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EN ÉDUCATION ET EN SANTÉ

1. Professionnalisation des enseignants

Depuis les années 1960, plusieurs catégories de travailleurs se sont regroupées au sein d’associations professionnelles5

qui ont dû, pour répondre aux lois en vigueur dans les pays occidentaux, se doter d’une éthique professionnelle (Unesco, 2010). Les enseignants de la plupart des pays anglo-saxons6 n’ont pas échappé à la vague de professionnalisation et aux codes d’éthique perçus par les autorités politiques et éducatives comme un des principaux remèdes « pour améliorer la condition enseignante » (Tardif, 2013, p. 266). Dans les pays francophones, les enseignants n’ont par contre pas suivi cette tendance même s’ils sont directement touchés par les processus de professionnalisation7. Au Québec, les programmes universitaires en éducation visent à former un enseignant professionnel. Le terme de « professionnel » possède ici le sens contemporain de « travailleurs exerçant une activité ayant le même nom, et par conséquent dotés d’une visibilité sociale, bénéficiant d’une identification et d’une reconnaissance, occupant une place différenciée dans la division sociale du travail, et caractérisés par une légitimité symbolique » (cité par Artois, 2014, p. 4).

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Point de vue qui s’intéresse à la moralité de la personne plutôt qu’à la moralité de ses actes.

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Uniquement au Québec, cette période a vu naître plus de quarante regroupements professionnels.

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On retrouve des associations professionnelles d’enseignants en Grande-Bretagne, mais aussi dans les anciennes colonies anglaises à l’instar des États-Unis, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Canada anglais, de l’Inde et de plusieurs pays africains.

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Nous ne pouvons ici discuter des raisons pour lesquelles les enseignants des pays francophones ne forment pas d’associations professionnelles. Cela exigerait un trop long développement.

En fait, le souhait de voir les enseignants québécois devenir de véritables professionnels apparaît clairement au milieu des années 1960 chez les rédacteurs du rapport Parent8: « En situant la formation des instituteurs au niveau universitaire, nous avons recommandé la première mesure requise pour que l'enseignement puisse se comparer aux autres professions » (1963, Tome 2, p. 213). La formation à l’enseignement est alors transférée dans les universités avec le mandat de professionnaliser les enseignants. Plusieurs spécialistes du système éducatif québécois (Tardif, Lessard et Gauthier, 1998; Lessard, 1998) ont constaté que la formation universitaire a contribué, au cours des cinquante dernières années, à leur professionnalisation, mais qu’il leur reste encore un long chemin à parcourir pour être reconnu comme des professionnels.

Les enseignants québécois reçoivent une formation universitaire de quatre ans qui les prépare à agir comme des professionnels9 même s’ils n’en ont pas le statut officiel. Le statut officiel de professionnel est administrativement accordé par l’Office des professions du Québec (OPQ). Des associations d’enseignants ont déjà formulé une demande de reconnaissance auprès de l’OPQ, mais elle a été rejetée. Dans son avis, l’Office a considéré que les enseignants bénéficieraient déjà d’un encadrement légal adéquat10

. Il faut savoir que plusieurs puissants syndicats de l’éducation ont mené et mènent encore aujourd’hui une lutte idéologique contre l’adhésion des enseignants à un Ordre professionnel. Leurs arguments officiels portent sur le coût à payer par chaque membre pour appartenir à un ordre professionnel et sur l’obligation d’évaluation des compétences des enseignants11. Ainsi, même si la formation à l’enseignement a

été rehaussée afin que les enseignants accèdent à un statut de professionnel, même si une plus grande autonomie morale leur est reconnue, et même s’ils doivent répondre à des attentes accrues en termes d’imputabilité et de responsabilité, ils ne sont malheureusement pas encore reconnus

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Le rapport Parent, publié en 1963, fait état des orientations politiques prises par la Commission royale d'enquête

sur l'enseignement dans la province de Québec formée en 1961. Parmi les apports les plus marquants de ces

orientations, soulignons la création d'un ministère de l'Éducation, la scolarisation obligatoire jusqu'à 16 ans, la formation universitaire des enseignants et la création des universités publiques (UQAM, UQTR, UQAC, UQAR, UQAT et UQAH, aujourd’hui UQO).

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La formation des enseignants québécois est fondée sur un référentiel qui comprendre 12 compétences, dont l’une est dédiée au professionnalisme et à l’éthique. Elle vise explicitement à former un professionnel (MEQ, 2001)

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Pourtant l’Office a reconnu que l’enseignement répond aux critères habituellement utilisés pour évaluer la pertinence de la formation d’un Ordre professionnel. Toutefois, il faut savoir que les sondages menés par l’Office auprès des enseignants montrent que la majorité des enseignants ne voulaient pas d’un tel Ordre.

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À côté de cela, il faut dire que les syndicats protègent leur pouvoir face à l’État. En revanche, un Ordre professionnel vise essentiellement la protection des publics desservis par les professionnels.

comme de véritables professionnels. De plus, il se pourrait bien qu’ils ne se perçoivent pas eux- mêmes comme des professionnels.

Au niveau de l’éthique, la situation des enseignants québécois est à cet égard bien particulière. Ils sont formés pour se comporter éthiquement comme des professionnels, mais ils n’adhèrent pas formellement à un code d’éthique. C’est pourquoi nous défendons l’idée qu’ils devraient partager une éthique commune. À cet égard, une telle éthique ne devrait pas être si différente des éthiques qui encadrent les professions où les interactions humaines sont centrales. Comme l'ont souligné Gohier (1999) et Legault (2003), un professionnel se distingue par son éthique. Durkheim écrivait à ce sujet qu’« il est impossible que chaque activité professionnelle n’ait pas sa morale » (1969, p. 54). C’est d’ailleurs leur adhésion à un ensemble de valeurs et de normes éthiques communes qui pourrait mieux soutenir leur crédibilité auprès de la population et servir d’argument pour le rehaussement de leur image de marque.

Le débat concernant la reconnaissance du statut de professionnel des enseignants québécois n’est pas clos. Si plusieurs chercheurs ont montré que l’enseignement tel que pratiqué par les enseignants québécois rencontre tous les critères qui établissent la professionnalité d’un corps d’emploi (Gohier, 2007), d’autres chercheurs rapportent que les enseignants ne sont pas des professionnels. En lien avec ce débat, Lemosse (1989) relève que les enseignants sont souvent considérés comme des semi-professionnels. Au final, sont-ils ou non des professionnels ? Nous prenons partie pour la reconnaissance de leur statut de professionnel. Par conséquent, nous souscrivons à l’idée qu’ils devraient se doter d’une éthique professionnelle. Mais quelle serait cette éthique ? Avant d’en proposer quelques orientations normatives, voyons les principaux critères qui déterminent habituellement la professionnalité d’un corps d’emploi.

Plusieurs critères sont couramment utilisés pour définir une profession: 1) le travail accompli est un service essentiel et unique pour la société; 2) la formation spécialisée mène à une certification et donne un droit de pratique exclusif; 3) elle réfère à des savoirs et à des compétences reconnues; 4) elle est une pratique qui demande une grande autonomie intellectuelle; 5) elle vise des finalités qui lui sont propres; 6) elle requiert une mise à jour constante pour améliorer la pratique; 7) elle implique de grandes responsabilités morales vis-à-vis des élèves, des pairs, des parents et de la population; 8) elle constitue des comités de pairs qui

réfléchissent sur les pratiques de la profession, sa promotion, son image professionnelle et ses balises éthiques (Anadon, 1999).

Un professionnel n'a pas une pratique routinière ou mécanique, et on le sait capable de réfléchir sur tous les aspects de son travail (Schön, 1994). Par tradition, les professionnels s’unissent dans une association ou un Ordre professionnel. Ils acquièrent alors une autorité sur les questions d’éthique, de formations initiale et continue, de qualifications pour l’enseignement, d’insertion professionnelle, de délimitation des actes professionnels, de pédagogie et de promotion de leurs idéaux. Aussi, les Ordres professionnels prennent en charge la régulation et la supervision du travail de leurs pairs (Bourdoncle, 1998). Cela suppose, comme le relevait Perrenoud (1994), une capacité collective de s'organiser, de développer les différentes dimensions de la profession, de représenter les membres et de faire le suivi sur les questions d’éthique. Ajoutons à cela qu’ils devraient aussi se doter d'un comité disciplinaire qui aurait le mandat de traiter les fautes et les manquements professionnels.

Il est possible de regrouper les critères qui déterminent la professionnalité d’un corps d’emploi sous trois aspects : 1) le professionnalisme et l’éthique (les devoirs); 2) la définition et la standardisation des savoirs, des pratiques et des formations (les savoirs); et 3) le développement de l'identité professionnelle et la reconnaissance sociale de la profession (autonomie, autorité et responsabilité). Pour éviter de les confondre, il apparaît prudent de distinguer les concepts de professionnalité, de professionnalisme et de professionnalisation. La professionnalité renvoie aux critères qui déterminent le passage d’un métier à une profession. Le professionnalisme permet de juger de la qualité d’une pratique accomplie avec compétence dans le respect des personnes qui reçoivent les services. La professionnalisation concerne d’une part, le rehaussement de l’identité et du statut des enseignants, et d’autre part, la standardisation ou la normalisation des savoirs, des pratiques et des formations (Lang, 1999). Par conséquent, la professionnalisation des enseignants et la professionnalisation de l’enseignement sont indissociables, mais distinctes. Toutefois, le développement de la professionnalisation des enseignants (statut) contribue au développement de la professionnalisation de l’enseignement (les pratiques).

Même si l’enseignement n’est pas reconnu comme une profession dans le sens de la loi québécoise et même si les enseignants, qui commencent à être reconnus comme des professionnels ne sont pas regroupés dans un Ordre professionnel, leur formation les prépare tout de même à se comporter comme des professionnels. Par conséquent, on pourrait s’attendre à ce qu’ils adhèrent à une éthique professionnelle commune qu’ils auront eux-mêmes définie, établie et rédigée.

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