprentissage. Le taux de réussite en première session n’a cessé d’augmenter au fil des ans. Sur une échelle de 0 à 20, les notes finales des groupes ont varié en 2015 de 11 à 18, avec une moyenne de 15. Pour la première fois, tous les groupes ont rencontré les attentes académiques minimales, certains d’entre eux se sont même distingués par la qualité de ces travaux. Il serait intéressant d’interroger de manière systématique les étudiants sur les conditions qui, de leur point de vue, ont favorisé leur apprentissage et conditionné leur réussite. Nous posons l’hypothèse que même si certains facteurs opèrent davantage que d’autres, leur interaction au sein du dispositif est essentielle.

Discussion-conclusion

Le dispositif de formation choisi pour le cours de déontologie au sein du Master en sciences de l’éducation de l’Université de Liège est basé sur le modèle d’une « clinique des situations concrètes ». Il exploite des cas issus de la pratique des participants eux-mêmes, dans un contexte de travaux de groupes fortement encadrés et en partie à distance. Dans le présent article, nous avons présenté le cadre théorique choisi, la démarche de formation, les performances attendues de la part des étudiants et les conditions dans lesquelles ces derniers sont placés pour y parvenir. Nous avons notamment souligné le rôle des amis critiques et des échanges en ligne, sans lesquels le dispositif ne pourrait accueillir autant d’étudiants simultanément. Le cours est à la fois bien reçu et bien réussi par les étudiants.

Sans compter le nécessaire enrichissement permanent des contenus (par exemple, par l’intégration de clarifications proposées par Prairat (2015) concernant les vertus morales et les devoirs, et d’autres par Jeffrey (2015) sur les devoirs professionnels), ce dispositif doit bien sûr poursuivre son évolution car il subsiste des difficultés à plusieurs niveaux. Nous listons ces difficultés ci-dessous et discutons quelques pistes de régulation.

Fusionner morale et éthique

Au niveau conceptuel, autant les groupes comprennent bien l’étape juridique du raisonnement déontologique, autant ils éprouvent des difficultés à distinguer les raisonnements moral et éthique qui ne font d’ailleurs pas l’objet de définitions consensuelles dans la littérature.

Ils se perdent d’autant plus dans ces distinctions quand ils tentent de prendre en compte les points de vue des différents acteurs qui interviennent dans leurs cas. Comme cette distinction n’est pas déterminante dans la qualité de la réponse apportée aux cas par les différents groupes et que certains auteurs (dont Desautels et al., 2012 et Prairat, 2013) proposent de ne pas forcément s’y attacher dans les enquêtes ou le travail de terrain auprès des enseignants, nous envisageons de toujours distinguer morale et éthique dans notre raisonnement au fil des séminaires, mais de ne plus exiger cette distinction dans les rapports finaux les étudiants.

Améliorer les courriers et reconstitutions

Les étudiants éprouvent notamment des difficultés à produire des réponses réalistes lorsqu’il s’agit de rédiger un courrier « dans la peau » du directeur ou d’un collègue enseignant, ou encore de reconstituer des moments de rencontre avec les différents interlocuteurs concernés. Pour les y aider, des supports (notamment sous forme de vidéos) pourraient être produits, fournissant des exemples et illustrant les erreurs fréquemment commises. Nous pourrions aussi imaginer une check-list complétant la liste de critères actuels par les quelques éléments les plus critiques au moment des reconstitutions et favorisant l’auto-évaluation par les trios de leur propre travail. Les amis critiques, déjà en charge de cette évaluation, pourraient être eux aussi plus formellement chargés de produire et de poster une analyse systématique, toujours dans un esprit constructif.

Nous pourrions aussi envisager de demander aux groupes de jouer ces reconstitutions devant leurs amis critiques. Ces jeux de rôles pourraient rencontrer un double objectif : les étudiants travailleraient leurs attitudes, importantes à considérer au sein du savoir-agir, et ils prendraient conscience de l’éventuel manque de réalisme de leurs propositions. Et pourquoi pas, comme le propose Jeffrey (2015), demander aux groupes d’étudiants de produire deux réponses différentes et de les justifier, de façon à garantir un esprit d’ouverture et un meilleur entrainement à la recherche d’alternatives ?

Mieux exploiter les productions et analyses des étudiants

Comme mentionné en introduction, les enseignants belges ne sont pas tenus de répondre à un « ensemble de règles, de recommandations et de devoirs qui régit l'activité d'un professionnel

dans l'exercice de sa profession » (Prairat, 2009b, p. 175). Des codes de déontologie enseignante existent pourtant dans différents pays. Dans notre cours de déontologie, le rapport fourni par les différents groupes doit comprendre une mise en lien avec le code de Prairat (2013) ou un autre référent tel les devoirs professionnels de Jeffrey (2015, p. 38). Au fil des années, des suggestions ont aussi été proposées par les groupes d’étudiants et pourraient être analysées au profit de l’enrichissement des codes existants. Nous pourrions également tenter d’influencer l’adoption décrétale d’un code encadrant la déontologie enseignante dans notre communauté. Des actions en ce sens permettraient dans la foulée d’accompagner les enseignants en difficulté sur ces points et de leur donner accès à une formation continue adaptée à leurs besoins.

Une « banque de cas » anonymisés pourrait également être mise à disposition de la communauté enseignante. Elle pourrait être utile en formation professionnelle, mais peut-être aussi tout simplement aider les enseignants sur le terrain, lorsqu’ils rencontrent un cas similaire à ceux qui ont été traités par les étudiants, à étendre leur vision des réponses possibles, à y faire intervenir des acteurs additionnels, à se donner le temps de la réflexion, autant de comportements que nous tentons d’installer chez nos étudiants.

Optimiser la taille et l’organisation des groupes

Nous relèverons également plusieurs points d’attention à l’égard des travaux en groupes restreints. S’il est indéniable que le travail au sein d’un trio enrichit les interactions à propos du cas, il pose la question de l’équilibre dans les apports de ses membres. Au moins deux cas avérés de déséquilibre majeur ont nécessité une intervention, mais d’autres sous-groupes ont sans doute été confrontés à ce problème sans en informer les enseignantes. On peut par ailleurs s’interroger sur le niveau de développement de la compétence par chacun des membres des trios. Si l’évaluation finale orale prend soin de poser des questions à chacun des membres du groupe, elle n’est cependant pas organisée de façon à explorer systématiquement les ressources mobilisables par chacun des étudiants. Bien sûr, une évaluation individuelle permettrait de pallier ce problème, mais une telle décision priverait le dispositif d’une partie de sa cohérence (à travail de groupe évaluation de groupe) et augmenterait la charge d’encadrement, ce qui n’est pas envisageable actuellement. Au contraire, les enseignantes se demandent comment elles pourront encore assurer une rétroaction régulière à tous les trios si la taille du groupe augmente encore à l’avenir (ce qui est fort probable). Une solution pourrait être de diviser le groupe-cours. Mais cela nous priverait

ainsi de la collégialité actuelle, ce qui nous semble dommageable. L’alternative serait d’augmenter la taille des sous-groupes (passer, par exemple, des trios à des groupes de quatre étudiants), ce qui nécessiterait une vigilance accrue quant à l’équilibre dans les apports des différents membres de ces groupes et peut-être même une répartition formelle de rôles au sein des groupes, tenant compte des préférences de chacun. Tout en étant capable de justifier tous les choix opérés par son groupe, chaque étudiant serait, par exemple, formellement en charge d’une partie du rapport écrit et verrait sa note finale prendre en compte cette responsabilité sélective.

Aucune solution ne nous semble rassembler tous les avantages. L’option choisie pour la taille de ces groupes sera toujours le résultat d’un compromis que nous espérons le plus efficace possible quant à son caractère formatif pour chaque étudiant. Les étudiants qui ont vécu le dispositif devraient être consultés pour évaluer l’intérêt de telles formules10. La constitution d’un réseau de professionnels offrirait par ailleurs au cours de déontologie – tout comme sans doute au programme entier dans lequel il prend place – des perspectives enrichissantes et jusqu’ici peu exploitées.

Références

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professionnelle des enseignants du collégial québécois : caractéristiques, points de repères et stratégies utilisées pour traiter de préoccupations éthiques », Canadian Journal of Higher

Education/Revue canadienne de l’enseignement supérieur, vol. 42, n° 1, p. 43-62.

Gohier, C., L. Desautels et F. Jutras (2010). « Les préoccupations éthiques chez des enseignants de l’ordre collégial: Caractéristiques, points de repère et stratégies de résolution », Revue

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Jeffrey, D. (2015). « Enseigner l’éthique aux futurs enseignants », dans L.-A. Saint-Vincent (dir.),

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Jorro, A. (2007). « L'évaluation-conseil : un processus dialogique au service de la régulation »,

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Lallouet, V. (2014). Quelles questions déontologiques se posent aux enseignants préscolaires et

comment y font-ils face ?, Mémoire de Master en Sciences de l’Education, Université de

10

Au sein des European Standard Guidelines visant le pilotage de la qualité dans l’enseignement supérieur en Europe, l’une des préconisations (ESG 1.7) consiste à systématiquement rassembler des données sur des indicateurs de performance-clé du programme de formation.

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Prairat, E. (2009a). « Vers une déontologie de l’enseignement », Éducation et didactique, vol. 3, n° 2, p.113-131. Internet Média, <http://educationdidactique.revues.org/485>, consulté le 15 juin 2015.

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Prairat, E. (2015). Quelle éthique pour les enseignants ? Bruxelles, De Boeck.

Tardif, J. (2006). L'évaluation des compétences - Documenter le parcours de développement, Montréal, Chenelière.

Tardif, J. (1999). Le transfert des apprentissages, Montréal, Logiques.

Notices biographiques

Marianne Poumay et Florence Pirard sont co-titulaires du cours de déontologie dans le master en Sciences de l'Éducation et sont membres du comité d’éthique de la recherche de la Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Éducation de l’Université de Liège (ULg).

La professeure Marianne Poumay (Ph. D) dirige l’unité LabSET (Laboratoire de Soutien aux Synergies Éducation Technologies) au Département Éducation et Formation de l’ULg. Son champ de recherche et d’action est orienté vers la performance complexe (compétence) et son évaluation, le développement professionnel des enseignants et formateurs et la façon dont les technologies peuvent soutenir l’apprentissage et le développement.

La professeure Florence Pirard (Ph. D) dirige l'unité PERF (Professionnalisation en Éducation: Recherche et Formation) au Département Éducation et Formation de l'ULg. Ses publications sont centrées sur la formation initiale, l'accompagnement et le développement professionnel dans l'accueil et l'éducation des jeunes enfants.

6. Se situer par rapport à sa propre autorité dans la relation éducative : une réflexion

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