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Les principes qui fondent l’obligation de régulation

EN ÉDUCATION ET EN SANTÉ

2. L’éthique des enseignants

2.3 Les principes qui fondent l’obligation de régulation

Une éthique vise, notamment, la régulation des pouvoirs légitimes reconnus aux enseignants. Ces pouvoirs qui leur confèrent des libertés d’action et de décisions peuvent se décliner ainsi: 1) l’autorité professionnelle; 2) l’autonomie pédagogique; 3) les responsabilités à l'égard des élèves et du système éducatif; et 4) la capacité de conserver la confiance des élèves, des parents, des collègues, de l’institution et du public. Ces quatre déclinaisons de pouvoir, qui ne sont pas exclusives mais plutôt complémentaires, sont à la base de leur statut d’enseignant en tant que professionnel qualifié. En fait, être en position d’autorité, être autonome pédagogiquement, assumer de nombreuses responsabilités et conserver la confiance des élèves et du public

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Réserve prudente pour éviter le prosélytisme, l’endoctrinement et les propos idéologiques déplacés.

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La juste distance affective et physique à tenir avec les élèves.

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À l’exception de l’obligation de déclarer les situations où un élève vit de la maltraitance dans sa famille.

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Cette norme s’adresse à tous les fonctionnaires de l’État québécois. Elle est inscrite dans le code d’éthique des fonctionnaires.

confèrent certes de grandes libertés d’action et de décisions, mais celles-ci ne pourraient être illimitées. C’est pourquoi leurs pratiques doivent être régulées, notamment, par des normes éthiques et juridiques19. On ne peut ici, par manque d’espace, présenter un exposé au sujet de ces quatre déclinaisons des pouvoirs des enseignants, toutefois nous avons choisi de discuter brièvement des limitations qui concernent leur autorité professionnelle et leur autonomie pédagogique.

La modernisation des systèmes d’éducation et de la formation à l’enseignement a contribué à renforcer l’autonomie pédagogique des enseignants. L’autonomie pédagogique doit ici être différenciée de l’autorité professionnelle. L’autorité professionnelle, dont on disait autrefois qu’elle était une obéissance consentie par autrui, peut être dorénavant traduite en termes de responsabilité20 et de reconnaissance. Être en position d’autorité, pour un enseignant, c’est d’abord être responsable des élèves. Cette autorité professionnelle de l’enseignant implique de la part des élèves, une reconnaissance légitime et asymétrique21 et non une soumission ou une obéissance. Un enseignant détient l’autorité professionnelle qui lui permet de sanctionner un élève, d’évaluer ses productions scolaires, de veiller à la discipline dans sa classe, etc. Cette autorité professionnelle l’inscrit dans une position de responsabilité éducative qui vise les intérêts supérieurs des élèves. Un enseignant est en position d’autorité non uniquement sur les élèves de sa classe ou de ses classes mais, selon la Cour suprême du Canada, des tous les élèves de son établissement scolaire. À cet égard, il peut intervenir auprès d’un élève dans n’importe quel endroit public de l’école (corridor, cafétéria, cour de récréation, etc.). En somme, l’autorité professionnelle lui confère une légitimité pour enseigner, intervenir, sanctionner, diriger la classe, etc. On aura compris que cette autorité ne correspond pas à une position de supériorité sur les élèves; dans le sens éthique, il est préférable de la comprendre en termes responsabilité à l’égard des élèves.

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Il existe également nombre de règles pédagogiques, didactiques, politiques, sociales et économiques.

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L’acte d’autorité se distingue de tous les autres par le fait qu’il ne devrait pas rencontrer d’opposition de la part des personnes sous son autorité. S’il y a opposition, alors on dit que la relation d’autorité ne fonctionne pas, c'est-à-dire que l’autorité n’est pas reconnue. Par contre, la reconnaissance permet à la personne en autorité d’agir sur autrui, en cherchant à modifier son comportement sans s’attendre à subir un coutre-coup de sa part, une réaction négative de sa part.

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La reconnaissance est asymétrique dans la mesure où les liens ne sont pas réciproques : la personne sous l’autorité d’une autre personne accepte ses demandes sans que cette dernière formule les mêmes demandes. La personne en autorité n’a pas à négocier ses demandes ni à utiliser la force. Cela signifierait que les liens d’autorité sont rompus. L’autorité de l’enseignant, en fait, exclut la force, dans la mesure où elle est reconnue. Or, les problèmes surviennent lorsqu’elle n’est plus reconnue et que l’enseignant se voit obligé d’utiliser la négociation ou la force.

L’autonomie pédagogique concerne les moyens à mettre en œuvre pour assurer la réussite scolaire des élèves. À cet égard, l’enseignant peut notamment choisir, dans le cadre des programmes scolaires, le matériel pédagogique, les textes et documents didactiques, les activités d’enseignement, les modes d’évaluation. Toutefois, cette autonomie pédagogique n’est pas illimitée, car les enseignants la partagent avec leurs collègues, leur direction scolaire, leur commission scolaire et le ministère de l’Éducation. Ils doivent d’emblée connaître les limites de leur autonomie pédagogique et s’assurer que leurs activités d’enseignement soient en phase avec les orientations pédagogiques de l’institution scolaire. Toutefois, plusieurs situations touchant l’autonomie pédagogique peuvent déboucher sur des dilemmes moraux. Donnons uniquement l’exemple du choix d’un texte littéraire à l’instar du célèbre roman Le Grand Cahier d’Agota Kristof. Nombre d’enseignants choisissent, pour de bonnes raisons pédagogiques, de suggérer cette lecture à leurs élèves même s’ils savent que cela pourrait soulever une controverse éthique. Il est arrivé, autant au Québec qu’en France, que des établissements scolaires contestent ce choix pédagogique. L’autonomie pédagogique de l’enseignant est alors remise en question et ce dernier doit proposer de bons arguments pour défendre son choix pédagogique22.

En somme, l’autonomie pédagogique est normée et régulée par des traditions scolaires, mais aussi par des décisions juridiques. Mais être autonome, c’est pouvoir prendre des initiatives, créer, faire les choses autrement, expérimenter une nouvelle activité pédagogique, par exemple. C’est pourquoi être autonome demande aux enseignants une constante autorégulation23

. Non pas qu’ils doivent se contraindre, mais qu’ils doivent être en mesure de justifier leurs décisions. Cela

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Des enseignants ont eu des sanctions parce qu’ils ont tenu tête à leur direction scolaire (on traite ces situations comme des actes d’insubordination). Au tribunal du travail, selon nos propres recherches (Jeffrey, 2013), les enseignants ont gain de cause une fois sur deux. Les principales raisons d’insubordination touchent le matériel scolaire, l’évaluation, la gestion de classe et les activités parascolaires.

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En fait, la capacité de se réguler soi-même est la condition de la reconnaissance de l’autonomie individuelle. Dans ses travaux sur la « curialisation », Norbert Élias (1973) a soutenu que l’autorégulation produit l’autonomie, c'est-à- dire qu’en apprenant à se contenir, un individu devient autonome. En fait, Élias montre que les mœurs occidentales (civilisation occidentale) se développent dans la mesure où les individus arrivent à autoréguler leurs conduites spécifiquement dans les situations d’interactions sociales qui demandent de la retenue, de la pudeur, de la contenance, etc.; il s’agit là des vertus sociales à la base du civisme, de la civilité, de la politesse, en fait, du savoir- vivre-ensemble. Élias énonce une théorie qui permet de comprendre pourquoi l’autonomie pédagogique implique que les enseignants puissent réguler d’eux-mêmes leurs conduites. Par la suite, on peut alors montrer comment l’éthique, en tant que système de régulation des libertés humaines, contribue à soutenir des enseignants reconnus autonomes qui doivent agir non seulement pour conserver la confiance des élèves, mais aussi celle de leur direction scolaire et du public en général. Pour acquérir leur autonomie, un enseignant (et tout autre individu par ailleurs), doit montrer qu’il est apte à se contrôler, à se maîtriser, c'est-à-dire à s’autoréguler par lui-même. En agissant d’une manière autonome, les enseignants doivent éviter de perdre la confiance des élèves et celle de leur direction scolaire et du public en général. Sur la question de la confiance, on peut lire l’excellent livre de Patrick Watier (2008).

signifie qu'un enseignant doit trouver suffisamment de ressources en lui-même (motivation, volonté, inspiration, intérêt, idéaux, bons sentiments) pour agir en tout temps pour le bien des élèves, et, dans les situations de conflits, trouver les meilleurs arguments pédagogiques pour défendre sa décision. Dit autrement, on considère qu’un enseignant est autonome, au niveau de l’éthique, parce qu’il aurait de telles ressources pour agir en fonction du bien des élèves et pour défendre ses choix pédagogiques.

Au final, étant donné leurs responsabilités, leur autorité professionnelle et leur autonomie pédagogique sont reconnues. De plus, tous s’attendent à ce que les enseignants se conduisent selon les standards de leur profession. D’emblée, on leur fait confiance, c'est-à-dire qu’on ne remet pas en question leurs compétences pour des pacotilles. Il existe une sorte de biais en leur faveur. La confiance règne tant qu’un enseignant montre par ses conduites, ses décisions et ses justifications éthiques et pédagogiques qu’on peut lui faire confiance. Il doit donc agir en tout temps pour conserver cette confiance qui lui est plus facilement acquise parce qu’il souscrit à des valeurs et des normes partagées par l’ensemble des enseignants.

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