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L’intervention d’une société de conseils parisienne pour mettre en forme un atrébate débattant

Dans le document La politique des netroots (Page 122-127)

Sous-Section 1 : La mobilisation d’une expertise

1) L’intervention d’une société de conseils parisienne pour mettre en forme un atrébate débattant

Depuis la création de la Communauté de communes en 1999, les élus atrébates ont entrepris une réflexion sur le développement économique et industriel de leur territoire, avec en particulier un projet d’implantation d’un parc d’éoliennes. Il est vrai que l’implantation d’éoliennes représente pour ces territoires une manne financière non négligeable. On comprend dès lors mieux la détermination des élus locaux à proposer un tel projet, alors que deux initiatives similaires ont suscité de vives oppositions et ont été mises en échec à quelques kilomètres à peine du territoire de l’Atrébatie. Dans un premier temps, les délégués de la CCA ont chargé la société Ostwind de réaliser un travail d’exploration technique sur la faisabilité du projet de ferme éolienne 107. La mission consistait à déterminer s’il était possible

d’implanter des éoliennes sur le territoire, à préciser le cas échéant à quel(s) endroit(s), la taille du parc etc. Une fois ce travail effectué, au début de l’année 2005, les représentants de l’Atrébatie ont décidé de rendre le dossier public en recourant aux moyens d’information et de communication traditionnellement à leur disposition (affichages publics, lettre du territoire distribuée dans les boîtes aux lettres etc.). À ce moment là, ils pensent organiser une ou deux réunions publiques avec les habitants du territoire. Mais un lien avec un programme du Conseil Régional du Nord - Pas de Calais a ouvert de nouvelles perspectives et a permis d’avoir recours à une expertise extérieure pour préparer une phase d’exploration politique

107 Ostwind est une société internationale spécialisée dans le développement de parcs éoliens (http://www.ostwind.fr). La branche implantée en France est notamment impliquée dans le développement du parc de Fruges, dont le territoire est voisin de l’Atrébatie.

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du dossier. Il s’agit d’une autre forme d’expertise que celle qui a permis de se prononcer sur la faisabilité technique du projet, avec laquelle les élus locaux sont moins habitués à composer, ne serait-ce qu’en raison des coûts engendrés qui sont la plupart du temps hors de portée des budgets limités de bon nombre de communes de taille réduite. Elle porte dans ce cas non sur l’ingénierie du projet d’implantations d’éoliennes mais sur l’ingénierie de la procédure de débat public. L’ingénierie politique provient ici de deux cabinets de conseil parisiens : l’un, Proposition 108, intervient auprès des ministères et de collectivités territoriales

en matière de nouvelles technologies et l’autre, Sopinspace 109, est spécialisé en matière de

débat public sur internet. Si la coloration de l’expertise mobilisée est nettement orientée vers les nouvelles technologies, c’est en raison des liens anciens qui unissent l’Atrébatie, dont les élus mènent une politique volontariste en la matière, et le programme « Dream 2 » du Conseil Régional, dont la principale ambition est de faire du « développement de la e- démocratie une réalité locale 110 » : des contacts étaient donc déjà noués entre la CCA et ce

programme du Conseil Régional. La nécessité d’expérimenter une forme de débat particulière, que les élus atrébates ont ressenti, et le fait qu’ils soient disposés à introduire des outils informatiques dans la procédure a rendu possible le développement de nouvelles convergences d’intérêt entre les deux institutions. D’un côté, le soutien de la Région a permis le financement d’une procédure qui a coûté environ 12 000 euros ; de l’autre, la tenue d’un débat public local faisant appel aux nouvelles technologies offre une réalisation à un volet du programme Dream qu’il n’est pas toujours aisé de concrétiser au niveau des institutions publiques.

L’enveloppe budgétaire limitée consacrée à la préparation de la procédure n’a pas permis l’intervention des deux cabinets initialement contactés. C’est finalement Sopinspace, la société pour les espaces publics d’information, qui s’est chargée du dossier atrébate. Sopinspace est une entreprise parisienne comptant cinq salariés créée en 2004 par Philippe Aigrain, un acteur dont l’engagement dans le domaine de la création sur internet et des logiciels libres est reconnu au-delà des frontières de l’Hexagone. Il est d’ailleurs l’auteur de

108 Le cabinet Proposition possède un site Web qui peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.proposition.fr

109 La Société pour les espaces publics d’information dispose d’un site Web : http://www.sopinspace.com 110 Le site du projet du Conseil Régional Nord Pas de Calais est : http://www.e-democratielocale.info

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plusieurs ouvrages à ce propos et s’exprime régulièrement sur le Web, notamment par l’intermédiaire d’un blog personnel 111. La société qu’il a fondée et dont il est le Directeur est

spécialisée dans l’animation de débats sur internet et le développement d’outils et de méthodes qui cherchent à apporter une valeur ajoutée aux échanges qui se tiennent dans le cadre de débats en ligne. Sopinspace entend être un acteur engagé du développement de la « démocratie participative et le débat public utilisant internet 112 » : elle a organisé à la fin de

l’année 2004 et en partenariat avec le Conseil Régional d’Ile de France un débat en ligne consacré au thème de la santé environnementale dans lequel elle a pu déployer en situation une grande partie de son offre commerciale.

Deux de ses salariés se sont plus particulièrement impliqués sur l’installation et l’animation de la procédure de débat sur les éoliennes en Atrébatie ; ils l’ont fait depuis leur poste respectif, en fonction de leur champ de compétences principal :

- Anne Brisset-Giustiniani, chargée du développement commercial et de l’animation de débat, est une ancienne consultante de la société Accenture. Elle a participé avec les représentants de la Communauté de communes l’Atrébatie à l’élaboration de la procédure de débat public, ainsi qu’à son animation générale.

- Raphael Badin, développeur informatique et administrateur système, a préparé et mis en ligne le site du débat et les différents modules qui ont été utilisés dans le cadre de l’expérience.

Le premier contact entre le Président de la Communauté de communes et de la consultante de Sopinspace a lieu à la fin de l’été 2005. À cette époque, le représentant de l’Atrébatie n’a pas d’idées préconçues et arrêtées sur la manière d’organiser la consultation. Comme on l’a vu précédemment, il n’a de certitudes que sur le fait que ce qu’il perçoit comme « une pression de l’opinion » va l’obliger à « travailler avec une certaine originalité. » Il est absolument désireux que les discussions soient organisées selon une méthode qui permettra

111 Le site est accessible à l’adresse suivante : http://paigrain.debatpublic.net/

112 A ce propos, l’entreprise a publié en 2007 un livre blanc collectif, auquel l’ensemble des salariés a contribué. Sopinspace (2007). Livre blanc sur la démocratie participative et le débat public utilisant internet. Paris: http://www.sopinspace.com/fr/livre-blanc. Son contenu sera plus particulièrement envisagé dans la seconde partie de la thèse.

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d’éviter un climat de confrontation. Avec l’aide de la consultante de Sopinspace, est alors élaborée une procédure de débat qui repose sur trois principes essentiels :

- « valoriser l'expertise citoyenne et l'intelligence collective ; - garantir l'ouverture des termes du débat ;

- encadrer la parole des experts et des acteurs identifiés du débat 113. »

La procédure de débat public qui a été conçue sur cette base présente plusieurs traits qui la singularisent fortement. Ce n’est pas le fait que des innovations réalisées dans le domaine de la publication et la discussion sur internet soient mobilisées dans le cadre d’un débat local, c’est-à-dire le fait qu’un média que l’on dit global soit de manière peut être quelque peu paradoxale utilisé à une échelle micro-locale, qui constitue la principale caractéristique de cette expérimentation. L’aspect le plus frappant réside sans doute dans un découpage de la procédure en plusieurs phases successives et la recherche de complémentarités entre ces différentes phases et les outils qu’elles mobilisent dans un « souci d’efficacité » des discussions, c’est-à-dire de voir traité le problème que les élus publicisent et soumettent à la discussion avec leurs concitoyens, en contenant d’éventuels débordements.

Le déroulement des différentes étapes et les conditions de leur enchaînement pendant le mois et demi que doit durer la procédure sont minutieusement décrits à travers une série de règles rédigées par l’intervenante de Sopinspace et le Président de la CCA. Toutes ces règles ont été regroupées dans un document que l’on pourrait assimiler à une charte du débat qui a été octroyée par les organisateurs et publiée avant que ne soit lancée la procédure proprement dite 114.

Il est aussi précisé que les résultats de l’enquête ainsi réalisée seront rendus publics et que la procédure vise à « associer les habitants à la décision des élus 115 », ce qui signifie que ces

derniers s’engagent à intégrer les résultats de la discussion dans leur délibération. À travers lettre d’information diffusée par la Communauté de communes de l’Atrébatie, la presse

113 http://www.debat-atrebatie.org/suivre/synthese-du-debat/methode-et-philosophie-du-debat

114 La charte est en ligne sur le site du débat : http://www.debat-atrebatie.org/suivre/synthese-du-debat/plan 115 http://www.debat-atrebatie.org/suivre/synthese-du-debat/contexte-et-enjeux-du-debat

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locale et l’ouverture d’un site Web dédié au débat 116, les élus posent la question suivante aux

citoyens du territoire :

« Au moment où nous vivons une crise de l'énergie, estimez-vous que le territoire de l'Atrébatie puisse apporter sa contribution avec l'énergie éolienne et pensez-vous que celle-ci puisse être à l'origine d'un développement local ? »

Source : http://www.debat-atrebatie.org/

La charte du débat ne laisse aucun doute sur le fait que le temps fort de cette consultation est la réunion publique prévue en fin de procédure. Le reste n’a de sens que dans l’optique de la préparation de ce temps fort, celui où les différents acteurs se retrouvent en face à face. Le site Web debat-atrebatie.org tient toutefois une place importante dans le sens où il sert à animer la procédure dans son ensemble. Il le fait tout d’abord en tant que média local, exclusivement focalisé sur l’éventuelle implantation d’une ferme éolienne sur le territoire de la Communauté de communes. Les internautes y trouvent en effet des éléments de présentation du projet d’implantation, une sélection d’informations synthétiques et contradictoires sur l’énergie éolienne, proposée par les organisateurs du débat, sans oublier les informations relatives à la procédure de débat public, ses objectifs et son déroulement. Il s’agit là d’un usage du Web largement répandu qui correspond à un modèle informatif, unilatéral et descendant, qui a été largement analysé (Hacker & Van Dijk, 2001), et qui décalque sur un autre support le schéma de communication le plus courant dans le cas des « médias de masse. » Mais le site Web ne se cantonne pas à ce modèle et propose aux internautes d’identifier les thèmes de la discussion, pour participer à la sélection des enjeux qui doivent être abordés au cours de la réunion publique. Ce point particulier offre une traduction dans le déroulement de la procédure des principes qui ont présidé à sa conception et qui ont été évoqués plus haut. La forme de la procédure est le fruit d’un travail de recherche et développement qui fonde l’expertise du prestataire mobilisé pour installer l’expérience.

116 http://www.debat-atrebatie.org

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2) Un consultant indépendant pour animer les initiatives de l’Équipement et

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