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Le plan de politique énergétique élaboré de manière collaborative par des militants du Parti Démocrate américain : Energize America

Dans le document La politique des netroots (Page 81-89)

Sous-section 2 : Les procédures dialogiques comme nouveau laboratoire politique

2) Le plan de politique énergétique élaboré de manière collaborative par des militants du Parti Démocrate américain : Energize America

Dans cette partie, l’étude principale a été complétée par une enquête sur une initiative de militants du Parti Démocrate américain intervenant sur le site Web Daily Kos : au bout de neuf mois d’échanges ayant exclusivement transité via internet, ces derniers ont élaboré de manière collaborative un plan de politique énergétique en vingt mesures qu’ils ont intitulé

Energize America. Le dispositif d’enquête est dans ce cas beaucoup moins perfectionné que

dans le précédent. Il repose sur une conception plus traditionnelle de l’enquête en sciences sociales.

Le site Web sur lequel se sont assemblés les acteurs qui ont préparé Energize America, Daily Kos, n’a pas été spécifiquement été créé pour l’occasion et l’élaboration d’un plan de politique énergétique n’en constitue pas l’unique objet de discussion : le site est originellement à l’initiative de Markos Moulitsas Zúniga, un citoyen américain dont la sensibilité politique est proche de la frange la plus libérale du Parti Démocrate. En lançant Daily Kos en 2002, Markos Moulitsas était désireux de poursuivre par un autre canal la réflexion qu’il mène dans son activité de consultant politique, en suscitant la discussion sur les modalités de retour au pouvoir des Démocrates. Il s’agit d’un site de débat généraliste : tous les sujets de la vie politique américaine y sont abordés, avec une forte prépondérance initialement pour les sujets au cœur de l’actualité du début des années 2000 : la guerre en Irak et une critique acerbe de l’administration Bush. Le site se donne également pour objectif de soutenir des candidats progressistes pour lesquels il fait campagne, en organisant notamment la collecte de fonds. Ce site Web a rapidement connu un franc succès puisqu’il revendiquait au moment de l’expérience, au début de l’année 2006, une audience de

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Callon, M. (1999). Ni intellectuel engagé, ni intellectuel dégagé: la double stratégie de l'attachement et du détachement. Sociologie du travail, 99/1, 65-78. p. 76

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600 000 visites par jour en moyenne. Il est ainsi devenu, avec quelques autres dont MoveOn.org ou encore MyDD.com, un des points incontournables de la constellation des sites qui ont travaillé à la rénovation du Parti Démocrate afin de préparer son retour au pouvoir à l’occasion des scrutins de 2006 (élections de mi-mandat au Congrès fédéral) et de 2008 (élection présidentielle). Leur notoriété dépasse à présent largement internet : Markos Moulitsas a par exemple co-écrit avec Jerome Armstrong, un autre consultant politique à l’initiative de MyDD.com, l’ouvrage à succès Crashing the Gate sur la politique des netroots et les moyens de retour au pouvoir des Démocrates (Armstrong & Moulitsas, 2005).

Jusqu’à la fin de l’année 2005, les discussions qui portent sur les enjeux énergétiques sont marginales sur Daily Kos. Ce n’est qu’au cours de l’expérience Energize America qu’elles acquièrent une visibilité et une reconnaissance au sein même de la communauté qui participe à la vie du site. Le processus produit à ce moment là des résultats qui attirent l’attention des médias traditionnels. Ainsi, deux articles publiés dans le journal Le Monde à une semaine d’intervalle en juin 2006 72 m’ont permis d’identifier Energize America. A cette date, la

procédure informelle qui avait permis d’aboutir au plan avait été clôturée un mois plus tôt. Dans ce cas, je n’ai donc pas observé les échanges in vivo, dans la mesure où les discussions ont eu lieu entre septembre 2005 et mai 2006. J’ai dans un premier temps prêté attention à l’actualité du projet, c’est-à-dire au travail réalisé par l’équipe d’animation pour faire circuler les mesures au-delà des arènes de débat sur lesquelles elles avaient été produites. Au moment où j’ai pris connaissance de l’opération, je me trouvais en pleine préparation de l’expérimentation qui allait devenir quelques mois plus tard la procédure de débat sur la maîtrise de l’énergie, à la recherche d’un partenaire capable de l’organiser. Pour cette raison, mais aussi parce qu’il était à ce stade d’avancement du doctorat impossible d’effectuer un séjour aux États-Unis pour réaliser une enquête, je n’ai pas songé immédiatement à faire d’Energize America un cas d’étude. La combinaison de trois éléments m’a incité à investiguer plus précisément sur le déroulement, le contenu des échanges et les conditions d’élaboration des propositions :

72 Les deux articles traitant respectivement de la stratégie de reconquête axée sur les nouveaux médias de

militants du Parti Démocrate américain et du principal animateur de la démarche ayant abouti à Energize America ont été publiés par la correspondante du journal le Monde aux États-Unis. Merci à Mathieu Brugidou de m’avoir indiqué le premier : Lesnes, C. (13 juin 2006). "L'espoir démocrate au bout du blog."Le Monde, pp. 3. et Lesnes, C. (20 juin 2006). " Jérôme Guillet, un X d'influence." Le Monde.

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- Tout d’abord, le processus ayant conduit à Energize America pouvait servir de contrepoint à l’étude sur la procédure de débat MDE, en raison des similitudes pouvant exister entre les deux cas : les deux projets ont en effet en commun d’organiser des discussions publiques en s’appuyant sur des outils informatiques dans le but d’élaborer des propositions de mesure d’action publique dans le domaine de l’énergie.

- Le Web donne accès à une somme d’informations considérables relatives à Energize America : comme celui du débat sur la MDE, le site qui a accueilli les échanges au moment de la conception du plan, Daily Kos, conserve l’intégralité des discussions qui se sont déroulées sur ses forums. Au cours de l’été 2007, une fois la procédure organisée par l’Ademe clôturée, j’ai ainsi pu examiner les discussions publiques des cinq versions successives du plan et retracer l’élaboration des vingt mesures qui le composent.

- Enfin, les conditions d’enquête ont été facilitées par le fait que le principal animateur du projet soit français et implanté à Paris. Ce dernier a bien voulu répondre à mes questions à plusieurs reprises.

Section 3 : Equipée

Outre le découpage en deux grandes parties dont le principe a été présenté dans la deuxième section, le cheminement est également jalonné par cinq chapitres qui séquencent le raisonnement. Le titre de chacun des chapitres est donné par un verbe à l’infinitif qui en indique le thème général et donne l’idée de l’action qui y est principalement décrite. Il est également à comprendre comme une proposition visant à éclairer et forger les concepts de la politique des netroots. Le choix du titre de chaque chapitre se fonde sur un rapprochement de termes qui peuvent à la fois se référer à des fonctions informatiques et à des fonctions politiques. Ils portent donc les titres suivants : Equiper – Installer – Configurer – Explorer – Clôturer

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Du point de vue de ses intentions, le premier chapitre (Équiper) jouit d’un statut particulier : il est en effet dédié à la présentation de la thèse qui est défendue : il aborde la problématique selon laquelle le sujet est abordé, le cheminement qui a permis d’y aboutir, ainsi que le dispositif d’enquête destiné à éprouver les principales hypothèses et questions de recherche qui sont soulevées. Contrairement aux quatre chapitres suivants, la réflexion n’y est pas guidée par la description d’éléments tirés des études empiriques spécifiquement réalisées.

Le deuxième chapitre (Installer) porte sur l’installation de procédures dialogiques au sein d’un régime politique qui fonctionne jusqu’à présent essentiellement selon des mécanismes de délégation à des spécialistes. Les initiateurs des procédures de débat prises en considération sont issus du personnel politique institué par la démocratie délégative (il s’agit dans un cas d’élus locaux et dans l’autre d’un fonctionnaire des services techniques de l’État). Ce chapitre est consacré à la description des projets qu’ils portent : l’attention est dans un premier temps consacrée aux ambitions qui poussent ces initiateurs à innover en expérimentant des procédures de débat dont le fonctionnement repose au moins partiellement sur des outils informatiques. L’installation des procédures dialogiques, distinguée de leur institutionnalisation, y est présentée comme un processus qui nécessite la réalisation de nombreux investissements et de tâches d’une grande diversité, qui tiennent à la conception, la mise en œuvre et l’animation des expériences envisagées.

Le troisième chapitre (Configurer) reprend les mêmes études de cas que celles qui sont décrites dans le chapitre précédent mais propose de les envisager sous un angle différent : celui de la configuration des procédures dialogiques et des outils qui entrent dans la composition de ces dernières. Le travail d’ingénierie qui vise à produire les procédures politiques est abordé selon une approche et des méthodes inspirées de la sociologie des techniques. Il s’agit de faire entrer ces objets dans l’analyse politique, en prêtant non seulement attention à la manière dont ils sont conçus mais aussi celle dont ils sont réglés, ainsi qu’aux discussions que peuvent susciter la détermination de ces réglages.

Une procédure n’est pas un simple assemblage de méthodes et d’outils : ces derniers sont en effet agencés et paramétrés d’une certaine façon, qui engage une conception du débat et

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définit ainsi une configuration (parmi d’autres possibles) d’une procédure dialogique. Les choix de réglages des logiciels utilisés contribuent à produire un ordre politique, en ce qu’il implique une répartition des rôles et scelle des rapports de pouvoir. Ces choix peuvent être remis en cause au cours des expériences, pouvant ainsi aller jusqu’à faire vaciller l’installation des procédures dialogiques. Les critiques exprimées à l’encontre des effets produits par les logiciels et/ou leur paramétrage peuvent donner lieu à des controverses socio-techniques, à l’issue desquelles le développement et le réglage des outils peuvent prendre des trajectoires différenciées : la bifurcation peut être une issue de la controverse.

La quatrième chapitre (Explorer) inaugure la seconde partie et est quant à lui consacré à la notion d’exploration. Il s’agit plus particulièrement de se pencher sur le processus de définition de ce qui fait problème et qui peut constituer l’enjeu des discussions. Au sein de ce chapitre est développée l’hypothèse d’une relation dynamique entre la définition des enjeux soumis à discussion, les publics impliqués et la définition du périmètre du débat. Une multitude de foyers de discussion se développent en permanence sur le Web ; seul un petit nombre parmi eux parviennent à se distinguer en parvenant à mobiliser durablement des publics intéressés à l’appréhension et au traitement des enjeux qui y sont abordés. L’idée développée est que l’exploration d’une question par une discussion ouverte est un cas relativement rare qui nécessite la démonstration du caractère problématique d’une situation. Comme l’exploration du Web, celle d’un enjeu controversé ne se fait pas sans objet et sans outils qui permettent de cadrer et d’approfondir une recherche. Les outils de publication sur internet favorisent le passage de la démonstration d’un problème à son exploration (ils favorisent le passage d’un site de démonstration à un site d’exploration). Ce continuum est réversible, et permet plus aisément de retracer les conditions d’une démonstration, facilitant ainsi l’émergence de contre-démonstrations au cours d’un débat. L’évolution de la définition des enjeux au cours d’un débat peut contribuer à faire varier la composition des publics qui s’estiment concernés et qui s’impliquent dans la discussion. La tâche des animateurs d’une procédure dialogique s’en trouve assurément complexifiée : ils s’appuient de ce fait sur une série d’outils qui, tout en cherchant à cartographier l’ensemble des positions exprimées dans les discussions, y compris lorsque ces dernières ne sont pas déjà connues, fournissent en

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permanence des mécanismes de rappel afin que l’exploration ne dérive pas vers un autre objet que celui qui la fonde.

Le cinquième chapitre (Clôturer) pose la question de la clôture des discussions et des procédures dialogiques. Il prend pour point de départ le constat selon lequel les deux expériences étudiées recherchent la stabilisation de résultats des procédures sous forme de mesures d’action publique. L’attention est donc portée à l’ensemble des opérations qui permettent de passer de prises de parole individuelles exprimées dans le cadre des discussions à des recommandations que les organisateurs présentent comme « issues des débats. » Il convient de préciser ce que sous-entend une telle expression, en considérant les méthodes et les outils utilisés pour assurer le maintien des énoncés au fil des transformations en cascade que ces derniers subissent tout au long de la procédure. Jusqu’alors réservée à des logiciels informatiques, la fonction de « suivi des modifications » y devient une notion fondamentale de la politique des netroots.

Les moments d’arrêt des discussions que prévoient les procédures sont mis à profit par les animateurs pour réaliser une série des tâches auxquelles il est impossible de se livrer dans le tumulte des échanges, par exemple sélectionner et agréger des contributions et les stabiliser sous forme de propositions de politiques publiques, dans le but d’en assurer une circulation au delà des arènes sur lesquelles les problèmes qu’elles cherchent à traiter sont soulevés et discutés. L’articulation de telles propositions qui prennent en compte les avis exprimés par groupes concernés à des rouages politiques traditionnels laisse entrevoir la possibilité d’un renouvellement de l’activité politique qui questionne la distinction entre démocratie délégative et démocratie dialogique, et fait apparaître les procédures étudiées comme de nouveaux laboratoires au sein desquels peut se ré-inventer le politique.

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