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La russité de la littérature de l’émigration

I.2. Langue oralisée russe

I.2.3. L’apport de la littérature de l’émigration

I.2.3.2. La russité de la littérature de l’émigration

Enfin, l’amour envers le peuple russe, l’amour terrestre, simple mais toujours sincère, se ressent à travers toute l’œuvre des écrivains en émigration. Nous pouvons ainsi parler de la russkost’ (la russité) de leurs ouvrages. C’est F. Dostoevskij qui fut à l’origine de l’apparition de la notion de l’idée russe. Plus tard, cette idée a été développée dans les travaux du philosophe Vladimir Solov’'v.

Dans un paragraphe précédent, nous avons évoqué la mission dont les émigrés russes se sont chargés. Les écrivains et les poètes en émigration tenaient absolument à sauvegarder non seulement les traditions du Siècle d'Argent mais également la culture et l'esprit russe. Les intellectuels russes ont même élaboré la notion de russkost' à propos de laquelle Dimitri Schakhovskoy écrit la chose suivante : « pour désigner cette notion de " russité " ils [ les intellectuels russes ] avaient même forgé le mot russkost', plus fréquent encore que celui de russost', à notre sens plus logique [...] »1. Le phénomène de la russité touche la majorité de leurs oeuvres, surtout celles des écrivains, des poètes et des philosophes de « l'ancienne génération » : Georgij Adamovi$, Ivan Bunin, Ivan )mel'v, Sergej Bulgakov, P'tr Struve, Antonin Ladinskij et beaucoup d’autres. L'idée russe est la thèse centrale du livre de Nicolaj Berdjaev L’Idée russe : problèmes essentiels de la pensée

russe au XIXe et au début du XXe siècle (Russkaja ideja : Osnovnye problemy russkoj mysli XIX veka i na!ala XX veka), 1946. Selon D. Schakhovskoy « l'usage répété de ces

termes »2 dans le milieu de l'émigration russe prouvait non seulement leur envie de sauvegarder la culture russe à tout prix, mais également cela véhiculait l'état d'âme d'un

1 D. Schakhovskoy, Bibliographie des œuvres d’Ivan Chmel'v, op. cit., p. 6. 2 Id.

émigré russe et sa « recherche d'identité »1.

Dans toutes les œuvres des émigrés de la première vague, ces derniers insistent sur la différence entre eux, les représentants de l’âme slave et les Européens. Ces derniers sont en effet perçus comme des matérialistes, cherchant toujours le profit et incapables de s’adonner au plaisir spirituel. D’où la difficulté d’intégration dans ce monde sans âme. Dans ses mémoires sur les artistes célèbres de l’émigration russe en France, Irina Odoevceva cite le témoignage d’Ivan Bunin :

Entre nous, les Russes, et eux il y a un gouffre, ils ne sont pas comme nous. Ils nous sont incompréhensibles. Nous ne les comprenons pas ainsi qu'eux ne nous ne comprennent pas. La seule âme slave2, que l’on nous prête, en dit long. 3

Aussi, pouvons-nous observer la cultivation du culte du « bouleau russe » sur les pages de ces ouvrages.

Un genre particulier de cliché littéraire a été créé – il s'agit du récit-souvenir, consacré obligatoirement à la vieille Russie avec ses bouleaux lyriques qui est tout à fait dans le style des romans destinés à faire pleurer les visiteurs des restaurants russes.4

Dans la représentation de leur patrie les écrivains russes ne privilégient pas les qualités au détriment des défauts, cette représentation n’est jamais non plus ni totalement blanche, ni totalement noire, mais de couleur objective. Ensuite, les nuances vers le positif ou vers le négatif peuvent varier en fonction de l’époque, des courants littéraires, etc. Il se trouve que l’émigration russe du début du XXe joue un rôle particulier dans la mise en relief des caractéristiques positives de la vie russe d’antan. La Russie est devenue donc le motif principal des œuvres des écrivains et des poètes russes de la première génération de l'exil. Ils avaient un besoin physique d'en parler, de consacrer à ce sujet des centaines de pages, car c'était leur thérapie. Nous pouvons diviser les représentations littéraires de la Russie en trois grands groupes : la Russie d'autrefois, la Russie bolchevique et la Russie du futur. Or malgré les divergences d'opinions, c'est l'amour envers la Russie qui fut le lien entre les différents groupes de l'intelligentsia russe en exil. Les écrivains se transformaient

1 Id.

2 En français dans l'original.

3 I. Odoevceva, Na beregax Seny, op. cit., p. 377.

alors en célébrants, chargés de rendre hommage et vénération à la Russie d'avant la Révolution. Ainsi, l'œuvre des acteurs littéraires russes est marquée par leur penchant pour les contes et les chansons traditionnelles, les byliny, les rites. D’ailleurs, c’est justement à partir des années 1920 que les œuvres stylisées sous forme de skaz prennent une dimension très importante dans la littérature de l’émigration.1 L’histoire et les traditions russes sont si précieusement gardées que chaque détail de la vie d'avant la Révolution prend une importance à leurs yeux et est traité comme une pièce de musée.

Cet esprit russe prenait par ailleurs ses sources dans la religion orthodoxe. Ainsi, après les années d'errance religieuse et d’enthousiasme pour les philosophies mystiques, ésotériques et orientalistes, une partie des poètes et des écrivains russes vivant désormais à l'étranger retourna vers l'Église et vers les valeurs de l’Orthodoxie. Le philosophe Ivan Il'in, dont Ivan )mel'v était très proche, a publié des articles dans la revue Russkij kolokol2,

qui critiquait l'art sans religion. Pour le philosophe émigré en Allemagne en 1922, la culture nationale spiritualiste était un hymne chanté à Dieu par toute la population. Cette idée a été reprise par l'auteur de L’Année du Seigneur et du Pèlerinage dans un article au titre symbolique : « Du"a rodiny ( L'Âme de la Patrie ) »3. )mel'v déclare dans cet article que le peuple russe n’a pu survivre à tous les malheurs de ces dernières années que grâce à sa foi en Dieu. Une grande part des écrivains et des poètes russes ont tourné leur regard vers Dieu lorsqu'ils se sont retrouvés loin de leur patrie. Or, leur perception de la religion ainsi que le rôle qu'ils attribuaient à l'Église orthodoxe différaient d'un écrivain à l'autre. )mel'v n'était pas le seul à évoquer l'importance de la religion dans l'existence du peuple russe et pour son avenir. Mais il le faisait à sa manière. En effet, si, par exemple, Boris Zajcev a opté pour la description et l'analyse de la quête religieuse des grandes figures de la littérature russe du XIXe siècle,V. +ukovskij, I. Turgenev, A. Fexov4, ou encore pour le récit des vies des saints, Ivan )mel'v a focalisé son regard d'écrivain sur les croyants anonymes.

1 Cf. S. I. Kormilov, « Osobennosti organizacii povestvovanija v romane I. S. )mel'va "Njanja iz Moskvy" », in I. S. (mel'v i literaturno-èmigracionnye processy XX veka. XIV Krymskie me%dunarodnye (mel'vskie

!tenija, Alu"ta, 2005, p. 13.

2 Cf. l'article « Krizis sovremennogo iskusstva », publié dans le deuxième numéro de la revue Russkij

kolokol. I. A. Il'in a édité cette revue de 1927 à 1930 à Berlin.

3 I. S. )mel'v, « Du"a rodiny », in Du$a rodiny. Sbornik statej ot 1924 do 1950, P., Institut scientifique russe, 1967, pp. 5-17. L'article a été publié la première fois dans le journal Russkaja gazeta v Pari%e, le 3 mars 1924.

4Cf. La Vie de Tourguenev (&izn' Turgeneva), 1932 ; Joukovsky (&ukovskij), 1951 ; Tchekov ("exov), 1954 ainsi que Serge de radonège (Prepodobnyj Sergij Radone%skij), 1925 ; Alexis, l’homme de Dieu (Aleksij Bo%ij

!elovek), 1925 ; Le Cœur d’Avraam (Serdce Avraamija), 1926 ; Près du saint Serafime (Okolo sv. Serafima),

En ce qui concerne Ivan )mel'v, inspiré par ses voyages à travers la Russie dans le cadre de son travail de fonctionnaire1, l’auteur du diptyque s’est surtout consacré au thème du peuple russe alors qu’il était en exil. Il définissait son rôle d’écrivain comme un rôle uniquement descriptif, d’observateur. Ivan )mel'v considérait qu’il n’avait pas le droit de porter de jugement sur le peuple, car cela signifiait se placer au-dessus de lui. Or, il ne se distinguait pas de ce peuple : « Je suis un homme russe et un écrivain russe. J’essaie d’écouter la vérité russe [...]. J'ai pris du peuple autant que j'ai pu, et, ce que j'ai compris, j'essaie de le recréer à l'aide de mes sentiments »2.

De nos jours, presque chaque article sur )mel'v cite la célèbre phrase de Konstantin Bal’mont, poète et proche de l’écrivain, déclarant qu’Ivan )mel'v est le plus russe des écrivains russes contemporains.3

)mel'v est si russe – il est uniquement russe, il peut être comparé en cela, en tant qu'homme et en tant qu'écrivain seulement avec Sergej Timofeevi$ Aksakov, — il a la même force, la même musicalité et l'aspect originel du langage, la même capacité bien voir, bien ressentir le côté russe dans la nature ou dans l'âme humaine soit-il ? 4

À la même époque, un autre confrère d’I. S. )mel'v, Aleksandr Kuprin, tout en soulignant la richesse du vocabulaire de l’écrivain, attirait attention sur son côté profondément russe : « )mel'v est un véritable originaire de Moscou, avec le parler moscovite, avec l’indépendance d'esprit moscovite et sa liberté de pensée »5.

Le diptyque L’Année du Seigneur et Le Pèlerinage fait partie des ouvrages cultivant le culte du bouleau russe : l'écrivain y dresse l'image de sa chère Russie et plus précisément de la vie dans le quartier du Zamoskvore$'e. Or, nous pensons que l'ironie n'a pas sa place dans la dénomination de ce groupe. Premièrement, parce que le passé évoque les traditions et les valeurs éternelles dont l'homme a besoin pour se repérer dans la vie. Deuxièmement, parce que les reproches d'idéalisation et de création d'une Russie qui n'avait jamais existé dans la réalité ne sont pas tangibles. Ne confondons pas la mission des écrivains et des

1 De 1901 à 1907, Ivan )mel'v a occupé le poste d’inspecteur des impôts à la Chambre d’État de la région de Vladimir.

2 I. Il’in, I. )mel'v, Perepiska dvux Ivanov (1927-1934), M., Russkaja kniga, 2000, p. 15. 3 Cf. K. D. Bal'mont, « )mel'v », Poslednie novosti, le 05 octobre 1933, N° 4579.

4 K. D. Bal'mont, « )mel'v, kakogo nikto ne znaet » (K-35-letiju literaturnoj dejatel’nosti Iv. Serg. )mel'va),

Segodnja, 1930, N° 345 du 14 décembre, p. 5.

5

A. Kuprin, « Ivan Sergeevi$ )mel'v », in Xronika sobytij glazami belogo oficera, pisatelja, %urnalista, M., Sobranie, 2006, p. 557.

journalistes. Les objectifs des oeuvres littéraires ne consistent pas à donner au lecteur une image documentaliste. Une oeuvre littéraire reste toujours subjective. L'image de la Russie de )mel'v a donc des traits inventifs, mais elle n'est pas toute rose, son image est humaine, car les personnages sont loin d'être parfaits. Plus que les tableaux de la vie russe l'auteur de

L’Année du Seigneur et Le Pèlerinage est préoccupé de recréer l'esprit de la Sainte Russie,

il ne s'agira donc pas d'un espace géographique, mais d'une substance métaphysique. L'auteur du diptyque soutenait le principe de l'immensité dans la culture et notamment dans la littérature. Se fondant sur ce principe métaphysique dont l'activité est étroitement liée à ce sur quoi il agit, mais le constitue de manière interne, )mel'v introduit dans ses œuvres l’opposition « synchronie – diachronie ». La notion de « mémoire culturelle » est la clé de voûte de cette opposition linguistique qui sous-entend de donner une deuxième vie au lexique et aux tournures syntaxiques archaïques, en les mélangeant avec les éléments langagiers modernes. Selon l’écrivain, au début du XXe siècle, « la parole du peuple » se retrouve souvent à la périphérie de la langue. Cela, non seulement se produit à la suite de la disparition de telle ou telle réalité, mais c’est une conséquence de la tendance à la mondialisation de la langue russe. Or, « la parole du peuple » russe est porteur d’une grande richesse culturelle et religieuse. )mel'v pensait de son devoir d’écrivain d’extraire des fonds de la langue le mot populaire et, par l’intermédiaire de son oralisation dans une œuvre littéraire, de le dépoussiérer et de le rendre brillant. Pour ce faire, il faut négliger les normes littéraires et grammaticales, il faut laisser le mot agir librement à l’intérieur du texte en essayant de cette façon de ne pas troubler le rythme de la langue parlée.

)mel'v considère que c'est le peuple russe qui est le véritable porteur des valeurs de l’Orthodoxie ; il n'était pas de ceux qui regardaient le peuple russe avec arrogance, bien au contraire, il l'a toujours traité avec beaucoup de respect. Il pensait que le peuple russe avait un rôle important dans l'existence de la Russie. Dans la lignée de F. Dostoevskij, l'écrivain opposait dans ses ouvrages la beauté spirituelle, la force spirituelle, la noblesse d'un représentant du peuple enraciné dans sa foi orthodoxe à l'ouvrier aux idées socialistes. Dans ses nombreux ouvrages d’exil consacrés à la description de l'homme russe, Ivan )mel'v nous apporte la preuve de l’amour qu’il lui porte. Le lecteur peut également ressentir la compassion de l'écrivain pour ce peuple russe au destin si tragique.

I. S. )mel'v s’assignait, en tant qu’écrivain, la tâche de montrer, par les détails de la vie quotidienne, l’esprit général du peuple russe. En offrant au public ses souvenirs

d’enfance sur la Russie, )mel'v tenait de cette façon à participer au processus de sauvegarde de la culture et des traditions russes en exil. Le but était donc de les transmettre aux générations suivantes d’émigrés russes, c'est-à-dire aux Russes nés à l'étranger et qui n'avaient pas eu d'occasion de voir la Russie de leurs propres yeux.

Toutes ces remarques concernant la russkost’ d’Ivan )mel'v sont, à notre avis, tout à fait vraies. Les images de la Russie recréées dans les pages de ses livres envoûtent le lecteur, la langue de ses œuvres touche par sa pureté et sa simplicité, son côté naturel. C’est un véritable connaisseur de la langue russe, qui a su enrichir énormément la langue littéraire.

Cependant, cet engouement patriotique chez les écrivains émigrés russes fut plutôt mal perçu par les critiques littéraires de la diaspora. Georgij Adamovi$ écrit à ce sujet : « Le patriotisme est " une corde " sur laquelle il est facile de jouer, surtout après tous les malheurs et bouleversements »1. Puis en s'attaquant directement à )mel'v, le critique fait remarquer que la conscience russe ne peut plus se contenter de se tourner vers un passé embelli dans la mesure où cette image « sent le cadavre et ce n'est absolument pas parce qu'il s'agit du passé, mais parce que ce passé n'a jamais existé »2.

K. KoHcienicz dans son article consacré à l'oeuvre d'Irina Odoevceva se montre également extrêmement ironique vis-à-vis de cette surproduction patriotique et de cette idée récurrente chez les représentants de la communauté russe sur l’existence de l’âme slave :

Depuis que les étrangers nous ont surnommés « âmes slaves », nous les sommes devenus ou nous essayons de toutes nos forces de les devenir. [...] Il suffit au personnage de faire trois classes au gymnase [école], où ne serait-ce être d’origine de l'intelligentsia, il se remplit de tristesse et rejoint avec fierté le rang des âmes slaves incompréhensibles. Cependant, les origines de cette âme slave restent vagues.3

Mark Slonim a aussi un regard très critique à l’égard de ce genre de productions littéraires. Il démontre l’idéalisation de la Russie et critique l’éloignement de la véritable

1 G. Adamovi$, « )mel'v », op. cit., p. 76. 2 Ibid., p. 77.

3 K. KoHcienicz, « Irina Odoevtseva (ètjud xarakteristiki tvor$estva) », Na$e vremja, 1935, N°134 (1457) du 09 juin,

image de la patrie : « ce romantisme inventé de la Russie, n’est pas simplement un rêve sur elle, mais c’est une création de son propre monde sur la Russie»1. Cependant, à leur décharge, le critique explique que les écrivains et les poètes en émigration n’avaient guère le choix : en se chargeant de sauvegarder la littérature du Siècle d’Argent, ils étaient bien obligés de se tourner constamment vers le passé au détriment de la description du présent ou de l’avenir.

Une question est posée fréquemment : « Quel fut l’apport des émigrés de la première vague ? ». Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de s’arrêter sur le statut de ces artistes de l’émigration. Doivent-ils être qualifiés « citoyen du monde », « cosmopolite » ou « apatride »2 ? À notre avis, malgré quelques productions de portée internationale, les œuvres des émigrés russes de la première vague restent des œuvres orientées vers l’intérieur et qui portent des traits de la culture et de la mentalité russes.

L'analyse de l'apport de la littérature de l'émigration a été mise en oeuvre par les représentants même de la première vague de l’émigration. Il faut dire que leurs appréciations furent très critiques à l’égard de la production littéraire de leurs collègues. « La littérature de l’émigration [...] n’a pas pu devenir une vraie littérature en exil », - écrit V. Xodasevi$, « elle n’a pas ouvert en elle le pathétique (ou l’emphase) qui lui seul aurait pu lui donner des nouveaux sentiments, nouvelles idées et, par conséquent, de nouvelles formes littéraires »3. Le critique continue en affirmant que cette littérature « n’a pas réussi à survivre à sa propre tragédie [...] et elle a dû payer– l’esprit de la petite bourgeoisie y règne »4. G. Adamovi$, un autre grand critique littéraire de l’émigration, lui fait écho en affirmant qu’il y a toujours des écrivains talentueux, mais qui ne parviennent pas à trouver le sujet : « La littérature russe aurait perdu son génie, elle n’a plus rien à dire »5. Vladimir Nabokov, lui aussi, présente une vision aussi négative de la création littéraire des émigrés vivant loin de leur patrie et d’un véritable lecteur russe :

Certes, il y avait parmi les émigrés un nombre suffisant de bons lecteurs pour justifier la publication, à Berlin, à Paris, et dans d’autres villes, de livres et de périodiques russes sur une relativement vaste échelle ; mais du fait qu’aucun de ces écrits ne pouvait circuler à l’intérieur

1 M. L. Slonim, « Molodye pisateli za rube*om », op. cit., vol. 2, p. 103. 2

G. Nivat, Russie-Europe: la fin du schisme : études littéraires et politiques, op. cit., p. 671. 3

V. Xodasevi$, Koleblemyj treno%nik : Izbrannoe, M., Sovetskij pisatel’, 1991, p. 469. 4 Id.

de l’Union Soviétique, tout cela prenait un air de chimère fragile.1

Par ailleurs, plusieurs représentants de l'émigration se questionnent concernant la légitimité de désigner les ouvrages à l’étranger par les Russes comme ensemble littéraire unifié servant à continuer et à innover la littérature russe.

Nous pensons que cette analyse de la littérature en exil est trop catégorique. Nous nous refusons à avoir une vision si critique sur le sujet en question. Certes, les acteurs du Siècle d’Argent ont placé la barre très haut. Cependant, l’évolution de la littérature russe à l’étranger suivait son cours même si la cadence, l’intensité et l’originalité des ouvrages littéraires n’étaient pas pareilles.

Nous disposons en abondance de preuves fiables concernant l'évolution de la littérature en exil. Pour cela, il suffit de comparer la langue "melëvienne de ses deux premières périodes à celui de la dernière période. Nous observons donc un penchant de plus en plus fort chez l'écrivain vers l'oralisation du texte littéraire. Cette tendance ne peut pas être expliquée par une simple évolution du style de l'écrivain due au temps ; les origines de cette oralisation, de plus en plus présente, doivent être expliquées en partie par le mode de vie de l'écrivain à l'étranger. Recroquevillé dans sa solitude, après la mort de sa femme en 1936, Ivan )mel'v éprouve un fort besoin de parler. D'où cette abondante correspondance avec différentes personnes, originaires de Russie, et ce style dialogal du diptyque. Ce qui nous amène à l’analyse des spécificités de l’idiostyle de l’écrivain qui, entre autres, rendent la langue de ses œuvres si singulières. Lors de notre analyse, nous nous arrêterons davantage sur les dominantes qui ont marqué ses œuvres de la dernière période.