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Le projet d’une structure intercommunale : des éoliennes en Atrébatie ?

Dans le document La politique des netroots (Page 98-103)

Sous-Section 1 : Les ambitions des concepteurs

2) Le projet d’une structure intercommunale : des éoliennes en Atrébatie ?

Il est plus aisé que dans le cas des initiatives des DDE du Territoire de Belfort et de la Loire de circonscrire dans le temps et dans l’espace le second site d’étude de cette première partie : il s’agit en effet d’un débat local et ponctuel, que des élus locaux ont lancé à la fin de l’année 2005 pour consulter leurs concitoyens avant de prendre une décision concernant leur

76Chatignoux, J., & Frérot, O. (janvier 2003). Quand l'internet bouscule les pratiques de l'administration … L'expérience de co-production de la RN19. Homo Numericus.

http://www.homo-numericus.net/spip.php?article193

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éventuel engagement en faveur de l’implantation d’une ferme éolienne sur leur territoire, la Communauté de communes de l’Atrébatie (CCA). Considérée du point de vue de ses objectifs, informer et associer la population d’un territoire à la réflexion concernant la réalisation d’un aménagement en amont de la prise de décision des élus, une telle consultation n’a aujourd’hui rien d’original, particulièrement au niveau local où ce type d’expériences est à présent couramment pratiqué. Il existe pour cela une large batterie d’outils, dont certains, à l’instar du referendum local, sont institutionnalisés, et qui présentent le point commun de ne pas être juridiquement contraignants en matière de décision : comme c’est explicitement le cas dans l’expérience de débat en Atrébatie, le choix demeure in fine entre les mains de ceux qui portent un projet, en l’occurrence ici des représentants d’élus. La consultation et le débat, et peu importe le canal qu’ils empruntent ou selon quelles modalités ils se font, ont pour but premier d’éclairer le choix des élus à la lumière des préférences de leurs concitoyens : en Atrébatie comme ailleurs, la consultation et le débat se mettent en place pour que les élus puissent effectuer leur choix en connaissance de cause.

De manière très schématique, dans le cas français, la procédure courante prévue pour l’implantation des éoliennes ne fait pas particulièrement la part belle à la participation du public. En dehors du processus d’enquête publique, qui n’est pas spécifique à ce type d’aménagement, elle prévoit en effet que le porteur de projet transmette son dossier au Préfet et c’est à ce dernier représentant de l’État qu’il revient de décider en fonction d’un certain nombre de critères pré-établis, notamment des schémas de planification territoriale, de délivrer ou non le permis de construire nécessaire à l’implantation des machines. Dans le cas de l’Atrébatie, le porteur de projet n’est autre que la Communauté de communes. Ce que cette dernière met en discussion auprès des habitants du territoire, c’est l’opportunité du projet de parc éolien et ses modalités. C’est à cette phase de l’élaboration d’un projet que des remarques et des contributions peuvent être prises en compte ; l’enquête publique se situe plus tard dans le processus et porte sur un projet précisé, alors que les résultats de la plupart des études sont connus. Pour les élus, la consultation vise avant tout à savoir s’ils doivent ou non transmettre leur dossier pour qu’il soit soumis à notification du Préfet, et si oui, quelles options sont les plus favorables aux yeux de la population. Il est bien important de souligner

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une nouvelle fois que la consultation que proposent les représentants de la CCA n’est donc ni imposée ni codifiée par la loi ; elle ouvre de nouveaux espaces d’information et de discussion en se glissant dans un interstice de la procédure habituelle : pour les élus, il s’agit avant tout de faire connaître leurs intentions suffisamment en amont de leur décision pour que les remarques et les arguments exprimés par les habitants dans la discussion puissent être intégrés aux études en cours, ainsi qu’au dossier éventuellement transmis à la Préfecture (Figure 11). Du point de vue de ses intentions, cette consultation volontaire présente un certain nombre de ressemblances avec une concertation avec les habitants, telle que permet par exemple d’en organiser l’article L300-2 du Code de l’urbanisme dans le cas de certains projets 78, dans le sens où les participants à la procédure émettent des avis qui peuvent être

pris en compte dans la phase d’élaboration du projet qui leur est présenté 79. Consulter la

population en dehors des périodes de suffrages ne constitue pas un événement exceptionnel au niveau local. Mais les modalités de consultation sont à la fois nombreuses, non limitatives et pas forcément institutionnalisées lorsqu’elles sont mises à l’épreuve. Les élus désireux de mettre en discussion leurs projets disposent donc d’une certaine latitude quant aux modalités, ce qui laisse ouverte la possibilité d’innovations en la matière, dans un domaine borné par les compétences qui peuvent être mobilisées pour la conception et la mise en œuvre de la procédure et des objectifs que les initiateurs assignent à la discussion. Dans le cas étudié en Atrébatie, l’innovation tient essentiellement à la mobilisation d’internet dans l’organisation des discussions autour du projet d’implantation d’éoliennes.

78 Dans le premier alinéa de l’article L300-2 du Code de l’urbanisme, il est en effet précisé que « le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale délibère sur les objectifs poursuivis et sur les modalités d’une concertation associant, pendant toute la durée de l’élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées dont les représentants de la profession agricole, » avant la réalisation d’une série d’opérations précisées dans ce même article. L’article est accessible sur le site de Legifrance : http://www.legifrance.gouv.fr/

79 Le terme de « concertation » renvoie généralement en France à un degré de participation supérieur à celui que sous-entend celui de « consultation. » La distinction des deux notions est peu évidente lorsque l’on s’en tient aux définitions proposées par un dictionnaire de la langue française. Leur définition fait toutefois l’objet de débats dans la communauté des spécialistes de la participation ; pour donner une idée de la teneur des débats, voir par exemple l’échange entre H. Touzard et L. Mermet dans les deux publications suivantes : Touzard, H. (2006). Consultation, concertation, négociation. Négociations, 1, 67-74 et Mermet, L. (2006). La « concertation »: un terme flottant pour un domaine mouvant? Négociations, 1, 75-79.

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Figure 3: Capture d’écran de la page d’accueil du site debat-atrebatie.org

La mise en place de l’expérience de consultation est tout d’abord indissociable du Président de la CCA, Pierre Guillemant. Ce dernier est un élu local d’expérience, qui est depuis les années 1970 à la tête de la Mairie de sa commune d’origine, Magnicourt-en-Comté, un village de sept cents habitants situé à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Lens. Il ne revendique pas d’appartenance partisane mais se classe plutôt à droite (dans la nomenclature que le Ministère de l’Intérieur utilise lors des élections, il est classé parmi les « Divers Droite »). Il est diplômé de l’Université de Lille en sociologie et en économie et a fait la plupart de sa carrière professionnelle dans les métiers de la communication, notamment pour le consortium d’entreprises chargé du percement du Tunnel sous la Manche entre le milieu des années 1980 et celui des années 1990. Il accorde une place essentielle à la communication, comme en témoigne l’initiative de télévision interne qu’il avait contribuée à mettre en place pour relater et garder une trace de l’ensemble des tâches effectuées dans le cadre du chantier

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du tunnel qui relie Calais à Douvres : tous les mois, chaque salarié recevait avec sa fiche de paie une cassette vidéo sur laquelle étaient consignés des reportages relatifs à la vie du chantier et l’avancée des travaux 80. P. Guillemant a cultivé cet intérêt pour la communication

dans le cadre de ses mandats électifs, en menant en partenariat avec d’autres institutions, telles que le Conseil Régional du Nord Pas de Calais, une politique volontariste en matière d’accès public à internet à travers l’ouverture de cinq cyber-centres dans les communes de l’Atrébatie, ce qui a valu à la CCA d’être labellisée comme « territoire numérique. » Pour la gestion concrètes de ces dossiers, le Président de la CCA s’appuie sur les compétences spécifique d’un adjoint au Maire d’une commune de la Communauté de l’Atrébatie, Hervé Deleersnyder, ingénieur informatique de formation, auquel a été confiée une mission de chef de projet « Territoire numérique ».

Comme beaucoup d’institutions publiques, la Communauté de communes de l’Atrébatie s’est au début des années 2000 dotée d’un site Web sur lequel est proposée une information relative au territoire, aux compétences et réalisations de la structure intercommunale, ainsi qu’à ses représentants 81. Sous l’impulsion de Pierre Guillemant et Hervé Deleersnyder, la

discussion du projet d’implantation d’un parc d’éoliennes avec la population donne l’occasion de tester de nouveaux aspects de la communication institutionnelle sur internet. A la mi-novembre 2005, est en effet ouvert sur le domaine debat-atrebatie.org un site qui sert de fil d’Ariane et de support à une procédure de consultation volontaire des habitants qui s’échelonne en plusieurs étapes, jusqu’à la fin du mois de décembre de la même année. Le temps fort situé en bout de procédure, à la fin du mois de décembre 2005, est une classique réunion publique de face à face, qui doit rassembler les élus et les habitants du territoire désireux de discuter d’une éventuelle implantation des éoliennes. Le recours à un site Web dédié est pour les élus un moyen parmi d’autres de rendre publique l’existence du projet. Mais il répond également pour eux à une exigence qu’ils font peser sur la mise en discussion de cette éventuelle ferme éolienne : échaudés par les mises en échec de projets dans des communes voisines de celles de l’Atrébatie, ils souhaitent organiser au mieux les discussions afin d’éviter qu’une seule voix, et en particulier celle de l’opposition au projet, puisse s’y

80 Entretien avec Pierre Guillemant, Président de la Communauté de communes de l’Atrébatie, 27 avril 2006. Pierre Guillemant évoque par ailleurs son expérience liée au Tunnel sous la Manche dans l’entretien suivant : http://www.labeilledelaternoise.fr/actualite/Il-a-participe-a-la-construction-du-tunnel-sous-la-manche-359.html 81 Le site est accessible sur : http://www.cc-atrebatie.fr/

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faire entendre. Avec l’appui d’une série de partenaires, le Président de la CCA a donc mis en place une procédure de débat très détaillée, qui règle les moindres aspects de la prise de parole et qui s’appuie sur un site Web en premier lieu utilisé pour préparer une réunion publique qui doit se tenir dans l’une des communes de l’Atrébatie : avant cette réunion, le site permet à la fois de diffuser des informations sur le projet de parc éolien et sur la procédure de discussion de ce projet, ainsi que d’organiser la réunion de manière originale ; après, il permet aux habitants de suivre l’action des élus sur ce dossier. Le chef de projet « Territoire Numérique » de la Communauté atrébate insiste lourdement sur le caractère déterminant de la volonté de son Président pour porter et concrétiser un tel projet de consultation : « Pour ce type de projet, il faut un volontarisme politique, une largesse d’esprit, un visionnaire 82. »

Sous-Section 2 : Recompositions de la politique, métamorphoses de

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