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II. 1. Niveau phonétique

II.1.2. Variantes expressives et stylistiques

II.1.2.1. Prononciation populaire

La prononciation populaire sous-entend la prononciation non normée, elle est frappée par plusieurs phénomènes phonétiques comme la réduction quantitative ou qualitative des sons.

La réduction des phonèmes peut être quantitative ou qualitative, elle peut se produire au début, au milieu ou en fin de mot ou de groupe de mots. La réduction quantitative et/ou qualitative est marquée par une forte corrélation. Tous les spécialistes soulignent que le raccourcissement du temps du résonnement d’une voyelle non accentuée provoque des modifications qualitatives lors de sa prononciation. Ce phénomène phonétique a lieu non seulement dans le parler populaire mais en général à l’oral. En dehors de l'accent tonique, il y a une neutralisation vocalique des voyelles [a], [o], [e], mais parfois même des voyelles [i] et [u]. C’est donc le degré et le type de la réduction qui va déterminer la distance de l’éloignement de l’unité langagière de la norme phonétique.

dans l’espace (strates périphériques). Dès lors, nous pouvons souligner l’existence de la différentiation stylistique des variantes tout en précisant cependant que cela doit être perçu non comme facteur de démarcation principal mais comme facteur langagier secondaire et complémentaire

Le processus d’amuïssement de phonème est plus fréquent que celui de l’élargissement.

La réduction quantitative des voyelles non toniques au début des mots (aphérèse) touche les voyelles de tous les rangs : [a], [o], [i] - rixmetika (au lieu de arifmetika / une

arithmétique), kejan (au lieu de okean / un océan), strument (au lieu de instrument / un instrument).

La syncope, qui désigne le phénomène de disparition de voyelles au milieu du mot, est aussi un phénomène relativement fréquent : vkrug (au lieu de vokrug / autour). Par contre, la réduction quantitative vocalique en fin de mots (une apocope) n’est pas très fréquente : v’juno$ (au lieu de juno$a / un jeune homme). Les mots-outils subissent plus souvent ce type de déformation dans la mesure où leur fin n’est pas porteuse de sens : !tol’ (au lieu de !to li / n’est-ce pas), !tob (au lieu de !toby / pour que).

Les occurrences tirées de notre corpus nous démontrent que la réduction qualitative ou d’autres transformations vocaliques sont des phénomènes qui se produisent à grande échelle dans le russe oral.

Par ailleurs, nous pouvons y trouver des exemples de remplacements « classiques » et inattendus d’une voyelle par une autre. Le phonème [a] se transforme parfois en [ja] sous l’influence de la voyelle complexe qui précède : kejan / un océan, tejatr / un théâtre. La voyelle labialisée [o] dans la prononciation populaire peut se transformer en [i], [e], [u] : po#ikolatnej / avec plus de chocolat, sumnenie / un doute. La voyelle rétractée moyenne [e] peut subir des modifications en se transformant en : [i], il s’agit d’une réduction quantitative classique pour la forme orale de la langue russe, mais également en [a] et en [u] : marmaladec / de la pâte de fruit, sur’'znyj / sérieux. Dans ces derniers cas, le mot revêt une prononciation populaire. Le mot acquiert une prononciation populaire lorsque le phonème [i] se transforme en [o], [a] et en [y] : prozrak / un fantôme, ameniny /

une fête, prync / un prince ou lorsque le phonème [y] se transforme en [o] : non!e / maintenant. Enfin, les modifications peuvent toucher la voyelle fermée labialisée [u]

lorsqu’elle est prononcée comme [y] : glyb’ / une profondeur ou comme [o] : skopec / un

avare.

En ce qui concerne la prononciation populaire des consonnes russes, les occurrences tirées du diptyque nous démontrent qu'elles subissent aussi une réduction quantitative au début, au milieu et en fin de mot.

L'analyse des exemples cités nous permet de dire que c'est la consonne labiale [v] qui est la plus concernée : Ar$ava (au lieu de Var$ava / Varsovie), mazolej (au lieu de mavzolej

/ un mausolée). Nous y trouvons également des exemples de la réduction quantitative des

consonnes [g], [d], [n]: imnazija (au lieu de gimnazija / un lycée), transparat (au lieu de

transparant / une banderole), fer$al (au lieu de fel’d$ir / un médecin militaire). Ces

exemples démontrent que la réduction qualitative peut toucher une consonne ou un groupe de consonnes.

L’assimilation régressive des sifflantes se produit selon les modèles suivants : une sifflante + une chuintante se transforment en chuintante longue ou bien une sifflante se transforme en chuintante :

[z$´] en [%:] : prika#ik / un intendant ; [s] en ["] : vo$pitatel’ / un éducateur ;

[s] en [$] : pa!portist / une personne chargée de délivrer les passeports .

Si le premier phénomène est un simple marqueur d’oralité, les deux dernières transformations caractérisent la langue populaire.

Dans notre corpus, nous pouvons trouver des exemples de modifications fonctionnant dans les deux sens. Dans ce cas de figure, la consonne est toujours remplacée par une autre consonne de la même catégorie (selon le point et le mode d'articulation) :

liquides : [r] en [l]: lepeticija / une répétition [l] en [r]: fer$al : un aide-médecin ; gutturales : [k] en [x] : axt'r/ un acteur

[x] en [k]: karakter / un caractère;

nasales : [n] en [m]: kupidom / le cupidon

[m] en [n] : bonby / des bombes.

Parmi les autres modifications donnant aux mots une sonorité populaire nous pouvons nommer :

[t] en [k] : apekit / l’appétit; [x] : xitradka / un cahier; [p] : protuvar / un

trottoire;

[r] en [r’] : zer’kalo / un miroire;

[n] en [p] : pasturcii / une capucine;

[g] en [d] : andel’skij / angélique;

[f] en [x] : xvamilija / un nom de famille; [p] : $kap / une armoire;

[d] en [n] : ka%nyj / chacun;

[v] en [s] : skus / le goût; [r] : naskroz’/ à travers.

La simplification accompagnée parfois de l’assourdissement et/ou de la réduction des groupes de consonnes :

[*d] en [*':] - do%%' / la pluie; [zn] en [s] – %ist’ / la vie;

[g$ ] en [g"] ou [$"] – leg$e ou le!$e / plus facile.

À l'oral, la réduction quantitative peut toucher non seulement une voyelle ou une consonne, mais aussi une syllabe, ou même plusieurs. Dans le diptyque nous pouvons voir également la réduction totale d'une voyelle qui peut parfois être à l'origine de la disparition des syllabes : mo$enstvo (au lieu de mo$eni!estvo / une escroquerie), tem’ (au lieu de

temen’ / l’obscurité), ja te (au lieu de ja tebe / je te). La réduction quantitative de la fin

d’un mot fait parfois de sorte qu’il se retrouve rattaché au mot suivant : samdele (au lieu de

v samom dele / en réalité).

W; 7=/P1;, E;-;<41, -J 4 .-3+$%$ 8;E34 -;;2<#541D, 2/>1; N 45 -#R=E; ><#E;?=77;E; @;>#<6# 8;E/ @<=01/@41D?!1

Est-ce que, –dit-il -, vous avez vraiment pu vous imaginer que je pouvais pécher à cause de votre cher cadeau ?

Les numéraux, ordinaux, cardinaux ou collectifs, recensés dans L’Année du Seigneur et Le Pèlerinage, se révèlent également marqués par le phénomène de variation. Dans le diptyque, il s'agira surtout des paires composées d'un élément normé opposé à un élément issu de la langue populaire. Ce qui veut donc dire que la langue populaire a tendance à s’approprier la prononciation et la déclinaison des numéraux en passant par différents moyens que nous allons analyser dans ce paragraphe.

Deux types de variantes peuvent être relevés parmi les numéraux ordinaux ou cardinaux : variantes phonologiques et morpho-phonologiques.

L'analyse des numéraux de notre corpus démontre que les variantes phonologiques contiennent le plus souvent des procédés d'omission d'un son ou d'une syllabe entraînant parfois la transformation phonétique du mot. Les numéraux qui sont touchés par ce phénomène sont les numéraux cardinaux $esdesjat / soixante, million / million et le numéral ordinal sed’moi / septième.

S X#R6# 0=2= @;.;64-#=1 — ./& 2)2+$.8/ &+:-…1

Quant à Pa"ka, il continue à conter – cent soixante-et-un… ( $i$desjat au lieu de $esdesjat ; transformation du s en $)

Y# /;91 -J</.64-0, @;0.41#K1=.2

Il y a plus de mille roubles de chiffre d'affaires, comptez. (ty#a au lieu de tysja!a ; transformation de sja! en # )

<)%)$: 7#<;>/! — -01<=.#=1 9#043D 9#0434..3

Une foule ! – accueille Vasil’ Vasili$. (milien au lieu de million; transformation du o en e, des particularités sonores du slavon par rapport au russe).

M;<;6 .$3&=, >#-#K!..4 / Le quarante-septième, vas-y!.. ( semoj au lieu de sed'moj, omission du d)

Il est judicieux de préciser que parfois la variante d’un numéral n’est pas due aux transformations phonétiques propres au discours oral, mais apparaît comme vestige du 1 Ibid., p. 135. 2 Ibid., p. 35. 3 Ibid., p. 143. 4 Ibid., p. 46.

slavon. En effet, la variante populaire du numéral cardinal vosem’ / huit ( ainsi que dans les autres numéraux commençant par vosem- : vosemnadcat’ / dix-huit, vosemdesjat /

quatre-vingt ) ou du numéral ordinal vos’moj / huitième ( ainsi que dans les autres numéraux

commençant par vos- : vosemnadcatyj / dix-huitième, vos’midesjatyj / quatre-vingtième ) est due au fait qu’en vieux slave le numéral en question a la forme os’m’.

[...] N 6 I-=<06;K1 0;<;6 <#5 0:;>41D @;;2=A#30N, 4 1; 7= >;:;>43, &.03:-+>-/0 :;>;- 5# 87;K.2

[...] ça fait une quarantaine de fois que je me suis promis d’aller à la Porte d’Ivères, mais je n’y suis pas allée, je dois y aller dix-huit fois. ( os'mnadcat' au lieu de vosemnadcat' )

Le numéral odin / un a une variante d’origine slavonne dans notre corpus ( l’emploi du e [je] initial auquel correspond le o [;] russe ). Cette variante figure soit dans les expressions tirées des prières, des chansons populaires ou encore dans le discours de Gorkin portant sur les sujets religieux.

« 7461; P= 23#E, 1;68; $+):…»3 - (une prière) « personne n’est bon, sauf toi seul… »

?+): 83#> ;:;1746 [...].4

Un jeune chasseur [...]. (une chanson)

Le numéral tysja!a / mille a deux variantes morpho-phonologiques dans notre corpus. Sa variante populaire ty#a, ou encore la variante contenant le suffixe affectivo-diminutif ty#onka ont plusieurs significations : ils peuvent désigner le nombre concret de 1000 personnes ou objets, mais également avoir le sens proche de l’adverbe énormément. On retrouve aussi des formes populaires de la variante ty#a dans les cas obliques. Autre chose à signaler : les variantes populaires du numéral en question se retrouvent à côté des substantifs à déclinaisons erronées, considérées également comme partie du registre populaire : ty#i mestov / beaucoup d’endroits, ty#e mestov / beaucoup d’endroits, ty#i

narodu / beaucoup de monde, bole ty#i / plus d’une mille.

1 Voskresenskie vorota – cf. notre annexe « Réalités russes ». 2

I. S. )mel'v, Bogomol’e, p. 101. 3 I. S. )mel'v, Leto Gospodne, p. 196. 4 Ibid., p. 268.

@;9&:&( >=0N1D 7#2<#3-0, >;2=</! 1

J’ai réuni environ dix milles, j’en réunirai encore.

L;-;<41, 8;1#N0D: « - /;9) 3$./&' 7#>;1D… K=>//! »2

Il dit en s’agitant dans différents sens : « je dois aller encore dans beaucoup d’endroit… j’y vais ! »

9 /;9$ 3$./&' 2J3; -0'… 6#6 =01D, - @-<N>6=!3

Je suis allé dans beaucoup d'endroits… tout est dans l'ordre!

[...] /;9) :-,&+1 5#-1<#, [...].4 / [...] demain il y aura une foule, [...].

[...] 5&%$ /;9) @;>-;> 7#E7#34.5 / [...] on a fait venir plus de mille de chariots.

Un mot à part doit être dit concernant les modifications populaires des prénoms et des patronymes. Nous pouvons énumérer les moyens suivants de la formation des formes

populaires à base de la forme documentaire6 grâce aux occurrences recensées dans notre

corpus :

1) réductions quantitatives :

- aphérèse de la première voyelle du prénom (Katerina productif

1 Ibid., p. 65. 2 Ibid., p. 89. 3 Ibid., p. 69. 4 Ibid., p. 90. 5 Ibid., p. 223.

6 On distingue trois formes de prénom en Russie :

- le nom dit documentaire – il s’agit du nom indiqué dans les documents officiels;

- la forme populaire du prénom – la forme productive de la forme documentaire qui s’est formée dans la langue populaire. Ces formes populaires existent depuis longtemps dans la vie de tous les jours et deviennent parfois documentaires avec le temps. Parmi les prénoms recensés dans le diptyque, les prénoms comme Egor (productif de Georgij) ou Ivan (productif du prénom canonique Ioann) sont concernés par ce phénomène. Les changements phonétiques sont relativement considérables et parfois la nouvelle forme a peu de choses en commun avec la forme d’origine (comparez Avdot’ja, productif de Evdokija).

- la forme parlée du prénom – la forme productive du prénom documentaire formée dans la langue parlée. Cette forme a généralement subi moins de changements phonétiques que la forme parlée. En analysant les prénoms de ce type nous pouvons dire qu’ils sont presque tous formés dans l’unique but de faciliter leur prononciation à l’oral.