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L’expérience de la RN19, première pierre des projets RoaNne7 et hYrondelle

Dans le document La politique des netroots (Page 150-156)

Sous-Section 1 : Installations et dés-installations

1) L’expérience de la RN19, première pierre des projets RoaNne7 et hYrondelle

Le site de la RN19 est particulièrement actif de sa création jusqu’à l’été 2002, grosso modo pendant une période de deux ans. Après cette date, qui correspond au départ du principal initiateur de la démarche (le Directeur de la DDE est muté dans le département de la Loire), il reste en ligne mais il n’est plus une priorité pour la DDE du Territoire de Belfort. Il n’est plus guère alimenté que de manière sporadique, et les contributions qui s’espacent dans le temps n’émanent quasiment plus que des agents de la DDE qui se servent du site Web pour publier des informations relatives à l’avancée des travaux. Le fait que le projet éprouve tant de difficultés à survivre au départ de celui qui l’a initialement porté donne une première indication de la fragilité de l’édifice : au sein des effectifs la DDE, la mutation du Directeur est perçue comme un desserrement de la contrainte concernant l’utilisation du site 152. Cela

montre que la tenue de l’expérience tient essentiellement à la volonté du DDE et l’énergie que ce dernier a impulsée au projet, en s’appuyant sur un dispositif d’animation conséquent, qu’il a essentiellement entretenu en s’attachant les services d’un prestataire extérieur à la DDE.

Si un intense dispositif d’animation est indispensable à la mise à flot d’une telle expérience, il ne suffit pas à assurer durablement un rythme de croisière. En d’autres termes, l’innovation lancée par la DDE éprouve des difficultés à intéresser des acteurs dont l’implication n’est pas liée à une injonction professionnelle. Une telle impression est confirmée par l’analyse de l’origine des articles publiés sur le site : même si une telle analyse ne prend pas en compte ceux qui s’expriment par d’autres voies, notamment sur les forums, elle donne une idée de la manière dont les principaux contenus du site ont été produits. L’initiative est en effet fondée sur une ouverture à la participation des internautes qui ne se cantonne pas à des espaces bien déterminés des pages Web ou à une seule modalité d’intervention : tous les internautes, qu’ils soient fonctionnaires de la DDE, chefs d’entreprises, habitants du territoire concerné, membres d’une association, élus locaux peuvent proposer des contributions qui viennent nourrir les différentes rubriques du site. Et, rien dans le dispositif ne permet de distinguer les

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publications en fonction du statut des auteurs. En d’autres termes, un article publié par un internaute qui intervient en son nom propre reçoit le même traitement qu’un autre communiqué par un agent de la DDE, dont la structure est pourtant à l’origine du lancement du projet, ou par un homme politique, qui représente par ailleurs ceux qui l’ont élu. La seule chose qui permet de distinguer les contributions est le chemin qu’elles empruntent avant leur publication : les articles sont soumis à validation de ceux qui sont en charge d’animer le site ; les commentaires correspondent à une modalité d’intervention plus immédiate en ce qu’ils ne sont pas soumis à modération a priori, mais peuvent être retirés par l’animateur s’ils ne respectent certains principes, dont ceux de courtoisie élémentaire dans les échanges en ligne, et qui sont regroupés sous le terme générique de « nétiquette. » Dans les faits, ce dernier type d’intervention ne réclame pas nécessairement le même niveau d’exigence que celui demandé dans le cas d’un article : un commentaire se réfère généralement à un article auquel il est lié, en demande des précisions ou en met en discussion un ou des aspects particuliers.

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Catégories Nombre

d'articles

Nombre d'auteurs

Maître d'ouvrage Héricourt-Delle

DDE 90 98 27

Rédaction du site Web 65 1

Animateur du projet 6 1

Etudes (bureaux d'étude…) 9 4

Photographe 1 1

Acteurs locaux

Associations 4 4

Chambre d'Agriculture 1 1

Chef d'entreprise 3 3

Direction Départementale de l'Agriculture

et de la Forêt (DDAF) 5 3

Elus locaux 5 5

Fédération Départementale des Syndicats

d'Exploitants Agricoles (FDSEA) 1 1

Sous Préfet 1 1

Intervenants Canton du Jura (Suisse) 4 4

Autres

Mission RN 19 (Enquête publique) 40 1

Points de vue extérieurs sur l'initiative (CDC…) 2 2

Figure 5: Répartition des articles publiés sur le site rn19.net

Tout au long de l’expérience, environ deux cent cinquante articles ont été publiés sur rn19.net, par une soixantaine d’auteurs distincts (parmi eux, il existe des auteurs collectifs

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tels que « Rédaction » ou « Mission RN19 »). Quarante articles ont été publiés par la Mission RN19, l’institution créée en 2000 par le Ministère de l’Équipement dans le but de coordonner l’action des différents maîtres d’ouvrage des travaux tout au long du tracé de la RN19, avant qu’elle ne se dote de son propre site Web au printemps 2003. Ils sont regroupés au sein d’une rubrique particulière qui propose une restitution de l’enquête publique Lure-Delle publiée en 2002. Au sein de cette rubrique créée à la demande de la Mission, les internautes n’avaient pas la possibilité de laisser des commentaires. De manière très schématique, les quelques deux cents articles restants peuvent être répartis selon la fonction de leur auteur. Une immense majorité des publications de rn19.net émane de fonctionnaires de la DDE et des animateurs du site. À ceux là viennent s’ajouter les contributions proposées par les bureaux d’étude impliqués sur le projet de RN19 qui ont été vivement encouragés à s’exprimer par ce canal. Il est intéressant de constater que plus de trente auteurs différents peuvent ici être comptabilisés, dont vingt sept ont une fonction directement rattachée à un service de la DDE du Territoire de Belfort. Ce chiffre témoigne de l’ampleur de la mobilisation des fonctionnaires de l’Équipement. Un second ensemble d’auteurs constitue une autre source importante de publication d’articles : il s’agit là d’acteurs de nature diverse, puisque l’on compte aussi bien des associatifs, des élus locaux, des membres d’autres services de l’Administration déconcentrée, ou encore des chefs d’entreprise. Tous présentent le point commun de s’exprimer au nom d’institutions fortement ancrées dans le territoire, dont le rayon d’action et de compétence n’excède guère l’échelle du département. Dans la plupart des cas, ils livrent un point de vue sur la route à partir des problématiques de leur univers de référence (politique, économique, environnemental…). Pour certain d’entre eux, l’intervention sur le site tient à un entretien réalisé et retranscrit par un fonctionnaire de la DDE, à la demande de son Directeur. Ce dernier n’est pas avare d’efforts pour présenter une démarche qui apparaît comme nouvelle et, comme il le dit lui-même, « amorcer la pompe ». On comprend dès lors mieux pourquoi Olivier Frérot avance que les interventions n’étaient pas le fruit du hasard, mais liées au travail d’animation qui consistait parfois à « tirer par la manche 153 » certains interlocuteurs afin de recueillir leur parole et la répercuter sur le site.

S’il a produit quelques résultats, le travail d’animation n’a pas suffi à diversifier plus

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largement la liste des auteurs des articles ni même à faire en sorte que ceux qui s’y sont engagés s’inscrivent durablement dans la démarche.

La situation est quelque peu différente sur la liste de discussion, puisque la répartition des interventions est un peu plus variée que dans les cas des articles : apparaissent pour la première fois significativement parmi les protagonistes précédemment évoqués des internautes qui ne s’expriment pas au nom d’institutions (administrations, entreprises, associations…). Avant que la plupart des commentaires ne soient directement exprimés sur le site, la liste comptait approximativement cent inscrits, dont une vingtaine sont intervenus avec une certaine régularité et a servi de forum à un peu plus de quatre-vingts messages. Par ailleurs, les chiffres de fréquentation du site sont faibles, et ne dépassent jamais la vingtaine de visites par jour en moyenne dans les premiers temps de l’expérience. Ce n’est guère surprenant lorsque l’on se remémore les taux et la distribution des accès à internet à cette époque et dans un territoire qui reste en majorité à l’écart des grands centres urbains, qui étaient alors les plus connectés. De manière significative, O. Frérot propose sur le forum le compte rendu d’une présentation de rn19.net qu’il a effectuée au mois de février 2001 devant une assemblée de directeurs départementaux et régionaux du travail : après les encouragements, il y fait part du doute et de « l’incrédulité » manifestés par certains devant le rapport entre l’effort déployé et le nombre de visites 154. Le Directeur a beau avancer que,

de son point de vue, « le nombre importe peu, c’est le fait que cela soit public qui change tout 155 », il n’en demeure pas moins que tout cela témoigne d’une réelle difficulté à

concrétiser l’ambition de « co-production de l’information publique », de faire vivre et d’animer de tels espaces de discussion.

Le bilan que le Directeur de l’Équipement tire de l’expérience sur la RN19 à son départ de Belfort n’entame pas sa volonté de mettre à l’épreuve sa conception d’un « État animateur » par le déploiement de sites Web ouvert aux contributions des acteurs qui partagent un

154 Liste [rn19forum-public], Message de O. Frérot du 27 janvier 2001. Le message publié sur le forum a été reproduit dans les annexes.

155 Le Puill, S., « Un site internet pour débattre de la RN19 et ses potentialités », rn19.net, article reproduit en annexes.

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territoire. Au contraire, il souhaite poursuivre et systématiser son projet de modernisation de l’Administration depuis son nouveau poste, à la tête de la DDE de la Loire.

Lorsqu’il arrive à Saint-Etienne à l’été 2002, O. Frérot apporte avec lui le principe de sites ouverts à la participation des internautes entamée avec rn19.net ; il souhaite cette fois le tester au-delà de questions soulevées par la réalisation ponctuelle d’un aménagement ; mais il sait aussi à présent et à la lumière de l’expérience menée dans le Territoire de Belfort que si un tel travail est possible, il est assurément difficile à réaliser. Et il l’est d’autant plus que lorsqu’il arrive à Saint-Etienne, la DDE n’est pas dotée d’un site Web institutionnel : pour mettre de nouveaux projets de sites Web en place, tout est donc à construire, de la formation des agents à l’utilisation des outils informatiques à la sensibilisation que nécessite la mise en œuvre de la démarche particulière de « co-production de l’information » dans les services de la DDE aussi bien qu’auprès des autres acteurs des territoires concernés. La tâche est d’autant moins négligeable que les effectifs de la DDE de la Loire sont deux fois plus importants que ceux de la DDE de Belfort, et avoisinent les mille personnes. C’est à la fois un levier et un frein : un levier car les services sont plus nombreux et plus étoffés, disposent de davantage de compétences ; mais c’est dans le même temps un frein car, et c’est un enseignement de l’économie ou de la sociologie des organisations, la taille est parfois une entrave à la mobilité et à l’innovation par l’inertie et la complexité qu’elle implique 156. Il

s’agit donc pour le nouveau DDE d’un chantier à part entière, qu’il aborde avec pour seul appui les services de l’animateur mobilisé dans le cadre de l’expérience de la RN19, J. Chatignoux. Entre le moment où O. Frérot a pris ses fonctions à Saint-Etienne et la mise en ligne du premier site collaboratif initié par la DDE de la Loire, presque une année s’est écoulée. Cela permet de souligner une nouvelle fois que l’installation d’une procédure de débat prend du temps, d’autant plus qu’elle est initiée au sein d’une institution initialement dépourvue des compétences nécessaires à l’ouverture et l’animation d’espaces de discussion. Au-delà des moyens, des compétences et des outils nécessaires à la mise en place de la démarche, son principal initiateur doit faire converger les ambitions de son projet avec les missions traditionnelles de l’Administration qu’il dirige. La réalisation de cette tâche explique en grande partie le temps de gestation d’un an nécessaire à la mise en ligne du premier site Web thématique ouvert par la DDE de la Loire.

156 L’un des ouvrages pionniers à cet égard est sans doute celui de l’économiste britannique Fritz Schumacher : Schumacher, E. F. (1973). Small is beautiful: a study of economics as if people mattered. London: Blond and Briggs.

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Comme dans la première section du chapitre, la trajectoire des promoteurs des initiatives que j’étudie sert de fil directeur aux descriptions proposées. Le risque encouru est celui d’un effet loupe qui agit comme un prisme déformant sur la distribution des rôles des différents participants aux expériences. Mais le but premier de cette manière de procéder est de fixer un point de départ pour donner à voir l’ampleur des connexions que la mise en œuvre des initiatives réclame. Il s’agit à présent de saisir quelques éléments sur le déploiement des deux projets qui ont plus particulièrement été envisagés au moment de la réalisation de l’enquête dans la Loire, RoaNne7 et hYrondelle.

Dans le document La politique des netroots (Page 150-156)

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