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L’élaboration collaborative de l’agenda du débat

Dans le document La politique des netroots (Page 180-184)

Sous-Section 2 : Une installation ponctuelle peut-elle être reproduite ?

1) L’élaboration collaborative de l’agenda du débat

Dans la foulée de sa mise en ligne au début du mois de novembre 2005, le site Web debat- atrebatie.org a été utilisé pendant trois semaines, du 15 novembre au 5 décembre 2005, pour collecter les différents thèmes que les citoyens étaient désireux de voir abordés à propos du projet d’éoliennes en Atrébatie. Cette démarche est directement liée à l’invitation que les représentants de l’Atrébatie ont lancée quelques jours plus tôt à travers le journal de la CCA distribué aux 5 000 foyers du territoire : « Citoyens de l’Atrébatie, exprimez-vous sur l’éolien… ! 170 » Pour pouvoir proposer un enjeu, il était nécessaire d’être identifié sur le site

169 Entretien avec Pierre Guillemant, Président de la Communauté de communes de l’Atrébatie, 27 avril 2006. 170 http://www.cc-atrebatie.fr/fr/content/download/487/3320/file/reflethiver2005.pdf

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avec un nom d’utilisateur et un mot de passe. Les organisateurs n’ont eu recours à aucun dispositif technique restreignant l’accès au site Web aux seuls internautes du territoire. Toutefois, trois éléments permettent de penser que le site a été très largement utilisé par des habitants de l’Atrébatie : comme les pages Web ont spécialement été mises en ligne à l’occasion de ce débat, elles ne pouvaient être connues auparavant ; la publicité de la mise en ligne a été faite exclusivement localement. Sur un temps aussi court que la durée de la procédure (un peu moins de deux mois), en dépit des phénomènes de propagation virale auxquels on assiste parfois sur internet, la probabilité que l’information se diffuse massivement par d’autres canaux et trouve un public intéressé en dehors de l’espace du territoire est relativement faible. Comme le précise le site, « il n’y a pas de limitation, ces enjeux doivent juste avoir un rapport avec le sujet couvert par la question du débat. » Un espace de discussion est défini par les organisateurs, celui qui s’enroule autour de l’éventuelle implantation des éoliennes, mais les internautes ont la possibilité de proposer d’aborder n’importe quelle question relative au projet. Les animateurs ont ainsi recueilli un peu plus de quatre-vingt-dix propositions d’internautes, qui n’ont pas fait l’objet d’une publication sur le site. Pour ceux qui ne disposent pas d’un accès à internet ou qui ne peuvent se rendre dans l’un des centres d’accès publics du territoire, les organisateurs ont prévu la possibilité de proposer des enjeux par voie postale, via un formulaire papier. Une vingtaine de propositions ont été retournées par ce biais. Cette phase de collecte des thèmes que les citoyens souhaitent aborder lors de la réunion est immédiatement suivie d’une opération de réduction qui s’opère en deux temps.

-Le premier se passe les 6 et 7 décembre 2005 dans un bureau à Paris, celui de la consultante de Sopinspace qui appuie les élus atrébates dans l’organisation de la procédure. Chaque proposition reçue au cours des trois semaines de la phase d’identification des enjeux a été tirée sur papier. Les propositions acheminées par internet prennent alors la même forme que celle envoyées par la poste, ce qui permet de les réunir. L’un après l’autre, les formulaires sont collés sur le mur du bureau de la consultante. Cette dernière choisit de les positionner en fonction de la proximité des thèmes qu’ils portent. Cela fait office de méthode de tri et de visualisation thématique des propositions qui ont été recueillies. Des rapprochements sont ainsi opérés entre les contributions se rapportant à un même enjeu, et une première forme de

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synthèse des thèmes qui ont été proposés à la discussion. Les propositions d’enjeux envoyées par le formulaire disponible sur le site Web et par courrier (une centaine au total) subissent ainsi une transformation qui permet à la consultante de parvenir à une liste de dix-neuf enjeux. S’ils sont plus généraux que les propositions de départ, ces dix-neuf thèmes ne sont pas coupés de tout lien avec les contributions des participants : ils y font référence (Latour, 2007). Bien que la transformation soit fruste (une réduction par rapprochement thématique), la fiabilité des références est éprouvée au moment de la publication des dix-neuf enjeux obtenus sur le site Web du débat, qui se trouvent ainsi soumis au regard et au jugement des contributeurs initiaux.

-Comme le prévoit la procédure, ces dix-neuf propositions d’enjeux reviennent devant les internautes pour être triées et hiérarchisées. L’ambition est de ne retenir pour la réunion que les quatre ou cinq enjeux estimés les plus importants parmi les dix-neuf et d’y consacrer un temps suffisant à leur discussion. La méthode retenue pour procéder à cette sélection n’est en elle-même pas nouvelle : elle se fonde en effet sur un vote par couleur inspiré de l’abaque de Régnier, mis au point au milieu des années 1970 et de fait non spécifique au Web. Sur le site du débat consacré aux éoliennes, les enjeux ont donc été sélectionnés par les internautes à travers un vote par couleur en six positions : pour chacun des dix-neuf enjeux proposés, les participants pouvaient après identification indiquer s’il le considérait comme très important, important, assez important, pas important du tout ; ils avaient en outre la possibilité de déclarer ne pas savoir ou de refuser de se prononcer. Dans les délais impartis, c’est-à-dire au cours de la semaine du 8 au 15 décembre 2005, cinquante trois internautes se sont prononcés sur le site Web pour sélectionner les enjeux qui devaient être traités lors de la réunion publique du 21 décembre. Au regard des statistiques du site qui affichent une moyenne de quarante visites par jour tout au long du mois qu’a duré la procédure mais aussi des cent trente personnes inscrites sur le site pour participer à la réunion publique, ce chiffre est loin d’indiquer une mobilisation importante. Toutefois, la participation a paru suffisante aux organisateurs pour maintenir ce principe de sélection, estimant qu’un tel niveau de participation pouvait déjà permettre de dégager des tendances, des thèmes estimés plus importants que d’autres. Les organisateurs ont finalement retenu les cinq auxquels les internautes qui s’étaient prononcés avaient accordé la plus grande importance. Par

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l’application de cette méthode, cinq enjeux sont devenus « prioritaires » : « maintenance, démantèlement et pérennité de l'installation », « implantation des éoliennes », « coût et rentabilité de l'éolien », « autres sources d'énergies » et « répartition et affectation des gains ».

Figure 9: Le module de hiérarchisation des enjeux du site www.debat-atrebatie.org

Sans qu’il soit à un théâtre de discussion, le site Web du débat a servi à préparer avec les internautes qui ont pu participer à cette phase préparatoire de la procédure l’agenda de la réunion publique qui s’est tenue dans la salle polyvalente de l’une des communes de l’Atrébatie. Un tel dispositif produit un cadrage particulier des débats en orientant les interventions des « experts » invités à s’exprimer au moment de la réunion, ainsi que les discussions qui suivent ces interventions, vers un nombre limité de thèmes et en laissant d’autres de côté. Parmi les thèmes finalement retenus, certains n’étaient pas nécessairement attendus par les organisateurs du débat : ils ont par exemple été surpris que soit réclamée une réflexion sur les « autres sources d'énergies » (notamment le solaire et les agro-

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carburants). Au contraire, des thèmes généralement indissociables de projets d’implantation d’éoliennes n’ont pas fait partie de la liste des enjeux finalement obtenue en vue du débat : c’est notamment le cas du thème de l’atteinte au paysage, arrivé en septième position au bout du processus de hiérarchisation des enjeux, et dont on sait pourtant qu’il est généralement le principal argument déployé par les opposants à l’énergie éolienne 171. Nul ne

peut dire ce qu’il aurait pu en être si la participation à la sélection des enjeux avait pu être plus large. La procédure de mise en discussion du projet prévoit donc des modalités de mise

hors discussion de certains de ses aspects.

La procédure apparaît comme extrêmement réglée : la possibilité de s’y exprimer s’accompagne de contraintes qui pèsent sur la prise de parole. La description de quelques- uns des aspects de la réunion publique placée au bout de la procédure met en évidence que cette tension n’est pas spécifique aux aspects de la procédure qui se passent en ligne

Dans le document La politique des netroots (Page 180-184)

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